Pollution atmosphérique à Montréal : J’suis smog!
Tout le monde se souviendra des bizarres et inquiétants épisodes de smog qui se sont abattus sur Montréal jusqu’à l’automne. La qualité de l’air dans la métropole empire d’année en année? Avant de laisser l’hiver nous envelopper de son brun manteau, traçons le bilan atmosphérique d’une année tissée d’étranges soubresauts…
Du 23 au 27 juin 2003: Plus long épisode de smog de l’histoire de Montréal.
L’été 2003 a démarré en lion. Durant cinq jours consécutifs, une chaleur suffocante, des excès de particules dans l’air, des alertes au smog: l’enfer. Dans ce dossier, le dernier record datait de 2002, alors qu’on en avait vécu quatre jours à Montréal. "Nous avons été chanceux que ce soit pendant la période de la Saint-Jean-Baptiste, dit Claude Gagnon, responsable du Réseau de surveillance de la qualité de l’air de la Ville de Montréal (RSQA). Beaucoup de gens étaient en vacances, il y avait donc beaucoup moins d’automobiles en circulation. Sinon, la situation aurait probablement été bien pire."
À Montréal, un réseau de 16 stations d’échantillonnages, réparties sur l’île, mesure en continu la présence dans l’air de sept polluants classiques et, de façon discontinue, les particules fines, les métaux et plus de 170 composés organiques volatils ou semi-volatils. Quand le fond de l’air est sale, on sait pourquoi. Et avec précision.
Si le smog m’était conté…
Les grands responsables du smog montréalais sont l’ozone et les particules fines. Chez les personnes âgées, les enfants et les personnes souffrant de problèmes respiratoires, l’ozone peut provoquer la toux, des problèmes de respiration et irriter les yeux. Les particules fines peuvent aussi être incommodantes. "Ce sont des particules si petites qu’elles vont se loger loin au niveau des alvéoles pulmonaires", explique Claude Gagnon.
Mais si Montréal a connu cette année son plus long épisode de smog, les experts s’entendent pour dire que la saison estivale 2003 a été, dans l’ensemble, "plus propre" qu’en 2002. L’an dernier, on a vécu entre 23 et 30 journées de mauvaise qualité de l’air et le temps chaud fut propice, plus d’une fois, à la formation de smog. Un autre événement a aussi attiré l’attention en 2002: le soir du 22 juin, on a mesuré la plus forte concentration de particules fines dans l’air; dépassant de cinq fois la norme! Ce phénomène extraordinaire a pu être mesuré à cause des vents qui, ce soir-là, ont décidé de souffler les fumées des feux d’artifice de l’île Sainte-Hélène jusqu’à une station d’échantillonnage de la Ville de Montréal. En 2002, on a donc pu mesurer pour la première fois la quantité de pollution émise par l’explosion des feux. "En général, le vent amène plutôt ces polluants vers Longueuil et Boucherville, dit Claude Gagnon. À Montréal, on est généralement épargné." Pour étudier la question, un groupe de travail s’est formé entre le ministère de l’Environnement du Québec, la Direction de santé publique de Montréal et la Ville de Montréal.
22 septembre 2003: Journée "En ville sans ma voiture"
C’est la première fois que Montréal participait à cet événement international. De 10 h à 15 h 30, la rue Sainte-Catherine a été fermée à la circulation automobile entre les rues Guy et McGill-College. Les piétons ont pu, l’espace de quelques heures, prendre le contrôle de la rue dans une ambiance festive que l’on aimerait voir plus d’une journée par année. Le bilan officiel du RSQA est venu près d’un mois plus tard. Et il est positif. Selon les données recueillies ce jour-là par la station de mesure située à l’angle de la rue Metcalfe et du boulevard Maisonneuve, les taux de monoxyde de carbone et de monoxyde d’azote (deux polluants émis par les voitures) ont chuté de près de 40 % par rapport aux niveaux mesurés habituellement les lundis. Ils étaient même plus bas que pendant les fins de semaine!
Haro sur les transports en commun
Outre lelesless changements vraiment pertinents en ce qui concerne l’état de l’air, cette journée sans voitures a non moins eu le mérite de relancer le débat sur la qualité du transport en commun. Apprendre que les voitures polluent, c’est une chose. Mais constater que le transport en commun (alternative évidente à la voiture) souffre d’arrêts de service et de retards chroniques, ça nous fait une belle jambe! Actuellement, l’organisme Équiterre (www.equiterre.qc.ca) fait circuler une pétition pour demander au gouvernement du Québec d’investir davantage dans les transports en commun. "On entend toujours parler de la construction d’une nouvelle route ou d’un nouveau pont, dit Annie Martineau d’Équiterre, mais chaque fois, on se rend compte que deux mois plus tard, ce pont est rempli d’autos."
Cocktail transport
Pour sensibiliser le public aux effets néfastes de l’automobile, Équiterre fait la promotion du "cocktail transport". Vous avez peut-être vu les affiches dans le métro; on y démontre les économies que l’on peut réaliser chaque mois en diversifiant nos moyens de transport. Selon les calculs d’Équiterre, posséder une voiture occasionne des dépenses de 685 $ par mois alors qu’adhérer à la philosophie du cocktail transport coûterait 249 $ pour la même période. "Le reste dans tes poches", comme dit la publicité! "Contrairement à ce que certaines personnes peuvent penser, Équiterre ne vend pas un forfait. L’idée est vraiment de susciter une réflexion par rapport à la place qu’occupe la voiture et aux solutions de rechange qui existent", ajoute Annie Martineau. Ainsi, on pourrait utiliser les transports en commun, la marche ou le vélo pour les courtes distances. Jumeler cela avec les taxis, le covoiturage ou la location d’une voiture pour les moments où l’on en a vraiment besoin. En combinant divers moyens de transport, on aide à réduire les émissions de gaz à effet de serre et… c’est payant! "On pense qu’une bonne façon de toucher les gens, c’est de leur parler de leur portefeuille, soutient Annie Martineau. Je ne suis pas convaincue que la majorité de la population se laissera convaincre simplement à cause de la pollution émise par leur voiture."
11 octobre 2003: Brouillard acide et toxique
On ne saurait oublier cette brume irritante du 11 octobre dernier. Durant toute une journée, un brouillard toxique et acide a voilé la visibilité à Montréal. Dans le jargon météorologique, on appelle cela une inversion thermique. "Contrairement à un smog estival (où le problème est vraiment l’ozone), il ne faisait pas assez chaud ce jour-là pour que les polluants se transforment en ozone, dit André Bélisle, président de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), alors ils se sont agglutinés à chaque goutte de vapeur. Ces gouttes sont devenues acides en plus de devenir des capteurs pour les particules et les autres polluants présents dans l’air à ce moment-là…" Ce brouillard toxique a fait renaître le spectre des pluies acides, un dossier perdu dans la brume depuis que l’on a d’yeux que pour le réchauffement climatique… Mais l’affaire des pluies acides est loin d’être classée.
Le retour des pluies acides
Dans le dossier des pluies (ou des brouillards) acides, une seule partie du problème a été réglée. "Au départ, deux gaz sont responsables des pluies acides: l’anhydride sulfureux et l’oxyde d’azote, dit André Bélisle. Si le gouvernement du Québec a été très efficace pour réduire l’anhydride sulfureux (de 75 %), il n’a pratiquement rien fait pour les oxydes d’azote." L’anhydride sulfureux était émis principalement par les industries, le gouvernement a donc forcé les usines à réduire leurs émissions polluantes. Mais pour ce qui est des oxydes d’azote, les principales responsables sont les voitures (encore elles). "Quand tu obliges une industrie à moins polluer, tu risques de perdre quelques votes aux prochaines élections, ajoute André Bélisle, mais quand tu veux t’attaquer aux automobilistes, ce sont des millions de votes qui sont en jeu."
Un bien piètre parc automobile
Selon le président de l’AQLPA, le Québec posséderait le parc automobile le plus en piteux état de l’Amérique du Nord. Notamment parce qu’ici, contrairement à plusieurs grandes agglomérations, l’inspection des véhicules automobiles n’est pas obligatoire. Du coup, l’entretien est déficient. Il y a, dans les véhicules récents, des dispositifs antipollution qui réduisent les émissions polluantes. Mais au bout de deux ans, il faut habituellement remplacer ce petit bidule, qui n’est plus efficace. En 2001, l’AQLPA a développé un modèle de programme obligatoire d’inspection et d’entretien des véhicules automobiles (PIEVA) qui tient compte des couches plus défavorisées de la population. En ce moment, c’est plutôt l’État du New Jersey, aux États-Unis, qui l’utilise dans son intégralité. Au Québec, le PIEVA était promis par l’ancien gouvernement péquiste. Mais il n’apparaît pas au programme du gouvernement de Jean "La santé!" Charest.
C’est devenu un lieu commun que de le dire: l’automobile est le principal vecteur de pollution atmosphérique à Montréal. Ne cherchez pas ailleurs. Mais ce qui est ironique, c’est que ces banlieusards qui s’entêtent à affronter chaque matin les embouteillages monstres, seuls à bord de leurs VUS rutilants, l’air climatisé au maximum, pourraient fort bien payer le prix de leur irresponsabilité. Parce qu’en général, les vents tendent à pousser les particules fines vers la Rive-Sud, "L’endroit où l’air est le plus pollué et où l’on trouve le plus grand nombre de cas d’asthmes au Québec est donc en Montérégie, pas à Montréal", confirme André Bélisle.