Possible invasion du Québec: Guy Chevrette réagit : Octobre, part 2?
Société

Possible invasion du Québec: Guy Chevrette réagit : Octobre, part 2?

Selon le journaliste Lawrence Martin, le gouvernement Chrétien aurait songé à envoyer l’armée au Québec en 95, advenant une victoire souverainiste. Scénario impossible, hypothèse farfelue, option mûrement envisagée? En tout cas, comme le raconte GUY CHEVRETTE, dans le camp du "oui", on y avait réfléchi. Démocratie en péril?

En politique, la règle veut que lors d’enjeux cruciaux, on élabore toujours plusieurs scénarios, question de ne pas être pris à contre-pied et de pouvoir parer à toute éventualité. En octobre 1995, tant Jacques Parizeau que Jean Chrétien avaient en main deux discours: l’un destiné à faire part de leurs intentions pour la suite des choses en cas de victoire, et l’autre, en cas de défaite. Or, le refus de Jean Chrétien et du gouvernement fédéral de reconnaître une victoire de l’option du "oui" et l’envoi de troupes au Québec étaient des scénarios cauchemardesques ultimes évoqués dans les rangs souverainistes, admet l’ex-ministre Guy Chevrette. Bien que discuté avec légèreté, le spectre d’un autre Octobre n’était pas tout à fait absent. "Lors de conversations, on avait mis toutes les hypothèses sur la table. Le scénario de l’armée, quelques-uns d’entre nous l’avaient évoqué. On se disait: "Est-ce qu’il est assez fou pour faire ça?" Mais ça n’a jamais fait l’objet de discussions officielles dans une instance. On trouvait ça tellement gros qu’on se disait que c’était impossible dans un processus démocratique."

Le scénario du pire
Le PQ a toujours prôné la voie démocratique pour accéder à la souveraineté, rappelle M. Chevrette, comment Chrétien et le gouvernement fédéral pourraient-ils faire fi de cette réalité et employer de leur côté des moyens dignes des dictatures? Tout est-il possible, même en démocratie? "J’étais de ceux qui disaient: "Il n’est pas assez fou pour faire ça avec un vote majoritaire, il y a des limites." Mais ça ne me surprend pas trop, au fond. C’est peut-être une des premières fois qu’on démontre jusqu’où ils sont prêts à aller en dépit du processus démocratique. Si c’est ça, notre pays, c’est inquiétant en maudit", dit-il.

Quand on lui demande si un plan concret avait été élaboré pour contrecarrer d’éventuels coups de force du fédéral, incluant des consignes données à la SQ, par exemple, M. Chevrette dit l’ignorer. Chose certaine, un non-respect du processus démocratique venant de se dérouler au Québec se serait retourné contre les autorités fédérales, croit-il, et aurait conféré davantage de poids et de légitimité à l’exercice. "Cela aurait eu pour effet de fortifier notre démocratie. Chrétien savait très bien que les gens pensaient: "Tu nous as dit de le faire par la démocratie, on le fait par la démocratie." Ça se serait retourné contre lui. Des gens en avaient plein le cul d’entendre parler du fédéral et du provincial et voulaient trancher. De notre côté, on se serait adressé au peuple et on aurait demandé: "Qu’est-ce que ça nous donne de faire des élections, des référendums?" Tu ne peux pas dire que tu es pour la démocratie et l’autodétermination et, en même temps, les refuser. Il [Chrétien] en aurait porté l’odieux magistralement, j’en suis sûr. Sur le plan international, ça aurait eu l’air très fou. Mis à part les pays où il y a des dictatures, qui auraient pu trouver normal qu’on protège les limites du pays…"

Lawrence Martin prétend également que Chrétien aurait justifié ses actions par le fait que le référendum de 1995 n’était que consultatif, et qu’il ne suffisait pas pour mener à la souveraineté du Québec. Dans les officines gouvernementales au Québec, craignait-on plus sérieusement un refus du gouvernement fédéral de reconnaître un "oui" majoritaire? "On se concentrait sur notre scénario qui était de rassurer le peuple en disant que tout se ferait selon les règles de l’art et de la loi. Il n’était pas question pour nous d’utiliser des moyens non démocratiques. Sur le plan international, dès qu’on reconnaît le droit à l’autodétermination, il faut en accepter les résultats. Et nous, on était sûrs que ce droit à l’autodétermination était juridiquement correct. On était préparés pour qu’il n’y ait pas de choc mais on savait que les négociations subséquentes seraient ardues, que ça se ferait très, très difficilement. Mais de là à parler d’un coup de force… Il n’y avait pas de crise politique au Québec."

Politique-fiction?
Scénarios catastrophes? Spéculations et politique-fiction, tout ça? Peut-être bien, mais il reste que depuis 1995, le fédéral est sans conteste passé à l’attaque sur le terrain politique et déclare ouvertement son intention de participer au processus et d’encadrer un éventuel référendum québécois sur l’accession à la souveraineté. Détermination du pourcentage des voix à atteindre, formulation de la question… Un prochain gouvernement péquiste voulant faire un référendum sur la souveraineté pourrait bien se voir mettre des bâtons dans les roues. Quelles règles démocratiques primeraient alors? Les fédérales ou les québécoises? Pour M. Chevrette, la question ne se pose pas: les autorités fédérales n’ont aucune légitimité. "L’autodétermination du Québec n’est pas de leur juridiction. S’ils font ça [intervenir dans le processus québécois], ils passeront aux yeux du monde pour des gens qui ne croient pas à la démocratie. La règle essentielle en droit international, c’est 50 % plus un, pis salut. Dans le fond, Chrétien approuve son incohérence quand il fait voter qu’il ne se contentera pas d’une majorité simple. C’est une preuve qui donne un fondement aux rumeurs qu’il n’aurait pas accepté le résultat. Si, dans sa tête, il l’avait accepté, il ne chercherait pas à changer les règles du jeu. C’est une peur de plus qui s’ajoute à l’arsenal des craintes. Cela en fera une de plus à démonter. Mais l’histoire démontre qu’à vouloir trop en mettre, on verse dans l’imbécillité et que ça joue contre nous. On peut peut-être intervenir dans les cas de rébellion interne, mais pas si le processus est démocratique."

M. Chevrette souligne que de nouveaux pays sont nés au cours des dernières années sans effusion de sang et dans le respect des règles démocratiques. C’est le cas des pays baltes, entre autres, qui ont retrouvé leur indépendance. "La fédération russe s’est défaite quand les Lituaniens et les Lettons ont décidé qu’ils étaient maîtres chez eux et qu’ils faisaient leur pays. Il n’y a pas eu d’effusion de sang en Russie. Pourquoi y en aurait-il au Canada? Et on n’était pas dans la même posture que les Lituaniens à l’époque. M. Chrétien aime ça, singer l’extérieur, eh bien qu’il singe les pays qui se sont formés dernièrement. On n’est pas dans une dictature", conclut-il en guise d’avertissement.