![Quarante ans après la première bombe, mémoires d'un contre-felquiste : Baby Boum!](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/04/18175_1;1920x768.jpg)
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Quarante ans après la première bombe, mémoires d’un contre-felquiste : Baby Boum!
Il y a 40 ans, le FLQ pose la première d’une longue série de bombes à Montréal. Responsable de désamorcer les engins explosifs, ROBERT CÔTÉ a flirté avec la mort à plusieurs reprises. Son livre, MA GUERRE CONTRE LE FLQ, est le premier témoignage d’un policier sur cette période où le Québec affronta ce qu’on appelle désormais le terrorisme. Souvenir d’années vraiment troubles, quarante ans plus tard…
Denoncourt Frédéric
Début 1963. Des édifices du gouvernement fédéral et des boîtes aux lettres de la région de Montréal se voient tagués d’un sigle étrange: FLQ. À Québec, les mots "Québec libre" apparaissent sur la porte d’entrée de la résidence du lieutenant-gouverneur. Un slogan venait de naître. Des gares de campagne du CN sont incendiées, des cocktails Molotov sont lancés dans des manèges militaires. En avril, les premières bombes visant des symboles fédéraux explosent. Le Front de libération du Québec vient d’entrer en action. Et le milieu policier n’a rien vu venir. Robert Côté était alors policier à la ville de Montréal. "Tout ça, c’était "out of the blue sky". Un groupe terroriste, ce n’est pas un club social qui distribue des cartes de membre. C’est secret et tout à fait inconnu par définition. De plus, à l’époque, les services de renseignement et de communication étaient très peu développés, on n’avait donc aucune information sur le FLQ. Le Québec devenait le premier endroit en Amérique du Nord à faire face à des vagues d’explosions à caractère politique."
De l’autre côté de la barricade
Les années 1960 furent celles des grands idéaux d’une jeunesse aspirant à un autre monde. Inspirés par les pays africains qui commençaient à obtenir leur indépendance, farouchement anti-capitalistes et anti-colonialistes, les membres du FLQ, appliquant les méthodes de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) et des groupes de gauche sud-américains, rêvaient de renverser le pouvoir en place et faire du Québec un État indépendant et socialiste, quelque chose comme un "Cuba du Nord".
En 1963, Robert Côté avait 27 ans, le même âge, peu ou prou, que les felquistes. Il aurait pu être leur collègue de classe à l’université. Partageait-il certains de leurs idéaux, même s’il combattait le crime? "Il est fort probable que dans les services de police de l’époque il y avait des nationalistes. Mais pour moi, poser une bombe c’était un acte criminel, tout comme enlever une personne. Je ne me posais donc pas de questions quant à la légitimité de ces actions. Et si j’avais des opinions politiques à ce sujet, je les gardais pour moi, comme je le fais en ce moment. D’ailleurs, j’ai fait très attention de ne pas parler de politique dans mon livre."
En tant que chef de l’escouade anti-bombes, c’est à lui que revenait la délicate tâche de désamorcer les engins explosifs, parfois peu de temps avant leur mise à feu. Si les artificiers de la SQ semblent aujourd’hui s’amuser avec leurs robots télécommandés lorsqu’ils sont en présence d’une bombe, il y a quarante ans, les conditions de travail étaient toutes autres. C’est muni d’un vulgaire écran protecteur qu’il tenait devant lui comme un bouclier et d’une perche que Côté saisissait les "pétards". Venait ensuite l’étape cruciale du désamorçage. Rien de plus simple: ne restait plus qu’à se mettre le nez dans la bombe pour sectionner les fils reliant le détonateur à la charge explosive avec… des pinces à manucure d’une valeur de 3,95 $ chez Woollworth! "Des sensations fortes fournies avec la job!" À lui seul, l’ex-policier a désamorcé 24 bombes sur les quelque 300 placées par le FLQ. Le tiers d’entre elles aurait explosé.
Du sang froid
"Au tout début, le FLQ nous paraissait comme un gang de jeunes qui voulait avoir des sensations fortes. Quand ils ont placé des bombes devant l’édifice de l’impôt sur le revenu, tout le monde a applaudi. Les jeunes se sont attiré la sympathie du public jusqu’à ce qu’ils tuent un gardien de nuit, William O’Neil, en 1963. À partir de ce moment, on a dit: "le FLQ, ce sont des assassins"."
En 1966 la situation se corsait davantage avec l’implication de figures intellectuelles telles Pierre Vallières, l’auteur de Nègres blancs d’Amérique et de Charles Gagnon. Du côté de la police, on commençait à prendre le mouvement au sérieux. "Jusque-là, on les voyait comme de jeunes aventuriers. Mais du moment où des gens politisés écrivaient et incitaient des gens à poser des bombes, la situation devenait sérieuse. D’un petit groupe épart, le FLQ devenait une organisation plus structurée", continue M. Côté, qui admet que les policiers sont toujours restés dans le brouillard quant au nombre exact de felquistes.
Le FLQ a fait grimper la pression des policiers en voyant de plus en plus grand, passant d’une première bombe de 1,5 livre, le 17 mai 1963, à un paquet de 150 livres de dynamite placé dans une Volkswagen, le 12 juillet 1970, garée sous l’édifice de la Banque de Montréal, mais qui n’a toutefois jamais sauté. "S’il y avait eu explosion, les gens chercheraient encore leurs pièces de 25 sous un peu partout… Ça aurait été un HGB comme on disait entre nous, un "hostie de gros blast"", enchaîne Côté, qui confesse avoir a eu particulièrement chaud une certaine journée de septembre 1968. "Une bombe, alors placée le long d’un mur, a roulé jusqu’à mes pieds. J’entendais le "tic, tac" très clairement et trouvais le temps long. J’ai dû la sortir de son sac vert et l’attaquer. J’avais accepté de faire ce travail et ce n’était pas le temps de dire "c’est trop dangereux je vais aller faire la circulation". Et puis, les choses allaient tellement vite que je n’avais pas le temps de penser au danger. Le plus difficile, c’était quand je retournais à la maison et que j’essayais de m’endormir après avoir réalisé ce que je venais de faire."
L’armée à Montréal
Lorsqu’on évoque les événements d’octobre, s’il est une plaie qui n’est pas encore tout à fait cicatrisée pour plusieurs, c’est bien la présence de l’armée à Montréal et la promulgation de la Loi sur les mesures de guerre. Or, pour M. Côté, l’intervention de l’armée était tout à fait justifiée. "Pour une bonne raison: elle n’était pas une force d’occupation. L’armée était là en premier lieu pour remplacer les policiers dans les opérations de sécurité." Mais dans l’esprit des gens, le Québec était sous contrôle militaire… "Parce que les journalistes se sont concentrés sur les militaires. Mais ils n’avaient aucun pouvoir et n’arrêtaient personne sans passer par les forces policières. Ils ne pouvaient même pas aller pisser sans notre permission. On dit encore que le Québec était occupé, ce n’est pas vrai; les militaires étaient là en appui au pouvoir policier."
La police sous enquête
À la fin des années 1970, une commission d’enquête fut instituée afin de faire la lumière sur certaines pratiques policières. On craignait que les policiers n’aient pas toujours agi selon les règles de l’art pour combattre le crime après 1970. Une tache sur le travail des policiers? M. Côté s’en défend bien. "Certains voulaient reprendre les activités du FLQ. Nous avions donc décidé d’être proactifs. J’ai fourni de faux bâtons de dynamite à une personne qui voulait intégrer les nouvelles cellules. On a aussi publié de faux communiqués pour diriger ces gens là où on le voulait. Je reconnais que ces pratiques n’étaient pas courantes, mais on avait le choix de laisser faire ou de prendre les devants."
Mais les plus lourds soupçons ont pesé sur la GRC, dont un des agents fut surpris une bombe à la main. Voulait-on faire croire que le FLQ était toujours actif? Lorsqu’on aborde ce sujet, M. Côté se braque. "Cet épisode n’a rien à voir avec le reste! C’est l’affaire Robert Samson, le 26 juillet 1974. Le gars a fait ça car il avait besoin d’argent. Il a été condamné à huit ans de prison. Ce fut très embarrassant pour la GRC, mais elle n’a rien à voir là-dedans", assure-t-il.
De "vrais criminels"?
Aujourd’hui, Robert Côté affirme se remémorer le passé avec sérénité. Éprouvait-il, malgré tout, un certain respect pour ces jeunes hommes? "J’acceptais les choses telles qu’elles étaient. Je n’éprouvais pas d’animosité pour eux, que du regret. Je ne les ai jamais blâmés. Ils ont voulu aller plus vite que le violon. Étaient-ils de vrais criminels? Je comprends qu’il puisse y avoir une différence entre faire un hold-up pour aller jouer au casino ou pour servir "la cause". Que dans un cas, ça puisse être plus noble, mais pour la police, c’est un acte criminel. Quand je parle de Pierre-Paul Geffroy, "le bombardier en chef", le plus prolifique des poseurs de bombes, je dis souvent "mon ami Geffroy". J’étais présent en cour quand il a été condamné. C’était un jeune homme éduqué, il s’exprimait très bien. Je crois qu’il a été une victime. Il a ruiné sa vie", conclut M. Côté.
Robert Côté
Ma guerre contre le FLQ
Éditions Trait d’union, 2003, 360 p.