Menace écologique sur la baie des Chaleurs : Usine de merde
Société

Menace écologique sur la baie des Chaleurs : Usine de merde

Alors que la coalition d’environnementalistes du Nouveau-Brunswick reçoit le soutien tardif de ses collègues artistes et d’une partie grandissante de l’opinion publique attachée aux beautés de la baie des Chaleurs, la controverse entourant la future usine d’oxydation thermique de Belledune ne ralentit pas le projet. Vieux enjeux et vieux arguments: l’économie contre l’écologie, encore une fois…

2002: le gouvernement du Nouveau-Brunswick et la société Bennett Environmental, spécialisée dans le traitement des sols contaminés par oxydation thermique, après plusieurs mois de discussions, s’accordent sur la construction d’une usine capable de traiter 100 000 tonnes de sols contaminés aux hydrocarbures et à la créosote par an. L’usine, qui emploiera 35 personnes, devrait relancer l’économie dans une zone malmenée de la baie des Chaleurs, Belledune (2000 habitants).

Les deux premières années, les déchets proviendront du New Jersey, où Bennett vient de signer un lucratif contrat de 200 millions US $.

Dans les mois suivant l’entente, c’est le branle-bas de combat chez les environnementalistes du Nord du Nouveau-Brunswick. Rapidement rejoints par leurs voisins gaspésiens inquiets de voir débarquer un incinérateur à quelques kilomètres à vol d’oiseau de chez eux, ils tirent la sonnette d’alarme. Ils accusent la technologie utilisée – l’oxydation thermique – d’être hyper-polluante. Ils soutiennent que le procédé n’est pas homologué aux États-Unis, pourtant seule puissance à n’avoir pas signé le protocole de Kyoto…

En août 2003, les opposants créent la coalition Retour à l’Expéditeur dont le mandat est de lutter, bec et ongles, contre l’implantation de Bennett sans étude préalable "indépendante" sur l’impact environnemental de l’installation, et contre l’importation de déchets toxiques américains.

Un dépollueur qui pollue?
"Belledune est la septième ville la plus polluée du Canada, explique Geneviève Saint-Hilaire, porte-parole de la coalition. La présence d’une fonderie de plomb, d’une centrale thermique au charbon et d’autres industries lourdes confère à la région un taux de pollution extrême. Que va donner la combinaison des émissions toxiques déjà présentes avec celles du nouvel incinérateur? s’interroge-t-elle. Rien n’a été analysé et peut-être serons-nous en présence d’un cocktail encore plus nocif."

Selon la coalition, Bennett n’a pas tenu compte de la situation régionale – état de santé de la population, taux de pollution – avant d’implanter son usine. Une attitude qui peut surprendre. Toutefois, Claude Carpentier, vice-président du développement des affaires et communications, n’hésite pas à expliquer que les 28 000 tonnes de gaz à effet de serre rejetées annuellement par le système de combustion de l’incinérateur ne sont pas catastrophiques puisqu’elles représentent à peine 0,015 % de la production annuelle du N.-B. "On ne peut quand même pas arrêter de vivre de façon moderne! lance-t-il. Il y a un prix à payer pour le standard de vie qu’on a."

Les opposants martèlent de leur côté que la fonderie Noranda achète déjà aux pêcheurs du coin tous les homards pêchés dans certains secteurs de la baie des Chaleurs afférents à l’usine en raison de leur toxicité. Toute pollution additionnelle ne peut donc, selon eux, que rendre les secteurs de pêche encore plus impropres à la consommation et affecter le travail de 1400 pêcheurs.

La poubelle des États-Unis
Autre point discutable pour la coalition écologique: le traitement de déchets appartenant à l’Oncle Sam. "Si on applique le principe du pollueur-responsable, c’est à ceux qui produisent des déchets toxiques de les traiter à même le lieu de production, avance Mme Saint-Hilaire. Il existe des technologies mobiles moins polluantes et plus efficaces que l’incinération, dont le seul défaut est d’être plus coûteuses", déplore-t-elle.

Faux! rétorque M. Carpentier. "Aucune autre technologie que l’oxydation thermique ne fonctionne bien à l’échelle industrielle." Une réponse qui attire les foudres de Karel Ménard, directeur du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets. "Le principe fondamental est celui de la régionalisation de la gestion des déchets. Il faut gérer sur place." Pour appuyer ses propos, le chercheur cite l’exemple de Récupère Sol – unique filiale de Bennett, installée à Saint-Ambroise (Saguenay) – où 100 000 tonnes de déchets toxiques provenant d’un peu partout à travers le monde sont traitées annuellement. "Aujourd’hui, Saint-Ambroise est l’un des sites les plus contaminés au Canada", soutient-il.

Bennett se défend pourtant vigoureusement de contribuer à quelque forme de pollution que ce soit. "Les gens croient que notre technologie est très polluante. Ce n’est pas le cas, insiste Carpentier. Elle permet de dépolluer. Le type de traitement utilisé (l’oxydation thermique) se fait à une température de 1000 degrés Celsius et aucune contamination organique ne peut y résister. C’est donc inoffensif pour l’environnement."

Des données qui étonnent Karel Ménard. "Un incinérateur crée par définition plus de déchets qu’il n’en détruit, lâche-t-il. Les particules de gaz s’amalgament avec celles déjà présentes et, au final, le poids combiné de tous les rejets est plus élevé que le poids des déchets entrés dans l’incinérateur."

L’équation est simple. Claude Carpentier évoque pourtant la non-toxicité des sols contaminés importés des États-Unis. "Ils sont qualifiés de substances potentiellement dangereuses, pas de substances toxiques." Une explication qui est loin de satisfaire M. Ménard. "Si ces déchets n’étaient pas toxiques, pourquoi les Américains ne les garderaient-ils pas chez eux?" se demande-t-il.

Question d’autant plus pertinente que le vice-président reconnaît le possible rejet de dioxine (aussi appelée dioxines et furanes). Or, cette substance est l’une des plus dangereuses jamais conçues par l’homme. Pour sa défense, M. Carpentier objecte que "chaque jour, les fumeurs en émettent, tout comme les voitures ou les systèmes de chauffage des maisons et des hôpitaux". Ce qu’il ne dit pas, c’est que la dioxine est bioaccumulable.

Polluant extrêmement toxique, la dioxine pénètre en grande quantité dans les aliments et, par conséquent, dans l’organisme de celui qui les absorbe. "Sa particularité réside dans le fait que les animaux l’ingèrent et l’accumulent dans leur corps, précise M. Ménard. Comme c’est un imposteur endocrinien, la dioxine a des conséquences sur les foetus et les jeunes enfants. Elle envoie des signaux pour la croissance qui seront mal captés par l’hypophyse, laquelle transmet alors de mauvaises informations aux organes en développement." Ainsi, la dioxine peut provoquer des cancers et perturber les hormones (des chercheurs ont noté une nette augmentation du nombre de naissances de filles dans les zones particulièrement exposées).

Mondialisation contre régionalisme
Pour Geneviève Saint-Hilaire, la baie des Chaleurs est en train de faire les frais de la mondialisation à l’échelle locale. "Jusqu’à présent, seuls les pays du Sud étaient habitués à ce genre d’implantation industrielle – collusion avec les gouvernements locaux, absence de consultation, investissement d’une partie des profits dans la communauté", dit-elle. Mais cette fois, c’est la baie qui en subit les conséquences.

La situation est d’autant plus préoccupante, selon elle, qu’avant même l’achèvement de la construction, la perception des consommateurs a changé. "La Gaspésie veut devenir une région-pilote dans le domaine de l’agriculture biologique, explique la porte-parole. L’arrivée d’un incinérateur aura donc un impact énorme sur l’économie locale et constitue une menace sérieuse à son développement."

L’exemple de Kirkland Lake en Ontario – où Bennett envisageait de construire une autre usine – en dit long. "Dès l’annonce de la construction, une compagnie laitière a fait parvenir une lettre au gouvernement pour l’informer de sa volonté de ne plus acheter de lait aux producteurs installés dans les environs de l’incinérateur en raison de la pollution engendrée par cette industrie", raconte Mme Saint-Hilaire. Le gouvernement ontarien a opposé un non catégorique à Bennett Environmental. Carpentier jure cependant qu’une usine pouvant ingérer 200 000 tonnes de déchets par an est toujours envisagée. Qu’en est-il vraiment? Combien pèse l’avis de la population locale et des experts en protection de l’environnement dans la construction d’un incinérateur de sols contaminés?

Les travaux avancent à l’usine de Belledune. Car la controverse a beau battre son plein, Bennett Environmental est près du but: plus de 10 millions de dollars ont ainsi déjà été dépensés dans la construction de l’installation, sur un total de 23 millions. Est-il encore possible de faire marche arrière? Rien n’est moins sûr. Pourtant, les opposants au projet sont de plus en plus nombreux. Plus de 45 000 personnes ont déjà signé une pétition contre ce projet au Nouveau-Brunswick et au Québec, incluant les communautés blanche et autochtone, anglophone et francophone. Et quelques figures publiques tel Kevin Parent se sont jointes à l’opposition. À suivre.

www.baiedeschaleurs.net
www.bennettenv.com