Une Église rock'n'roll : Au nom du Père, d'Elvis et du sain d'esprit
Société

Une Église rock’n’roll : Au nom du Père, d’Elvis et du sain d’esprit

Les églises sont vides? La foi fout le camp? Pas de panique. Le révérend DORIAN A. BAXTER a trouvé la solution pour ramener dans le droit chemin les âmes perdues: livrer le message du Christ à la manière d’Elvis Presley. Après tout, ce ne serait pas la première fois que le saint nom du King ferait des miracles!

"Oh well it’s one for the father, and two for the son, three for the holly spirit and you’re life as just begun!"

C’est par cette version revue et corrigée du fameux Blue Suede Shoes que vous pourriez être accueilli si, d’aventure, vous vous pointiez à la Légion royale canadienne pour assister à l’office du dimanche de l’Église Christ The King Graceland de Newmarket, une petite bourgade sise à 30 minutes de Toronto, pour y entendre le révérend Dorian Arthur Baxter, alias Elvis Priestley, comme il s’est lui-même rebaptisé.

Un autre de ces cracks du King, direz-vous, qui s’évertuent à l’imiter jusque dans ses moindres mimiques? Oui et non. Car Baxter, en homme de Dieu, se donne surtout pour mission de transformer les paroles d’Elvis en gospel pour ramener ses ouailles à l’église, et faire redécouvrir le message du Christ. Et ce personnage haut en couleur prônant cet étrange mariage entre le King du rock et le King de la Bible semble en voie de gagner son pari: les fidèles affluent chaque semaine pour l’entendre rouler ses inimitables "Jeeesssuusss!". "J’ai plus de chances que n’importe qui de ramener les gens vers Jésus parce que lorsque je livre mon message, tous les gens s’amusent. Je parle aux gens de Jésus, et ils m’écoutent car je le fais à travers Elvis", soutient celui qui a été sacré "évêque de Beale Street", la célèbre rue du nightlife musical de Memphis, par nul autre que le maire de l’endroit, qui lui a par la même occasion remis les clés de la ville.

Cœur de rocker
C’est alors qu’il n’a pas encore six ans, à Mombassa au Kenya où il passera son enfance, que Baxter est foudroyé par la musique du King du rock, Elvis Presley. Il ne cessera dès lors de se fondre à son image, de chercher à l’imiter dans son look et sa voix. Sportif aguerri, il sera champion kenyan de nage sur le dos et malmènera quelques mâchoires en livrant 15 combats de boxe, conservant une fiche honorable de 9 victoires et 6 défaites. Devenu entraîneur, il sera une nouvelle fois foudroyé, par l’autre King cette fois, celui de la Bible, Jésus. "J’ai alors réalisé que la boxe était un sport trop violent et je l’ai abandonnée. Aujourd’hui, j’utilise ma mentalité de boxeur pour combattre le diable."

Baxter s’installe au Canada en 1968. Résolu à répandre la bonne parole et à aider son prochain (et non plus à lui brasser les neurones!), il décide de troquer sa nouvelle profession d’enseignant contre la prêtrise. Ordonné prêtre anglican en 1983, il est dépêché à Thunder Bay pour assister le prêtre de l’endroit. Nouveau choc: toute musique n’est pas aussi salvatrice et galvanisante que celle d’Elvis, et de nombreux jeunes sont en complet désarroi, constate-t-il. L’assassinat d’un jeune homme à cause de dettes de drogue perturbe profondément Baxter, et l’incite à agir. "Quand j’ai découvert que plusieurs jeunes prenaient des drogues dures, telle l’héroïne, et écoutaient des groupes comme AC/DC, Black Sabbath ou Mötley Crüe, j’ai réalisé que cette musique les poussait vers le mal. Certains faisaient des overdoses, ils écoutaient Highway to Hell d’AC/DC, dont le message était: "Si vous mourez d’une overdose, vous irez en enfer et ce sera le party là-bas!" Mon mandat de prêtre était de combattre le péché et le diable. Or, le diable pourchassait déjà ces jeunes par le biais de ces groupes. Il fallait combattre le feu par le feu: j’ai donc décidé d’utiliser la musique d’Elvis."

À l’église comme à l’extérieur, Baxter se donne dès lors pour mission de faire échec au mal en compagnie de ses plus fidèles alliés: Elvis et Jésus. Ne lésinant pas sur les moyens, il monte son propre groupe pour contrer tous les Black Sabbath du monde: Jesus Rock Over Salvation. Il se précipite aussi au K-Mart de Sault-Sainte-Marie pour y acheter les six derniers vestons rouges, style Michael Jackson. "J’ai choisi les rouges pour honorer le sang de Jésus. Nous allions combattre le pouvoir du diable par le sang du Christ." Sur les vestons, il fait inscrire un immense "Jesus Rock" en guise d’avertissement aux mauvais esprits. "Le but est d’utiliser la musique rock pour notre salut."

Satan, sors de ce corps
Mais l’adversaire se trouve parfois là où on ne l’attend pas. Il y a deux ans, alors qu’il est de retour dans le Sud de l’Ontario, les choses se gâtent. Bien que les offices soient pleins de fidèles enthousiastes, la hiérarchie anglicane ne semble pas du tout apprécier les mises en scène du prêtre rocker, et lui ordonne de cesser sur-le-champ de confondre Elvis avec les Saintes Écritures. "Le nouvel évêque m’a alors appelé pour me dire qu’il n’aimait pas du tout Elvis, que ce dernier était le démon. Il m’a également dit qu’il ne voulait plus jamais que je m’appelle Elvis Priestley. Je lui ai répondu qu’Elvis, même s’il n’était pas parfait, n’était pas le démon, et qu’il croyait en Jésus. Il n’a rien voulu entendre et m’a dit qu’il ne voulait plus rien savoir d’Elvis, et que si je n’arrêtais pas de l’imiter, je serais expulsé de l’Église."

En dépit de nombreuses tentatives pour rencontrer l’évêque afin de réparer les pots cassés, sa cause ne sera jamais entendue. Ses mésaventures auront toutefois des échos jusqu’en Chine, alors que le China Post lui consacrera sa une. "On n’a même pas eu la décence de me passer un coup de fil; ils ne mettent pas en pratique ce qu’ils prêchent sur la résolution des conflits. J’ai appris que tout le collège des évêques était contre moi, et que je ne pourrais plus jamais prêcher dans aucune église anglicane au Canada. Pourtant, j’ai amassé plus de 200 000 $ pour les Églises anglicane, catholique et unie du pays. Personne ne s’est jamais plaint de moi. Même les dames âgées de 90 ans aiment mon Elvis…"

Il jure avoir reçu l’appui de nombreux anglicans qui disent ouvertement qu’il ne prêche que le message de Jésus, le seul véritable roi. "J’utilise le roi du rock pour amener les gens au roi des rois. Même Elvis, lors du plus grand concert de l’histoire de Las Vegas, en 1972, a interrompu son spectacle quand ses fans agitaient de grandes pancartes sur lesquelles il était écrit: "Elvis, tu es le King", pour leur lancer: "Merci de dire de si belles choses, mais ne m’appelez plus jamais le King, car il n’y a qu’un roi et c’est Jésus-Christ.""

Le révérend rocker est convaincu d’avoir bien agi, se défendant bien d’avoir transformé en vaudeville l’enceinte de l’Église anglicane. Sa musique a changé les jeunes, jure-t-il. "Des centaines d’entre eux ont abandonné tout ce qui est lié aux drogues. Nous avons formé les soldats du Christ. On a nos t-shirts. Ils adorent ça et donnent leur vie à Jésus."

Vive l’Église anglicane libre!
Aujourd’hui, Baxter accepte le verdict avec sérénité. Il a fondé récemment l’Église anglicane indépendante du Canada, sa fameuse Christ The King Graceland, puis la Fédération des Églises anglicanes indépendantes d’Amérique du Nord. "J’ai été consacré archevêque de York, et premier archevêque de la Fédération. Aujourd’hui, six évêques aux États-Unis songent à se joindre à la Fédération. S’ils le font, nous compterons deux fois plus de membres que l’Église anglicane du Canada." Comme quoi les choses finissent toujours par s’arranger. "Well, God bless you my friend. And I should say: thank yuuuuuuh", conclut le révérend dans le plus pur style "elvisien" avant de prendre congé.

www.elvispriestley.com