Frank Lisciandro: Mon Morrison : Hard Schmock Cafe
Jim Morrison aurait cette année 60 ans. Plus vivant que jamais, son fantôme reprend du service lors du passage de FRANK LISCIANDRO près de Montréal. Photographe et discret compagnon de route du Roi Lézard jusqu’à la fin, le Californien expose photos et oeuvres inédites. Un happening qui attire déjà les freaks et dont nous présentons en avant-première quelques images entre les commentaires du principal intéressé.
Personnage discret de l’entourage des mythiques Doors, Frank Lisciandro n’apparaît que très rarement dans les nombreuses biographies consacrées à Jim Morrison et son groupe. Homme de l’ombre, il a aussi été ignoré dans le controversé long métrage d’Oliver Stone. Un film que le photographe, cinéaste et "bon ami" de Morrison considère d’ailleurs comme un "vaste mensonge presque entièrement issu de l’imagination du réalisateur".
Pourtant, derrière le visage du véritable batteur John Densmore qui y personnifiait un ingénieur de son, on aurait pu reconnaître celui de Lisciandro, puisque c’est à lui qu’on doit la session d’enregistrement qui y est représentée. Celle-là même qui immortalisa les quelques poèmes qui composent An American Prayer: une oeuvre posthume de facture inégale, testament discographique du poète en fin de course vers l’illumination par l’excès. Un disque que Stone a habilement pillé pour en faire la tapisserie sonore de son film.
C’est aussi à Lisciandro qu’on doit la publication de deux recueils de poésie (Wilderness, The American Night) conçus à partir de cahiers que détenait Pamela Courson, la compagne de Morrison, jusqu’à ce que cette dernière rejoigne son conjoint dans la mort, trois ans seulement après lui.
Invité par le galeriste montréalais et vieil ami Ihor Todoruk à exposer des photographies d’époque – inédites! – dont le premier volet est entièrement consacré aux Doors, Frank Lisciandro, aussi auteur de deux volumes sur son défunt ami, en profite pour invoquer l’esprit de ce chaman du rock. Flash-back.
Dites-moi, on sait que vous étiez un proche ami de Jim Morrison, que vous avez réalisé des films ensemble, mais comment votre amitié s’est-elle développée?
"Eh bien, à mon retour d’Europe où j’avais passé un an à parcourir le territoire en mobylette (rires), j’ai fréquenté l’école de cinéma de UCLA. C’est là que j’ai connu Ray Manzarek, et aussi Morrison. Mais à cette époque, Jim et moi n’étions que des connaissances, alors que Ray était déjà un bon ami. Plus tard, alors que les Doors réalisaient un documentaire (intitulé Feast of Friends) sur eux-mêmes, ils m’ont demandé d’effectuer le montage à partir de la tonne de matériel qu’ils avaient récolté. Nous avions aménagé une salle de production dans les locaux du groupe, et Jim a pris l’habitude de venir faire son tour régulièrement. Nous avons beaucoup discuté de ce que devait devenir ce film, et notre amitié s’est forgée autour de cette expérience commune.
Et votre femme travaillait pour le groupe elle aussi…
"Oui, exactement. Elle était la secrétaire des Doors, elle aussi connaissait très bien Ray et Jim depuis l’université et elle s’était proposée pour remplacer l’ancienne secrétaire, qui était partie en coup de vent. Elle est restée en poste jusqu’à ce que Jim quitte pour Paris."
À propos de ce voyage terminal, vous qui connaissiez bien Morrison, croyez-vous que son départ était uniquement attribuable à des frictions au sein du groupe, ou s’il avait véritablement tourné le dos à la musique, n’y voyant plus qu’une expérience vaine?
"Effectivement, je crois que Jim ne voyait plus grand intérêt dans la musique. Il écrivait toujours de la poésie et je crois qu’il voulait aussi retourner vers le cinéma. D’ailleurs, en quittant pour Paris, il avait emporté les deux films que nous avions faits ensemble, Feast of Friends et Highway, pour les montrer à ses amis, Agnès Varda et Jacques Demy, qui travaillaient dans l’industrie du cinéma là-bas. Il était tellement intelligent, brillant, qu’il aurait aisément pu devenir un nouvel Orson Welles… En fait, il aurait pu devenir tout ce qu’il souhaitait."
Il est toujours un peu effrayant de se figurer ce que des génies comme Morrison ou Hendrix seraient devenus s’ils avaient vécu jusqu’à aujourd’hui. Par exemple, dans nos pires cauchemars, Hendrix aurait aussi bien pu devenir kitsch et faire de la musique middle-of-the-road…
"Qui sait? Il serait peut-être devenu musicien sur des bateaux de croisière (rires)."
(Rires) Oui, peut-être… Mais croyez-vous que Morrison aurait pu, contrairement à la plupart des musiciens légendaires qui lui ont survécu, conserver une certaine forme d’intégrité artistique?
"En tant que cinéaste, j’ai eu la chance de rencontrer beaucoup de gens qui étaient très créatifs et particulièrement intelligents. Mais Jim est sans doute la personne la plus intelligente que j’aie rencontrée. Il pouvait entreprendre une conversation avec n’importe qui, artiste, scientifique, journaliste, et s’en tirer à merveille. Il était autodidacte, mais d’une érudition époustouflante. Aussi, il était doté d’une incroyable curiosité. Tout cela combiné à une intarissable soif de liberté. En considérant tout cela, je crois qu’il aurait été absolument impossible qu’il devienne quelqu’un d’ordinaire, de banal…"
Concernant le conflit qui oppose John Densmore à Ray Manzarek et Robbie Krieger à propos de l’utilisation de la musique des Doors à des fins publicitaires ou de l’utilisation du nom du groupe, quelle est votre position?
"Je n’en ai pas vraiment, si ce n’est que je crois qu’il serait préférable qu’ils règlent ça en cour plutôt que de déverser leur fiel sur la place publique. Aussi, dans mon souvenir, les trois étaient déjà plutôt radins. Jim voulait souvent donner des concerts gratuits, comme les Grateful Dead, ce à quoi les autres s’opposaient fermement, y compris Densmore."
Maintenant, à propos de cette exposition photographique qui comprend aussi un volet consacré à différents festivals musicaux de la fin des années 60 en Californie (incluant des portraits d’Eric Burdon, Jerry Garcia et de divers membres des formations Blue Cheer et Canned Heat, entre autres), que croyez-vous que nous pourrons y apprendre?
"Si vous n’y étiez pas, ce qui semble être votre cas, vous y percevrez probablement l’esprit de cette période. Vous y sentirez aussi toute l’importance qu’occupait la musique dans nos vies. La musique était le véhicule de tout ce que nous faisions, la radio FM diffusait beaucoup de chansons récentes, parfois des albums en entier, avec assez peu de publicité, c’était notre radio. Et il y avait toute cette excitation, cette effervescence culturelle! Pour moi, puisque j’y étais, il s’agit d’un moment historique où la jeunesse s’est soulevée, a refusé d’aller se faire massacrer à la guerre et a entrepris une véritable renaissance artistique. J’espère que ces images témoignent de tout cela."
Oeuvres de Frank Lisciandro; musique et projections cinématographiques exclusives en continu
Le samedi 22 novembre, inauguration à 18 h
À la Galerie Harwood (3663, chemin Harwood, Hudson, autoroute 40, sortie 26)