Voir parraine deux journalistes étrangers : Droit de parole
Société

Voir parraine deux journalistes étrangers : Droit de parole

Depuis 1989, l’organisme humanitaire Reporters sans frontières invite les rédactions du monde entier à se mobiliser en soutenant un journaliste emprisonné. Cette année, 26 journalistes ont ainsi été "adoptés" par 160 médias internationaux. Nous vous présentons les cas de la Chinoise LIU DI et du Cubain RICARDO GONZÁLEZ ALFONSO, deux journalistes injustement incarcérés que Voir a choisi de parrainer, en espérant que vous manifesterez votre opposition aux politiques de censure répugnantes des régimes qui les harcèlent et briment la liberté d’expression. François Desmeules, rédacteur en chef

Chine: Liu Di
Étudiante en psychologie à l’Université de Pékin, née en 1980.

Liu Di a été arrêtée le 7 novembre 2002 sur le campus de l’Université de Pékin, soit un jour avant l’ouverture du 16e congrès du Parti communiste chinois. Sa famille n’a été informée de son arrestation que le lendemain, lorsque la police est venue procéder à une fouille de son domicile, saisissant ses notes, ses livres (dont un intitulé Avant et après le 4 juin, en référence au massacre des étudiants de Pékin le 4 juin 1989) et son ordinateur.

Le 18 décembre 2002, les parents de Liu Di ont été informés par la police que leur fille avait été officiellement inculpée de "menace contre la sécurité de l’État".

La police a affirmé à l’un des professeurs de Liu Di qu’elle était emprisonnée en raison de ses liens avec une "organisation illégale". Mais sa famille, notamment son père et sa grand-mère, affirme que sa détention est attribuable à ses écrits sur Internet. Liu Di a en effet diffusé des textes sur le Web critiquant de manière sarcastique la mainmise du Parti communiste sur la société chinoise. Ainsi, le père de Liu Di a expliqué à Reporters sans frontières ne pas comprendre pourquoi sa fille, qui signait ses messages sur Internet "La souris inoxydable", est emprisonnée pour avoir mis en danger la sécurité nationale. "Elle adorait naviguer sur Internet pour chercher des informations. Mais elle était frustrée par le manque de liberté sur Internet et elle a peut-être exprimé des critiques ou des sarcasmes, mais sans jamais penser aux conséquences de ces messages", a précisé Liu Qinghua.

Liu Di est détenue au secret depuis son arrestation, vraisemblablement dans un commissariat de police de Pékin.

La police a affirmé à sa famille que Liu Di était détenue au secret pour faire "pression" sur elle. Ses parents sont inquiets des réalités que couvre le mot "pression" utilisé par les policiers; selon ses parents, Liu Di est de santé fragile.

La police refuse de préciser son lieu de détention. Ses parents ont seulement reçu deux courts messages de leur fille qui leur demandait de l’argent. Ils ont pu déposer dans un commissariat de l’argent et des vêtements à son intention, sans être sûrs pour autant qu’on les lui remette. La police a par ailleurs averti la famille que la nature de cette affaire pourrait changer si les médias étrangers, les organisations de défense des droits de l’homme ou les dissidents chinois faisaient du bruit autour du cas de Liu Di.

Liu Di vit dans le même immeuble que sa grand-mère de 80 ans, Liu Heng, ancienne journaliste au Quotidien du peuple qui a été emprisonnée pendant plus de 20 ans durant la Révolution culturelle pour avoir critiqué le Parti communiste en 1957.

Liu Di a publié plusieurs messages sur le site Web Xici Tribune, critiquant les restrictions gouvernementales sur Internet; elle a encouragé les internautes à "ignorer la propagande du régime chinois" et à "vivre en toute liberté".

Elle a également exprimé son soutien et sa sympathie pour Huang Qi, webmestre détenu depuis le 3 juin 2000 pour avoir accueilli sur son site des articles considérés comme "subversifs" par les autorités. Selon Amnistie internationale, Liu Di considérait le cas de Huang Qi comme une erreur judiciaire. Elle avait donc incité les autres internautes à se livrer tous ensemble à la police en signe de protestation. Ses critiques portaient également sur la fermeture, en juin 2002, de tous les cybercafés de Pékin après l’incendie inexpliqué d’un établissement.

Cuba: Ricardo González Alfonso
Directeur de la société Manuel Márquez Sterling, directeur du bimestriel De Cuba, correspondant de Reporters sans frontières, né en 1950.
Ancien journaliste de la télévision officielle, où il s’occupait des émissions pour enfants, Ricardo González rejoint en 1995 l’agence indépendante Habana Press. Correspondant de Reporters sans frontières à La Havane depuis 1998, il informe chaque semaine l’organisation sur les atteintes à la liberté de la presse dans l’île.

Il fonde en mai 2001 la société Manuel Márquez Sterling avec son ami Raúl Rivero pour former les journalistes indépendants, souvent autodidactes. Cette démarche prend le contre-pied des autorités qui s’évertuent à les discréditer en répétant que ces journalistes "n’ont pas de diplômes".

En décembre 2002, il se lance avec ses collègues dans la publication du bimestriel De Cuba. La revue aborde des sujets ignorés par la presse officielle, tels que le racisme à Cuba ou le projet Varela, une campagne ayant recueilli plus de 11 000 signatures sur l’île pour réclamer des changements démocratiques par la voie constitutionnelle. Tiré à 250 exemplaires, le premier numéro est distribué dans le réseau des librairies indépendantes qui ont surgi dans l’île. C’est la première fois que des journalistes indépendants, jusqu’alors réduits à envoyer leurs articles à l’étranger, tentent de rompre le monopole de l’information imposé aux Cubains par le Parti communiste.

Ricardo González a été arrêté le 18 mars 2003. Son domicile a été perquisitionné. Pas moins de 10 policiers ont fouillé sa maison pendant 11 heures.

L’acte d’accusation recense les objets qui ont été saisis, la plupart servant à la réalisation de la revue bimestrielle De Cuba: un fax et un téléphone Panasonic, un magnétophone, des machines à écrire, deux postes de radio, une caméra, deux ordinateurs dont un portable, un scanner, un appareil photo, une imprimante, des livres et de nombreux documents contenant des informations qualifiées de subversives, des agendas avec les contacts du journaliste.

Le 18 mars 2003, le journaliste a été condamné en vertu de l’article 91 du code pénal, selon lequel tout individu agissant "pour l’intérêt d’un État étranger, au détriment de l’indépendance de l’État cubain ou de son intégrité territoriale, est passible d’une peine de 10 à 20 ans de prison ou bien de la peine de mort". À charge, l’accusation a également souligné "la dangerosité sociale des faits [imputés] et les mobiles de l’accusé, c’est-à-dire la soif d’argent et la vie facile". Ricardo González est accusé d’être "salarié des États-Unis". Les journalistes étrangers et les diplomates n’ont pas été admis dans la salle d’audience.

Cinq témoins ont été cités par l’accusation. Deux d’entre eux, connus pour être d’éminents journalistes indépendants, ont révélé être en réalité des agents de la sécurité d’État infiltrés dans la dissidence, dont Néstor Baguer, directeur de la Asociación de Periodistas Independientes de Cuba (Association des journalistes indépendants de Cuba, APIC) pendant plus de 10 ans. Il lui est reproché d’avoir publié des articles "tendancieux". Il a également été reproché à Ricardo González de collaborer à Reporters sans frontières, "une agence de presse française à visées subversives".

La juridiction insiste sur le "caractère exemplaire" des peines, la nécessité "d’une véritable rééducation" des accusés et le besoin de dissuader "ceux qui prétendent imiter leurs agissements".

Ricardo González est placé en détention de haute rigueur. Il se trouve actuellement seul dans une cellule en attendant son transfert parmi des prisonniers de droit commun. Même s’il souffre d’allergies en raison des changements de température et des conditions d’hygiènes déplorables, le journaliste ne se plaint pas: "Ils m’ont emprisonné avec mon optimisme", confie-t-il à sa femme, Alida Viso Bello, en juin 2003.

Ricardo González a été condamné le 4 avril 2003 à 20 ans de prison par le Tribunal municipal du district du 10 Octobre, à La Havane. Sa libération est prévue en 2023.

Le 24 avril 2003: des militants de Reporters sans frontières, qui s’étaient menottés aux grilles de l’ambassade de Cuba à Paris avec des chaînes, sont violemment frappés par les gardes cubains.

Que faire?
Solidaire de RSF, le photographe Helmut Newton a gracieusement offert ses photos pour l’album Pour la liberté de la presse, actuellement vendu au profit de RSF et des journalistes incarcérés. Dans un geste de solidarité soutenant la liberté de la presse, nous vous invitons à vous le procurer au coût de 12,75 $. Vous pouvez aussi immédiatement signer une pétition affichant votre soutien à www.rsf.org. Votre participation constitue une véritable assurance-vie qui contribue directement à la protection des détenus.