Voilà Québec en México : Retrouver son latin
Société

Voilà Québec en México : Retrouver son latin

Quelques centaines d’écrivains, artistes, éditeurs et universitaires, un accueil chaud comme une tequila cul sec, une ministre qui ne sait trop sur quel pied danser… La grande Feria del libro de Guadalajara, dont le Québec était l’invité d’honneur cette année, aura projeté outre-frontières un parfait condensé du Québec actuel: une quasi-nation capable des plus grandes réalisations comme des plus patentes contradictions.

Dans l’avion, à l’aller, on fait des blagues de mauvais goût: "S’il fallait que cet avion-là tombe, un bon tiers du milieu culturel québécois disparaîtrait avec!" Et il y en a quelques-uns, des vols d’Air Mexicana remplis de Pierre Curzi, Gilles Vigneault, Ariane Moffatt, Line Beauchamp… C’est que tout ce petit monde a rendez-vous sous les latitudes mexicaines, fin novembre, pour l’ultime "saison" orchestrée par le Bureau des événements du Québec: Voilà Québec en México.

Toujours dans l’avion, une tequila plus tard, les langues se délient, en même temps que l’enthousiasme et son petit frère, le scepticisme. Pas quant au fun que nous allons tous avoir, sans le moindre doute, mais quant aux retombées véritables et à long terme d’un pareil déploiement culturel. Il faut dire que les deux premiers événements du genre, le Printemps du Québec à Paris (1999) et Québec-New York 2001, n’ont pas connu les résultats espérés. Dans le premier cas, la programmation avait été critiquée comme un peu trop "ceinture fléchée", mais surtout, l’étanchéité du milieu éditorial français avait laissé perplexe; pour ce qui est de Québec-New York, il n’a jamais eu lieu pour les raisons que l’on sait (les activités devaient commencer un certain 11 septembre…).

Une fois passé les tourniquets du Centre des congrès de Guadalajara, force est de le constater: le scepticisme est difficile à entretenir. D’abord, l’emplacement de l’Espace Québec ne pourrait pas être mieux choisi. Pas moyen de pénétrer dans le deuxième plus important salon du livre de la planète sans passer sous les banderoles bleu Québec – on se souvient qu’à Paris, les installations québécoises étaient coincées quelque part au fond du hall. Sous d’immenses reproductions de L’Hommage à Rosa Luxembourg de Riopelle, les curieux déambulent et les caisses enregistreuses tintent joyeusement.

"On vend plus ici qu’au Salon du livre de Paris!" s’exclame Pierre Lévesque, directeur des salons et des foires chez Québec Édition. L’oeil brillant, le vieux routier spécifie aussitôt que la plupart des achats sont des bouquins… en français. On parle de 50 000 pesos de ventes par jour, soit quelque 6500 dollars.

Qualité Québec
Devant le complexe, à l’extérieur, une autre fenêtre idéale que cette grande scène sur laquelle vont s’exécuter Yann Perreau, Les Batinses, Les Respectables… Sans compter toutes les activités présentées ailleurs, entre autres à l’Université de Guadalajara: colloque sur la caricature auquel participent nos Garnotte, Serge Chapleau et André-Philippe Côté nationaux; rencontre d’envergure sur la diversité culturelle… Un peu plus loin, dans le splendide Institut culturel Cabañas, on projettera Esquisses du Nouveau Monde, le très beau film d’art de Bernar Hébert consacré au peintre Stanley Cosgrove.

Les jours passent, les bonnes nouvelles abondent: Louise Mongeau vient de vendre deux de ses livres jeunesse, à 80 000 exemplaires chacun s’il vous plaît, à un réseau de garderies mexicaines; Francine Vernac, directrice de la petite maison de Québec Le Loup de Gouttière, paraphe une entente avec le géant mexicain Noriega Limusa; l’éditeur et auteur Gilles Pellerin lance une version espagnole de sa récente Anthologie de la nouvelle québécoise actuelle; plusieurs recueils de poésie, dont sont particulièrement friands les Sud-Américains, intéressent vivement les éditeurs d’ici; la chaîne de librairies Gandi entend maintenir un stock de bouquins québécois sur ses tablettes… Bien sûr, une poignée d’éditeurs jouent gros pendant que les autres jouent les figurants, mais ces derniers tâtent le terrain, promettant de se mettre à l’espagnol intensif dès le retour. Il faut les comprendre: au-delà des sensibilités communes, un petit tirage se chiffre, dans le monde hispanophone, en milliers sinon en dizaines de milliers, et non pas en centaines comme chez nous. Une ouverture que Gaston Bellemare, fondateur et directeur des Écrits des Forges, a vue il y a déjà belle lurette. Depuis plus de 15 ans, ce dernier négocie en effet des ententes de traduction et de diffusion réciproques, et c’est en territoire connu qu’il évolue à Guadalajara.

Oeufs brouillés, façon ministre
Voilà Québec en México marque donc une indéniable avancée des "Latinos del Norte", comme on dit là-bas, sur le lucratif terrain de l’Amérique latine. Même la ministre de la Culture Line Beauchamp, qui représente le gouvernement qui vient de signer l’arrêt de mort des Saisons du Québec – question de "premières priorités" -, paraît emballée, n’hésitant pas à parler, lors de fréquents points de presse, de la "fierté" ressentie devant l’accueil réservé à la "culture" et à l’"identité" québécoises. Dans le même souffle, elle devait bien colporter son message officiel, selon lequel "on peut faire autant avec les mécanismes de diffusion déjà en place", minimisant l’intérêt d’un événement pluridisciplinaire aussi articulé. En coulisse, les grincements de dents sont audibles, et Line Beauchamp marche sur des oeufs dont quelques-uns craquent sous le poids des contradictions.

"Tout ça va nous donner un argument incontournable auprès du gouvernement, me glisse un Gilles Pellerin tout sourire. Il devient de plus en plus clair que l’événement, finalement, n’aura pas coûté cher… Cette semaine illustre combien il est bête de dire que l’argent consacré à la culture, c’est de l’argent gaspillé. Sans compter le bien que nous font à tous de tels échanges. Ici, nous n’avons plus le nez collé sur notre littérature…"

Bouffée d’air pour les écrivains et artistes, occasion d’affaires pour les éditeurs, vacances pimentées pour les quelques inévitables pique-assiettes, Voilà Québec en México aura aussi été l’occasion d’un constat quasi unanime: condamner l’entreprise au moment même où le Bureau des événements – une OSBL indépendante – fait montre d’une expertise exceptionnelle et ouvre d’indéniables voies d’avenir, c’est mépriser un peu ce que le Québec a le goût de souffler à l’oreille du monde.