Société

L’Ennemi public #1 : Royale flush

"Les vidéopokers, c’est pire que le crack, ça brise des vies, ça détruit des familles", m’a dit Claude, un adepte des courses de chevaux que je venais tout juste de rencontrer dans les gradins de l’Hippodrome de Québec.

C’était dimanche, le ciel s’effritait pour tomber en légers flocons soyeux, embourbant la piste qu’un chasse-neige jaune-Caterpillar déblayait entre chacune des épreuves au programme ce soir-là.

Je dois vous l’avouer: je n’ai jamais rien compris aux courses.

Ni d’ailleurs quoi que ce soit aux autres jeux de hasard, à la loto, au poker, aux casinos.

Très peu pour moi, la mystique du jeu: cette conviction métaphysique d’avoir mis au jour un système infaillible; qu’après avoir longtemps perdu, on ne peut que gagner; qu’à un certain moment, la chance tournera en notre faveur pour nous faire récupérer ce qu’on a perdu. Et même plus encore. Si Dieu le veut.

Mais Claude y croit, lui. Il s’excitait même un peu devant mon incrédulité, me chuchotant les détails de ses "lois" concernant le gambling: "Tu ne peux pas faire la passe avec de l’argent qui vient de tes poches. Si tu veux miser gros et gagner, il faut que ce soit du cash qui vient des paris, ou de la loto, sinon ça marche pas", m’assurait-il le plus sérieusement du monde.

Je ne trouvai rien de mieux pour répondre qu’un sourire.

J’étais venu là pour comprendre ce qui m’échappe dans le jeu, pas pour découvrir une méthode ésotérique afin de crosser le système. Je voulais palper l’ambiance du monde des courses, et ensuite connaître l’avis de ceux qui y assistent en ce qui concerne la proposition que la SONACC (Société nationale des chevaux de course) doit soumettre à Yves Séguin.

Mais peut-être n’avez-vous pas relevé la nouvelle la semaine dernière? On y apprenait que la société déposerait auprès du ministre des Finances une motion visant à relocaliser de nombreuses machines de loterie vidéo dans l’enceinte des hippodromes afin d’en assurer la survie, souhaitant ainsi en quintupler le nombre actuel.

Pour l’instant, à l’Hippodrome de Québec, il n’y a qu’une salle où trônent 100 machines regroupées en 10 îlots. Un véritable mouroir de l’âme. Il y règne un silence frigorifique, alors que devant presque chacune des consoles en place, de pauvres diables s’évertuent à flamber leur paye. Ou leur seconde hypothèque. Vous y entrez prudemment et en ressortez presque en courant, de peur d’être contaminé par le regard vide des madames qui s’accrochent à leurs mégots, comme pétrifiées par l’appât d’un gain qui ne vient jamais.

En contrepoint, l’excitation ténue qui régnait dans les gradins, bien que vastement désertés ce soir-là, avait des airs de carnaval.

J’ai profité d’une accalmie pour demander à Claude s’il trouvait acceptable qu’on multiplie ces petits cancers qui rongent le pauvre monde pour qu’il puisse encore venir aux courses.

"Pas mon problème", m’a-t-il signifié en haussant les épaules avant d’aller rejoindre les autres membres de ce qu’il désignait affectueusement comme son club social.

C’est son pote Rosaire qui m’a répondu à sa place: "Ils font déjà ça en Ontario, m’a dit cet ancien propriétaire de chevaux. Eux, au moins, ils ont compris que ces machines-là ne sont pas seulement pour enrichir les propriétaires de salles de bowling, mais aussi pour financer les autres types de jeux d’argent, et que ça garde l’industrie en vie. Tu sais, mon p’tit gars, y a ben du monde qui vit de ça, ici, les courses."

J’avais envie de lui dire qu’en ajoutant des machines de vidéopoker, il y aurait probablement du monde qui en mourrait aussi.

Mais à quoi bon…

En retournant vers mon siège, juste avant le départ de la huitième, je me demandais si Claude et Rosaire étaient des pragmatiques, voulant seulement tirer un peu de profit de la manne, ou s’ils étaient simplement inconscients, ou juste cyniques…

Mais ma réflexion a tourné court quand, soudainement, tout le quartier s’est éteint, plongeant l’Hippodrome dans la noirceur. La panne. Arrêt des courses pour ce soir. Avec ce que je venais d’entendre, ça m’apparaissait comme une sorte de punition divine.

En longeant les murs pour tenter de sortir de ce dédale de béton en décrépitude – et sans aucune lumière d’urgence! -, j’étais plus convaincu que jamais qu’il n’y a aucune mystique dans le jeu.

Seulement une forme de logique immuable à laquelle répond aussi la multiplication des loteries vidéo dans les hippodromes.

L’arnaque de la multitude pour le bénéfice de quelques-uns.

Vous l’ai-je dit? J’ai bien aimé ça, les courses. Mais avec ce que j’y ai entendu, j’en garde un souvenir plutôt amer.

***

Vous pourrez le constater en vous rendant en page 8 (copie papier), la chronique Ondes de choc de Richard Martineau prend racine dans Voir Québec. Polémiste aguerri, personnalité télévisuelle et radiophonique, figure emblématique du journal Voir, Martineau est un brillant provocateur qui saura non seulement vous divertir, mais aussi bousculer vos convictions et sans doute même vous amener à revoir certaines idées reçues. Ce sera une joie de profiter chaque semaine de son sens aigu de la critique sociale et culturelle dans nos pages d’actualité, sentiment que vous partagez, j’en suis sûr.