La diaspora chinoise et la propagande contre le Falun Gong : Guerre de religion
Le conflit opposant le gouvernement chinois au mouvement religieux Falun Gong ne se limite pas à la Chine continentale. À Montréal, un groupe de pratiquants vient de déposer un troisième recours judiciaire, en trois ans, contre un journal local qu’ils accusent de publier de la propagande haineuse à leur endroit pour le compte du gouvernement de Pékin.
C’est la troisième fois que l’avocat Michael Bergman plaide la cause des disciples du Falun Gong devant les tribunaux québécois. "Les Presses Chinoises, un journal chinois de Montréal, a publié des reportages maintes fois diffamatoires et haineux contre le Falun Gong. Ils disent que les membres du Falun Gong ont des relations sexuelles avec des animaux, font des meurtres, sont impliqués dans des activités criminelles, sont des saboteurs de l’État de Chine, sont des ennemis de l’État en Chine et au Canada. Ce sont tous des commentaires haineux classiques", soutient-il. Bergman représente un groupe de plus de 200 pratiquants de Montréal, Ottawa et Toronto, qui réclament chacun 100 000 $ pour dommages subis, ainsi qu’une injonction contre le journal unilingue chinois qui tire à environ 15 000 exemplaires à Montréal et à Toronto. Le groupe avait obtenu à deux reprises (2001, 2002) des injonctions contre le journal mais, soutient-il, ce dernier aurait repris ses attaques.
Ennemi de l’État
Apparu en Chine il y a un peu plus de dix ans, le Falun Gong est un mouvement religieux d’inspiration bouddhiste et taoïste prônant une libération du corps par l’esprit. Il regrouperait des dizaines de millions de fidèles en Chine et ailleurs. Le mouvement a beau marteler qu’il n’a aucune ambition politique, sa popularité dérange le régime de parti unique qui le perçoit comme une menace d’opposition potentielle. Jugeant qu’elle constitue une "menace à la stabilité politique et sociale de l’État", la Chine communiste a donc officiellement interdit la pratique du Falun Gong en 1999. D’après Amnistie internationale, des dizaines de milliers de disciples ont été arrêtés depuis. Certains ont été jetés en prison au terme de procès bidon, alors que d’autres ont été directement envoyés dans des camps de travail où de nombreux cas de torture et plusieurs décès ont été rapportés.
Par ailleurs, la majorité des ressources de l’appareil de propagande chinois serait affectée à délégitimer le mouvement et ses fidèles. Dans un article sur le sujet publié en 2002, le sinologue français Antoine Paoli raconte qu’en Chine "la télévision diffuse des images de "camps de rééducation par le travail" où d’ex-adeptes coulent des jours heureux dans un état de béatitude et d’harmonie tout à fait extraordinaire! À quelques jours de leur sortie de prison, ces hommes et ces femmes livrent leur sentiment sur leur "libération" […] Tous affirment alors devant les caméras que Li Hongzhi [ndlr: le chef spirituel du mouvement] est un imposteur cruel qui les a trompés et remercient les autorités de les avoir sauvés in extremis."
À Montréal, les disciples du Falun Gong disent être convaincus que l’appareil de propagande du Parti Communiste Chinois est derrière les attaques dont ils sont la cible ici. "Comme la diaspora chinoise est présente partout dans le monde, Jiang Zemin et les autres veulent essayer de monter la communauté chinoise contre le Falun Gong", soutient Roseline Ching, une pratiquante de Montréal âgée de 41 ans. "L’ambassade chinoise contacte les journaux et donne de l’argent pour qu’ils écrivent des articles diffamatoires. D’ailleurs, l’ambassade continue d’envoyer des tracts anti-Falun Gong aux parlements municipaux, provinciaux et fédéraux. Je crois que le gouvernement chinois est lié aux articles publiés dans Les Presses Chinoises parce que beaucoup des textes qu’ils ont publiés proviennent mot à mot du site du gouvernement chinois."
Nous n’avons pas pu obtenir de commentaires de l’ambassade chinoise à ce sujet. Aux bureaux des Presses Chinoises à Montréal, une réceptionniste nous a dit que le propriétaire, M. Crescent Chau, avait donné pour directives de ne pas faire de déclarations puisque la cause était devant les tribunaux. Quant à leur avocat Julius Grey, il n’a pas retourné nos appels. Dans un article paru dans The Gazette au début des procédures, Grey avait par ailleurs indiqué qu’à son avis, seul le chef spirituel du mouvement Li Hongzhi, aujourd’hui exilé aux États-Unis, serait en mesure de poursuivre pour diffamation dans cette affaire, ce qu’il a choisi de ne pas faire. "Si vous regardez les articles, ils ne mentionnent pas des individus. Par conséquent, que ces écrits soient véridiques ou non, ils ne donnent pas droit à un groupe de poursuivre. Dans le cas contraire, n’importe quelle remarque concernant n’importe quel groupe serait extrêmement dangereuse", avait-il déclaré.
Les articles publiés en 2001 et 2002, qui font l’objet de la poursuite, ne portaient effectivement pas sur des particuliers, a reconnu Yumin Yang, 40 ans, l’un des membres du Falun Gong à Montréal, avant de préciser que son nom était apparu dans des articles subséquents. "J’ai essayé de communiquer avec les responsables du journal après la publication et j’ai aussi appelé la police et tout cela a échoué; alors nous nous sommes assis et nous avons cherché quoi faire. Enfin, nous avons décidé d’acheter tous les journaux que nous pouvions pour que le public ne soit plus capable de s’en procurer." D’après M. Yang, cette action a mis les responsables des Presses Chinoises en colère. Peu de temps après, un article racontait comment M. Yang avait menacé des membres du personnel du journal au téléphone. "Ma dignité a été attaquée mais ça, je peux l’accepter. Ce que je ne peux pas accepter, c’est que les articles des Presses Chinoises ont été repris et utilisés pour justifier des attaques contre les gens du Falun Gong en Chine. Là-bas, ils disent qu’au Canada les médias rapportent que les membres canadiens du Falun Gong posent de mauvaises actions. Mon nom a été utilisé comme une arme. Ça m’a vraiment blessé", a-t-il poursuivi.
Le bras de Pékin
D’après le sinologue Loïc Tassé, il est tout à fait plausible que le gouvernement chinois cherche à passer de la propagande dans les médias de la diaspora. "Les gens du Falun Gong ont probablement raison de croire que le gouvernement chinois puisse être derrière cela. Le gouvernement chinois agit dans les diasporas chinoises. Il lutte déjà contre Taïwan, ce ne serait donc pas étonnant qu’il le fasse aussi pour le Falun Gong. Mais comment? Ça c’est une autre histoire." M. Tassé souligne par ailleurs que les gens du Falun Gong sont devenus eux-mêmes très habiles dans l’art de la propagande. "Chaque fois que j’ai fait des communications sur le Falun Gong, j’ai reçu des téléphones et mes employeurs aussi. Ce sont des gens très actifs qui se servent de tous les instruments disponibles légalement pour empêcher qu’on dise des choses négatives sur eux… "
Une chose est certaine, à tort ou à raison, le Falun Gong dérange, notamment dans la communauté chinoise de Montréal. "Il y a beaucoup de gens de la communauté qui ne les aiment pas parce qu’ils mélangent la religion avec la politique. Avec leurs manifestations, ils monopolisent notre jardin public pour les personnes âgées", de commenter Roddy Chung, porte-parole du Centre uni de la communauté chinoise de Montréal. D’après M. Chung, Les Presses Chinoises auraient organisé une collecte de fonds chez cette population, il y a quelques mois, pour financer leur procès contre le Falun Gong. À son avis, la méfiance à l’égard du Falun Gong s’explique par le fait que la plupart des membres de la communauté, qui représentent un peu plus de 100 000 personnes, "ne veulent tout simplement plus entendre parler de politique".
Le Falun Gong est-il une secte?
Info-sectes ne considère pas le Falun Gong comme une secte, mais de nombreux observateurs prônent la méfiance vis-à-vis du mouvement. Loïc Tassé, tout comme l’auteur Antoine Paoli, sont formels à ce sujet: le Falun Gong est certes très éloigné du portrait qu’en fait l’État chinois, mais selon eux, il s’agit bien d’une secte. Le Falun Gong échappe notamment à la définition de "secte" parce qu’il ne forcerait pas l’isolement de ses disciples et ne réclame officiellement pas d’eux des fonds. D’après Mme Ching, les gens sont libres de choisir leur niveau d’engagement dans le groupe.
Toutefois, le mouvement défend toute une pléiade de croyances ésotériques qui laissent songeur. Par exemple, on enseigne que la pratique du Falun Gong peut guérir des maladies comme le cancer ou encore que la souffrance est une bonne chose parce qu’elle favorise l’élévation de l’esprit. À ce sujet, Mme Ching souligne que les pratiquants "peuvent aller à l’hôpital", mais on comprend que les meilleurs pratiquants ne sont pas ceux qui y vont le plus souvent: "Un pratiquant avec la droiture d’esprit a la capacité d’endurer la douleur. Mais si c’est trop dur, vous avez le droit d’aller à l’hôpital. Ça dépend de votre capacité d’endurer", explique-t-elle.
Des pratiquants disent aussi détenir différents pouvoirs surnaturels comme la capacité de voir dans le passé et dans l’avenir, la lévitation ou encore le don d’ubiquité. Toutefois, "le maître" leur interdit de se servir de ces pouvoirs inutilement. "L’enseignement nous dit qu’on peut développer des pouvoirs surnaturels. On peut sentir qu’on l’a, mais on n’a pas le droit d’en faire l’étalage. On ne va pas s’en servir comme David Copperfield! Le but du Falun Gong, ce n’est pas ça, c’est de retourner à l’état originel: vérité, compassion, tolérance", explique Mme Ching qui a commencé à pratiquer en 2001 "alors qu’elle avait beaucoup de problèmes dans sa vie personnelle et sentait qu’elle avait besoin de spiritualité".
Dans un article paru en 2001 dans le quotidien suisse Le Courrier, le journaliste Manuel Grandjean s’inquiétait notamment de l’ascendant du chef spirituel sur les fidèles. "Entre le disciple pratiquant et le maître, c’est un lien concret de dépendance qui s’établit. Au disciple d’observer scrupuleusement la discipline du mouvement (ce que, dans son jargon, il appelle "cultivation-pratique") et le maître prendra le contrôle de sa vie pour son plus grand bien." D’après lui, le problème réside dans le fait que la condamnation de la répression menée par le gouvernement chinois contre le groupe a "occulté tout débat sur les idées et les pratiques de ce nouveau mouvement religieux."
Aussi est-il intéressant de lire ce qu’a à dire le chef spirituel du mouvement au sujet de notre capacité à comprendre sa foi… Dans un discours livré à Toronto en 2003 accessible sur Internet, il encourageait ses ouailles à parler des valeurs chères aux "gens ordinaires" (les non-croyants) pour transmettre son message: "[…] il est très difficile pour les gens de ce monde de comprendre le principe de loi de Dafa et le sacré de la Loi en elle-même. Mais, pour l’homme, s’agissant de la violation des droits de l’homme, de la violation de la liberté de croyance dont les êtres humains parlent actuellement, s’agissant de ces domaines-là, ils peuvent comprendre. C’est pourquoi, pendant la clarification de la vérité, vous devez aussi parler autour de ces domaines, et les gens de ce monde comprendront, ils peuvent aussi donner leur soutien."