Société

L’Ennemi public #1 : La beauté cachée

C’est bien connu, chez nous, culture et subventions sont comme cul et chemise.

Ainsi, au début du mois de décembre, on apprenait que 19 M $ pigés à même l’argent des contribuables seront injectés dans un programme de rénovation du Palais Montcalm.

"Horreur! Hérésie!" se sont aussitôt excités quelques agitateurs populistes pour qui la culture est un immonde gouffre financier dans lequel on investit toujours indûment. Et n’allez pas croire qu’ils sont les seuls à penser ainsi. Écoutez attentivement ceux qui, autour de vous, soupirent à la seule évocation des Violons du Roy – dont la salle de spectacle sera désormais le quartier général – et ce concert d’expirations prendra des airs de clameur publique.

Normal. Entre le Messie de Handel et le massacre des "classiques" de Noël par Bruno Pelletier, la plupart d’entre nous ne connaissent que le second, voyant les musiques savantes comme un pan d’une culture élitiste à laquelle ils n’ont pas accès.

On se dit donc qu’il est bien inutile de dilapider les deniers publics pour permettre à un orchestre qu’on ne verra ni n’entendra jamais d’obtenir une salle décente et de posséder des instruments rares, comme un orgue de concert, un pianoforte et un clavecin. Et pourquoi donc investir dans une énième salle de spectacle, se dit-on encore.

Une réaction qui est dans l’ordre des choses.

Pas qu’elle soit juste, mais il s’agit d’une position qui n’est guère surprenante.

Aussi, en entendant ces critiques plutôt primaires à propos du Palais Montcalm et des Violons du Roy, je me suis souvenu d’un débat sur l’art auquel on m’avait convié quelques semaines plus tôt.

À mes côtés, certains participants tenaient à peu près le discours inverse. Une vision irréconciliable que j’ai trop souvent subie depuis que je m’intéresse à ce milieu: l’art est une chose pure, qui ne peut souffrir les lois du marché, qui n’a rien à voir avec le divertissement. Autant dire qu’il est inaccessible au commun des mortels.

Il s’agit d’abord d’un mensonge élitiste, mais aussi d’un accélérant à la flambée anti-intellectualiste qui sévit dans notre société rompue à la dictature du pragmatisme économique.

Exactement le type de discours qui, à l’inverse de l’effet qu’il souhaite avoir, contribue peu à peu à évacuer l’art et la culture des préoccupations du public, si ce n’est déjà fait, et à compléter la transformation des salles de classe en territoire de formation de futurs travailleurs. Point barre.

Que voulez-vous, le mépris attirant le mépris…

Difficile, donc, dans ces circonstances, de ne pas comprendre que tout un pan de la population s’inscrive en faux devant l’utilisation des fonds publics afin de financer le "divertissement" des élites.

Alors, la question demeure: doit-on investir dans la culture? Certainement! Surtout qu’ "un peuple sans culture est un peuple sans identité", alors mettez-en! Mais que l’investissement commence à l’école. Pas au cégep. Au primaire, bâtard!

Et faisons-le sans toutefois nous leurrer. Car même si vous m’aviez fait écouter de la musique baroque ou de l’opéra dès la petite école, ces airs me laisseraient sans doute toujours aussi indifférent. D’ailleurs, mon père, qui n’écoutait à peu près rien d’autre, n’est pas non plus parvenu à rendre mon oreille plus accueillante aux musiques savantes.

Mais il m’a bien fait comprendre la place qu’elles occupent dans l’histoire de l’art, les fondations qu’elles ont plantées pour que se bâtissent d’autres formes musicales. Qu’il n’est pas nécessaire d’apprécier spécialement une forme d’art pour en saisir l’importance.

Et si nous pouvions tous constater la valeur inestimable que recèlent ces musiques, par exemple, ou ce que peut représenter, pour ceux qui la font survivre, une salle de spectacle comme celle qu’on souhaite faire du Palais Montcalm, les termes de la discussion changeraient radicalement.

Surtout que tout le monde parlerait le même langage, ou enfin presque.

Mais j’entends déjà les profs et les responsables du ministère de l’Éducation me demander: "Et qu’est-ce qu’on dit aux parents qui demanderont pourquoi on apprend toutes ces choses apparemment inutiles à leurs enfants?"

Réponse stupide à une question stupide: "Pour qu’ils soient moins cons qu’eux!"