Shirin Ebadi, Prix Nobel 2003 : Libération de la femme
Société

Shirin Ebadi, Prix Nobel 2003 : Libération de la femme

En couronnant SHIRIN EBADI, le comité Nobel a conforté tous ceux qui osent de par le monde affronter le puissant système religieux, qui emprisonne souvent des journalistes, des étudiants et bien des femmes. Elle parle ici ouvertement des décennies passées à militer afin de soustraire la répression des droits de la femme aux lois islamiques.

Après la révolution de 1979 qui a fait basculer la monarchie en Iran, les ecclésiastiques conservateurs qui se sont emparés du pouvoir avertissent madame Ebadi que son statut de juge lui sera retiré. Un châtiment imposé pour avoir remis en question des lois draconiennes imposées aux femmes de son pays.

"Peu après la révolution, je me souviens que lorsque j’écrivais des articles portant sur les droits de la femme, de nombreuses Iraniennes m’attaquaient, disant que je ne respectais pas la charia, explique Ebadi. Au Parlement, une docteure qui était représentante élue a lu un de mes articles à voix haute, puis s’est écriée: "Veuillez vous la fermer, Madame Ebadi. Sinon, ce sont les gens qui vont vous la fermer.""

Ebadi a refusé de se la fermer. Elle a défendu les droits de la femme et la liberté d’expression en cour, publié des livres sur les droits de l’homme, a su s’attirer la sympathie d’ecclésiastiques modérés et a inspiré des étudiants en donnant des cours sur la suprématie du droit civil.

Plus de 20 ans après avoir été littéralement menacée en plein Parlement, le vent a tourné en sa faveur. La ferveur révolutionnaire de l’Iran a cédé la place à la frustration et à l’impatience. Depuis, les législateurs cherchent à obtenir son opinion en matière de droit et elle est devenue un modèle à suivre pour les futurs avocats et avocates.

En se tenant à l’écart de l’arène politique partisane et en utilisant l’islam comme fondement de ses arguments, Ebadi pose un dilemme pour les dirigeants théocratiques. Mariée et mère de deux filles, maintenant adultes, sa vie personnelle est sans reproche.

Contrairement à certains activistes politiques, personne ne peut l’accuser d’afficher des opinions subversives puisqu’elle cite les écrits des ecclésiastiques et du Coran lui-même.

"Le problème, ce n’est pas l’islam, c’est plutôt la culture patriarcale. Certains ecclésiastiques ont interprété la charia de façon à discriminer les femmes", dit Ebadi.

Selon elle, les femmes sont de plus en plus conscientes de leurs droits et refusent de tolérer le statu quo.

"Maintenant, les femmes au Parlement, même celles qui portent le tchador, partagent ma façon de penser. Ce qui peut être expliqué par le fait que 63 % des étudiants qui entrent à l’université sont des femmes. Avant la révolution, cette proportion était de 25 %."

Dans un pays où les deux tiers de la population sont âgés de moins de 30 ans, Shirin Ebadi croit que le changement social qui s’opère ne peut être arrêté.

"Si vous demandez à des femmes iraniennes: "Êtes-vous satisfaites de votre situation face à la loi?", près de 90 % d’entre elles vous répondront que non", dit-elle.

Maintenant âgée de 56 ans, Ebadi produit sans cesse des livres et des articles sur les droits de l’homme, lit les dissertations de ses étudiants, prépare des procès médiatisés et discute des plans d’un nouvel organisme non gouvernemental qu’elle souhaite créer. Elle ne se considère pas comme une féministe, affirmant que les problèmes des femmes ne peuvent être complètement séparés de la société.

L’opinion publique troublée
Il y a trois ans, Ebadi a d’abord été accusée de "troubler l’opinion publique" en interviewant un ancien membre du groupe militant Ansar-e Hezbollah. Lors d’un procès à huis clos, Ebadi a été condamnée à une suspension de pratique de 15 mois. Incarcérée quelque temps à la prison Evin, Ebadi a enduré des problèmes de dos ainsi que d’autres maux plus graves, a-t-elle écrit par la suite. "J’essayais de ne pas me plaindre. Je grinçais des dents et je serrais les poings très fort – mes ongles devenaient bleus avec l’intensité de la pression -, mais je n’ai jamais gémi."

La médiatisation internationale créée par le prix Nobel rendra maintenant la tâche difficile aux forces judiciaires et de la sécurité. Son nouvel organisme non gouvernemental, le Center for the Defense of Human Rights, qui a été mis sur pied pour promouvoir les droits civils sans interférence politique, recevra le 1,3 million de dollars du prix.

De puissants Iraniens intransigeants ont accusé le comité Nobel de se mêler des affaires intérieures du pays en octroyant le prix de la paix à une dissidente iranienne. Contrôlée par les conservateurs, la télévision d’État a hésité pendant quelques jours avant d’annoncer qu’Ebadi avait gagné le prix. La nouvelle ne fut mentionnée qu’en toute fin de bulletin.

Le président Mohammad Khatami, à la tête du gouvernement réformiste, a cependant bien accueilli la nouvelle du prix Nobel. Son parti pourrait profiter de l’occasion pour proposer des initiatives bloquées dans le passé par des entités religieuses non élues.

Entre-temps, la prudence de Khatami ne plaît pas au Prix Nobel de la paix: "Nous aurons la suprématie du droit en Iran le jour où les femmes seront perçues de la même façon que les hommes par la loi."

Dan De Luce est correspondant à Téhéran pour The Guardian et The Observer.
Traduit de l’américain par Julie Rozon

La dernière cause à laquelle s’est consacrée Shirin Ebadi concerne la loi sur l’"argent du sang", qui fixe la valeur de la vie d’une femme à la moitié de ce que vaut celle d’un homme.

L’avocate et ex-juge y représente les parents d’une fillette kurde de 11 ans, qui a été violée et tuée. Un de ses tueurs a confessé son crime il y a sept ans. Deux autres hommes ont été trouvés coupables en cour et condamnés à mort.

Selon les termes assez délirants de cette loi coranique, la famille de la victime est obligée de collecter des fonds afin de financer l’exécution du tueur.

"La famille a été forcée de vendre sa maison et ses biens, mais ce n’était pas assez, dit Ebadi. Le père est allé voir un médecin pour tenter de vendre son rein."

"Je suis optimiste, donc je crois que la loi sera changée. Mais quand? Je ne sais pas. Ce pourrait être dans deux mois, comme ce pourrait être dans deux ans, dit-elle. Mais elle sera changée."