Orientations de l'Église : Voeux pieux?
Société

Orientations de l’Église : Voeux pieux?

Il y a 42 ans, s’ouvrait à Rome le concile Vatican II. L’Église catholique entendait y rompre avec les aspects les plus rigides de sa doctrine et se rapprocher de la réalité sociale. Mais avec, à gauche, une volonté de démocratisation, à droite, des dogmes surannés et au centre, un pape moribond, l’Église de Rome a-t-elle vraiment évolué?

Dans les pays occidentaux, les années 60 sont synonyme de bouleversements sociaux, politiques et culturels multiples. Au Québec, en particulier, l’emprise religieuse jusque-là très forte s’est violemment relâchée sous les pressions sociales. En parallèle se sont produites une désaffection massive, une chute marquée de la natalité, une libération sexuelle et une redéfinition des rapports entre les sexes.

Sentant le vent qui se levait, l’Église catholique opéra au cours de ces années une réorientation. "Vatican II mena à une révision profonde des positions de l’Église catholique dans son rapport au monde. Jusque-là, celle-ci s’opposait à l’esprit des Lumières, à la conscience et à la liberté individuelle", expose Marc Pelchat, doyen de la faculté de théologie de l’Université Laval.

Malgré des efforts, le rythme accéléré du changement social depuis 50 ans fait en sorte que l’Église paraît toujours un peu débordée, comme si elle n’arrivait pas à combler son retard, poursuit Marc Pelchat. " Sur le plan des moeurs, les gens n’accepteront plus de se plier aux doctrines d’une grande institution. L’Église devra en prendre acte et élargir le débat sur plusieurs questions."

Si beaucoup reste à faire pour Thomas De Koninck, professeur à la faculté de philosophie de l’Université Laval, depuis Vatican II la dignité humaine, le pluralisme et la communication sont à l’ordre du jour. "La hiérarchie est aussi moins rigide qu’auparavant, la liturgie est en langue vernaculaire pour faciliter la compréhension et l’échange."

Professeur à la faculté de théologie de l’Université McGill, Gregory Baum se montre plus critique. "Les promesses de décentralisation afin d’accorder du pouvoir au peuple ne se sont jamais réalisées. Une contradiction persiste alors que de l’extérieur, l’Église appuie les droits humains et la démocratie, tandis que de l’intérieur, elle reste autoritaire. Malgré son discours, Jean-Paul II s’est comporté comme un monarque."

L’Église catholique est également toujours aux prises avec des problèmes de transparence, le scandale récent des prêtres pédophiles en étant un exemple patent, poursuit Gregory Baum. "Le pape dit que l’Église doit être transparente comme une maison de verre, mais personne ne connaît la situation financière de cette institution qui vit de l’aumône; cela pose un problème éthique."

Mariage et ordination des femmes
Depuis 40 ans, la société a grandement évolué. Les femmes ont acquis de plus en plus de place dans toutes les sphères sociales et la chasteté n’est plus vraiment à l’ordre du jour. Or, l’Église maintient la ligne dure quant au mariage des prêtres et à l’ordination des femmes. "La question du mariage pourrait être rapidement assouplie et la décision laissée aux conférences épiscopales. L’ordination des femmes est un sujet plus délicat, actuellement on ne veut pas en débattre", indique Marc Pelchat.

Le mariage est permis en Orient, chez les orthodoxes et cela ne pose pas problème, rappelle Thomas De Koninck. "Les femmes sont de plus en plus présentes dans l’Église, mais pour l’ordination, il y a un problème de symbole, on touche au sacré", ajoute-t-il.

Gregory Baum observe que l’Église adopte des positions paradoxales, alors que d’une part elle présente une ouverture admirable sur les questions sociales et économiques avec une critique de la mondialisation effrénée, mais que d’autre part, elle demeure rétrograde sur les questions sexuelles et sur le statut des femmes. "L’Église devrait s’ouvrir aux mariages et à l’ordination des femmes. Il y a des raisons sociales et modernes mais aussi théologiques à cela, dans la mesure où elle doit être ouverte à tous. Les hommes noirs et les Asiatiques sont acceptés comme prêtres, pourquoi pas les femmes?"

Le problème, ce qui fait que le changement est lent, dit Mario Dufour, curé de la paroisse Notre-Dame de Saint-Roch, est que l’Église catholique a une vocation universaliste. " Elle doit ainsi tenir compte dans son discours officiel de toutes les réalités culturelles et sociales. En Afrique, on n’est pas prêt à reconnaître l’ordination des femmes."

Contraception et homosexualité
Pour ce qui est des questions morales comme l’homosexualité ou la contraception, l’Église est peut-être en retard, mais Mario Dufour rappelle que ces enjeux ont longtemps été débattus en société; l’homosexualité n’a été décriminalisée qu’en 1968 au Canada. "Malgré son discours officiel, l’Église admet le principe de la conscience individuelle. Elle ne peut pas le crier, mais elle accepte de fait ces nouvelles réalités."

"Sur la contraception, le discours a été symbolique, beaucoup de gens ont estimé que l’Église n’avait rien à dire. Quant à l’homosexualité, si l’Église n’est pas très ouverte, elle est plus nuancée qu’il y a 20 ans. Elle n’accepte pas les pratiques sexuelles, mais reconnaît l’orientation", poursuit Marc Pelchat.

Si la sexualité a une base biologique, avance Gregory Baum, la tolérance à l’égard des comportements est culturelle; l’Église devrait l’admettre formellement. "L’Église ne veut pas reconnaître qu’elle a pu avoir tort, en réalité elle évolue sur ces questions mais tend à le cacher."

Thomas De Koninck estime de son côté que l’évolution sociale met une pression sur l’Église qui la pousse à s’ouvrir sans cesse. "Je suis frappé par le fait que l’Église tienne de plus en plus compte des apports de la science; elle reconnaît maintenant le principe de l’évolution des espèces."

L’avenir
Selon Marc Pelchat, l’Église catholique est à un tournant: elle doit continuer d’évoluer à défaut de voir le divorce s’accentuer. "La clé est la décentralisation et l’adaptation aux réalités géographiques. Aujourd’hui, dire à quelqu’un qu’il a des références judéo-chrétiennes est une insulte. Les gens s’intéressent davantage au bouddhisme ou à l’islam car ils croient que l’Église catholique est pourrie. Il faut changer cela."

Malgré la désaffection des dernières années, une grande soif de spiritualité subsiste, de l’aveu de Mario Dufour, voilà ce qu’il faut exploiter. "Le plus grand défi est de revenir à une tradition spirituelle signifiante. Il ne s’agit pas de ramener les gens à la messe, mais de retrouver nos racines et un peu le sens de la vie dans le bagage spirituel par l’engagement social, culturel et politique."

L’Église pourrait ainsi contribuer à l’établissement d’une véritable communication humaine pour faire échec à la logique "uniformisante" du marché, soutient, Thomas De Koninck. "Le grand défi est celui de la culture authentique, au sens de développement, d’épanouissement et de transmission en aidant chaque individu à développer au départ son jugement propre", conclut-il.