Coûts sociaux du ronflement : Ron ron ron, petit patapon
Les ronflements de votre conjoint, votre père ou votre colocataire vous font rigoler ou vous mettent parfois en rogne? Les coûts sociaux liés aux troubles du sommeil se chiffrent à plusieurs milliards de dollars par année, et pourraient être à l’origine de nombreux décès, écrit le spécialiste JACQUES GROSBOIS. Aperçu d’une épidémie.
Les ronfleurs sont parmi nous. Et ils sont toujours plus nombreux. On estime aujourd’hui qu’environ 60 % des hommes et 40 % des femmes ronflent. De plus, 5 % de ces hommes et 2 % de ces femmes feraient de l’apnée du sommeil, un désordre additionnel directement lié au ronflement se manifestant par un arrêt respiratoire d’une dizaine de secondes et qui peut entraîner des problèmes de santé importants, dont cardiaques. Les chiffres susmentionnés valent pour la plupart des pays occidentaux où mauvaise alimentation et surplus de poids sont souvent légion, l’excès pondéral étant souvent associé au ronflement. "En Inde ou en Chine, on doit moins ronfler et faire moins d’apnée", lance en rigolant, depuis son domicile français, le médecin Jacques Grosbois, coauteur avec Michèle Lepellec d’Apnées, ronflements et troubles du sommeil, qui sera lancé le 14 novembre prochain au Salon du livre de Montréal.
Comme un camion!
Vous avez toujours cru, ou mieux, votre expérience vous a montré que c’étaient les hommes grassouillets dans la cinquantaine qui ronflaient comme des trompettes? Vous ne vous trompez pas. En 20 ans de pratique comme oto-rhino-laryngologiste, M. Grosbois en a vu des ronfleurs. De son propre aveu, le ronfleur type est un homme et il pourrait s’appeler, disons, Marcel. Il a 59 ans, est un peu trapu. Son cou est court et il affiche un surplus de poids. Il a de grosses amygdales, un gros voile du palais et une grosse langue. Marcel ne dédaigne pas prendre un verre et tombe souvent dans les bras de Morphée légèrement éméché, ce qui a pour effet de relâcher ses muscles davantage et d’accentuer ses ronflements. Lorsqu’il dort, Marcel est plus bruyant que lorsqu’il est éveillé. Sa femme pourrait en témoigner. Ses ronflements produisent au-delà de 95 décibels, soit l’équivalent, selon des études, du bruit mesuré au passage d’un petit camion… Par comparaison, le bruit d’une conversation normale n’excède guère les 45 à 60 décibels. Marcel fait aussi de l’apnée du sommeil, ce qui a pour conséquence de réduire considérablement la qualité de son sommeil et d’affecter son état de santé global.
"On souffre du syndrome d’apnées du sommeil lorsqu’on fait au moins cinq apnées à l’heure; une apnée étant un arrêt respiratoire de 10 secondes. J’ai vu une patiente récemment qui faisait 60 apnées à l’heure. Cela crée des désordres importants comme une baisse d’oxygène dans le sang et des complications éventuelles au niveau du coeur, du cerveau, etc." Les personnes obèses sont davantage touchées. "L’apnée du sommeil a des répercussions sur l’état de santé de la personne. Elle déstructure le sommeil. Les gens qui dorment mal sont donc fatigués et risquent de somnoler pendant la journée. L’apnée du sommeil peut être à l’origine d’accidents de la route. On pense aussi qu’elle peut causer des troubles circulatoires et des arrêts cardiaques. Il est probable que certaines morts subites, et il y en a pas mal (500 000 par an aux États-Unis), soient dues à des apnées du sommeil. Sans compter les conséquences sur la vie courante, avec l’irritabilité, la baisse de la libido, etc.", continue M. Grosbois.
En 1995, aux États-Unis, les coûts globaux estimés des troubles du sommeil, incluant les coûts de santé, les décès prématurés, les coûts sociaux – tels les accidents, les pertes de productivité et l’absentéisme au travail -, étaient de 16 milliards de dollars américains. En 1996, le marché mondial des appareils pour traiter les troubles du sommeil se chiffrait à 162 millions de dollars américains. Des études suggèrent aussi que les apnéiques auraient, sur cinq ans, de 7 à 10 fois plus de risques d’être impliqués dans un accident de la circulation. Jusqu’à 57 % des accidents d’auto pourraient être dus à des problèmes de vigilance, de fatigue ou de somnolence. À grande échelle, c’est plus de 100 000 accidents par an qui seraient causés par le manque de sommeil.
Les traitements
S’il existe un traitement efficace et reconnu aujourd’hui pour les apnées du sommeil, consistant en l’emploi d’un masque qu’on place sur le visage et qui envoie de l’air sous pression par le nez pendant le sommeil, les techniques et produits pour venir à bout du ronflement restent variés. Les premières interventions chirurgicales qui ont eu du succès afin de traiter le ronflement remontent aux années 80. Le ronflement étant causé par une réduction du passage de l’air dans la gorge, il fallait donc élargir la voie. Et à l’époque, on n’y allait pas avec le dos de la cuillère: on coupait le voile du palais, la luette, et on retirait les amygdales! "On s’est rendu compte qu’il ne fallait pas trop couper. Ceux qui ronflent beaucoup ont un rétrécissement au fond de la gorge, ce qui fait qu’il n’y a plus beaucoup d’espace pour l’air quand les muscles se relâchent lors du sommeil. Au passage, l’air fait vibrer le voile du palais et la base de la langue, ce qui crée le ronflement." Le laser fut aussi utilisé pour détruire une partie du voile du palais. Douloureuses, ces interventions sont moins à la mode aujourd’hui qu’une autre, la radiofréquence, qui consiste à planter une aiguille qui envoie une micro-onde dans le voile du palais pour le faire rétrécir. "Ce n’est pas une solution miraculeuse non plus", continue M. Grosbois qui plaide plutôt pour l’utilisation des orthèses et prothèses dont l’efficacité est croissante, les coûts, peu élevés et les effets secondaires, presque nuls.
Tous les espoirs sont donc permis pour les ronfleurs. Dans son livre, M. Grosbois expose l’évolution des principaux traitements contre les ronflements et les apnées du sommeil. "Mais on a aussi voulu mettre les gens en garde contre les charlatans et leurs produits offerts sur Internet, comme les gouttes à mettre dans le nez et les huiles dans la gorge." Sans compter les vaporisateurs nasaux, le pyjama avec une balle de tennis cousue dans le dos pour inciter à dormir sur le ventre, l’oreiller en bois et le bracelet… détecteur de ronflements (!) qui envoie de petites décharges électriques pour inciter à changer de position. Le marché du ronflement est florissant. À vous de choisir. Bonne nuit les amis!