Les Bougon: réactions
Société

Les Bougon: réactions

Jean-Yves Desgagnés
Porte-parole du Front commun des personnes assistées sociales du Québec

"Nous étions huit personnes membres de groupes sociaux lors de la séance de prévisionnement en décembre et personne n’a ri. Au point où le coauteur était mal à l’aise. Cette émission nous complique énormément l’existence. Même si l’intention n’est pas de dénigrer les gens recourant à l’aide sociale, il n’en reste pas moins que de mettre en scène une famille qui a tous les attributs d’une famille de BS… Ça fait des années qu’on lutte contre des préjugés, contre l’image entretenue par les politiciens et les preachers médiatiques de l’intolérance, les Proulx, Arthur et le doc Mailloux."

"Il y a quelques jours à Québec, André Arthur nommait en ondes les noms de familles de la région qui correspondaient au portrait des Bougon. Nos inquiétudes étaient donc fondées. Notre stratégie est de ne pas partir en guerre contre l’émission, mais on reste inquiet. On ne veut pas contribuer à faire grimper les cotes d’écoute en donnant trop d’importance à l’émission, on espère plutôt qu’elles vont diminuer."

"Les personnes assistées sociales ne se reconnaissent pas dans les Bougon, qui sont des riches qui jouent aux pauvres. Les Bougon sont des ultra-libéraux, et M. Avard se dit de gauche… Ils se foutent de toutes les lois, normes, règlements, c’est l’apologie du libre marché. Les Bougon, c’est le prototype des gens d’extrême droite. Ils ne contestent pas le système, ils en profitent."

"On verra quel sera l’impact au cours des prochaines semaines. Si les preachers de l’intolérance reprennent le propos pour faire augmenter la haine et les préjugés, on ne laissera pas faire ça. On pourrait prendre des actions à l’endroit de Radio-Canada et des commanditaires." (Propos recueillis par Frédéric Denoncourt)

Viviane Labrie
Coordonnatrice du Collectif pour un Québec sans pauvreté

"Il faut exercer une certaine vigilance pour s’assurer que le travail qu’on fait ne soit pas affecté à cause de cette série. Qu’est-ce que les gens vont en penser? Est-ce que ça va générer des débats? Est-ce que l’émission va contribuer à faire diminuer ou augmenter les préjugés? Les voies de l’humour sont bien compliquées. Si trop de gens prennent cet humour de façon primaire, ce ne sera pas évident."

"Les Bougon, ce sont des entrepreneurs, c’est une famille gagnante hors du système. Identifier les Bougon à des gens de l’aide sociale, c’est une erreur à ne pas faire. Ce qu’on présente dans Les Bougon, c’est une culture marginale explosive. Ce stéréotype ne correspond pas du tout à ce que les gens vivent. Certains chroniqueurs font des analyses au premier degré, faisant de cette famille le portrait type d’une famille pauvre. On ne peut qu’espérer que ces propos soient isolés. Il faut surtout éviter de banaliser le fait qu’il existe de la pauvreté à cause de cette émission."

"Je laisse le droit aux auteurs de défendre leur émission, mais il faut savoir qu’à l’aide sociale, 80 % des fraudes sont le fait de 4 % des bénéficiaires. On doit changer notre regard pour faire diminuer les préjugés." (Propos recueillis par Frédéric Denoncourt)

Politiques du politiquement correct
En octobre dernier, les agriculteurs du Québec se déchaînaient contre les pubs de Bell qu’ils jugeaient "méprisantes" envers leur image. En novembre, le Conseil canadien souhaitait faire retirer des ondes un épisode de ER, feuilleton américain, dans lequel un personnage ayant perdu la vue tente de se suicider. Les membres du Conseil trouvaient que l’émission véhiculait une image négative de la dépression post-traumatique chez un aveugle. Et aujourd’hui, le Front commun des personnes assistées sociales a demandé un prévisionnement de la nouvelle série Les Bougon afin de s’assurer que l’image de ceux que le Front représente ne soit pas bafouée. Finalement, bien que monsieur Desgagnés, le coordonnateur de l’association, n’ait pas ri, il semble que ce n’était pas si pire. Fiou!… Est-ce que, à l’avenir, on pourra montrer à la télévision un moustachu faire rire de lui sans avoir l’Association des moustachus sur le dos? À Radio-Canada, on affirme qu’il n’y a jamais de prévisionnements. "Ce fut une décision prise par la maison de production Aetios, affirme Marie-Josée Leblanc, directrice des relations publiques. Nous croyons que c’est au public de juger, c’est une question de choix." La société d’État reçoit, semble-t-il, très peu de demandes pour de tels visionnements, en dehors des journalistes. "C’est arrivé une fois pour la série Le Dernier Chapitre (par des personnes dont elle ne se souvient plus…), mais la demande a été refusée." Selon la maison de production Aetios, il s’agit d’une première. "Il y avait eu des craintes de la part des médecins par rapport à Urgence, mais il n’y avait pas eu de prévisionnement", explique Noémie Sirois, attachée de presse chez Aetios. Elle poursuit: "Cette fois, la demande est venue de monsieur Desgagnés et nous l’avons acceptée car nous sentions que nous n’avions rien à cacher. Cela a permis de le rassurer, en lui montrant que dans cette satire, tout le monde en prend pour son rhume." Madame Fabienne Larouche se sentait donc suffisamment confiante pour permettre le visionnement de sa production par cinq membres du Front commun des personnes assistées sociales, deux personnes du Collectif pour un Québec sans pauvreté et un représentant du Mouvement d’aide à toute détresse quart-monde.

Zénaïde Lussier est conseillère juridique spécialisée dans les films de fiction, documentaires et télé-séries. "En règle générale, les producteurs ne divulguent pas le contenu de leurs émissions, sauf aux médias ou lors de ce qu’on appelle des visionnements de courtoisie, aux amis, aux familles ou à l’équipe. Mais je ne pense pas que ce soit la règle. Cependant, chacun dirige sa barque comme il l’entend", affirme-t-elle. En étudiant minutieusement les contenus des scénarios et en visionnant toutes les productions, la tâche principale de madame Lussier est de s’assurer que les producteurs ne soient pas poursuivis. Elle explique que "lorsqu’un individu croit se reconnaître dans un personnage de film ou d’une série, il porte plainte contre les producteurs et ceux-ci s’exposent alors à des poursuites judiciaires. Mais lorsqu’un groupe social est inquiet, cela soulève des débats d’idées, et ça, c’est excellent pour la série." Elle ajoute que "s’ils avaient pensé que leur émission pouvait profondément choquer les assistés sociaux, les producteurs ne la leur auraient probablement pas présentée". Avec tout ce battage médiatique et plus d’un million et demi de spectateurs pour le premier épisode, on peut effectivement déduire qu’il s’agissait là d’une bien bonne stratégie promotionnelle… (Vanessa Quintal)