Centrale du Suroît : Dormir au gaz
Société

Centrale du Suroît : Dormir au gaz

La centrale thermique du Suroît est un "bon projet" selon Hydro-Québec, et un projet "qui n’a aucun sens" selon Greenpeace. La centrale, qui fera bondir de 3 % les émissions de gaz à effet de serre au Québec, devrait, selon le gouvernement, "répondre aux besoins énergétiques du Québec à moyen terme". Parlons un peu de ces "besoins"…

Le hasard fait parfois bien les choses. Alors que la province bat des records de froid, le président d’Hydro-Québec, André Caillé, et le ministre des Ressources naturelles du Québec, Sam Hamad, en profitent pour confirmer la construction de la centrale thermique du Suroît, au coût de 550 millions de dollars.

Un projet "incontournable", selon le ministre Hamad. Ayant déjà été rejeté par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), le projet nous revient en version "améliorée", un qualificatif que les critiques n’ont pas tardé à remettre en question.

Les environnementalistes trouvent que les avantages de cette centrale thermique ne valent pas le coût environnemental qu’elle engendrera. "Notre objectif pour Kyoto est de 6 % et ce seul projet fera augmenter nos émissions de gaz à effet de serre de 3 %, dit Steven Guilbeault, porte-parole en matière de réchauffement climatique chez Greenpeace. Notre objectif vient donc de grimper à 9 %."

La Centrale des syndicats du Québec (CSQ), qui qualifie le projet de "malheureux", s’étonne du changement de discours d’Hydro-Québec sur l’utilité de cette centrale. "Comment croire que le projet de centrale thermique du Suroît soit indispensable à la "sécurité des approvisionnements" des Québécois en vue de 2008 alors que le projet initial était motivé pour permettre à Hydro-Québec de "profiter des occasions d’affaires sur les marchés"?" peut-on lire dans un communiqué de la CSQ.

Même le ministère de l’Environnement, dans un rapport publié le 8 décembre 2003, émet des réserves quant à la raison invoquée par Hydro-Québec et le ministère des Ressources naturelles pour justifier le projet (combler le "trou" énergétique du Québec entre 2007 et 2010, en attendant la construction de nouveaux barrages hydroélectriques): "La réalité des marchés actuels, qui permet d’exporter facilement de l’électricité, permet d’en importer tout aussi facilement pour combler la période avant la mise en service des nouveaux projets hydroélectriques."

Penser l’énergie comme au 21e siècle
L’"urgence d’agir" qu’invoque Hydro-Québec pour justifier la construction d’une centrale qui polluera autant que 600 000 voitures ne convainc personne. Lorsqu’on met d’autres lunettes que celles de la croissance économique, d’autres solutions, moins coûteuses et moins polluantes, apparaissent comme par magie. Certains critiques s’interrogent. Pourquoi ne pas plutôt s’attaquer à réduire nos "besoins"? Quelles mesures auraient pu être prises en ce sens? Ces mesures d’économie d’électricité auraient-elles pu donner la marge de manœuvre nécessaire avant la construction de nouveaux barrages hydroélectriques, rendant inutile ce virage thermique? Faut-il construire une centrale polluante pour subvenir à nos besoins grandissants en électricité ou chercher à réduire ces mêmes besoins?

Une journée, 500 mégawatts
Les Québécois sont parmi les plus grands consommateurs d’électricité au monde. À cause du coût très bas de notre électricité, on l’utilise sans discernement. Au chapitre de l’économie d’énergie, il y a donc beaucoup de place à l’amélioration. Hydro-Québec en a d’ailleurs fait la preuve la semaine dernière. Craignant que son réseau ne suffise pas à la demande à cause du froid intense, la société d’État a pris des "mesures d’urgence" en demandant à la population de réduire sa consommation d’électricité. On a imploré la population de réduire le chauffage résidentiel de deux degrés, d’éteindre les lumières dans les pièces inutilisées, de limiter l’usage d’eau chaude, etc. Celle-ci a répondu à l’appel et, en une seule journée, les efforts collectifs ont permis à Hydro-Québec d’économiser quelque 500 mégawatts d’électricité. Le Suroît ajoutera entre 800 et 930 mégawatts d’électricité au réseau d’Hydro-Québec.

C’est donc dire qu’en une seule journée, en période de grand froid, grâce à quelques trucs simples, on a pu économiser plus de la moitié de l’électricité qu’entend produire la centrale du Suroît.

Économies potentielles
"Le gouvernement se fie à l’électricité comme moteur de l’économie, dit Benoît Perron, président d’Énergie solaire Québec, un organisme sans but lucratif voué à la promotion des énergies vertes. On n’a jamais exploré le potentiel économique de la réduction de nos besoins en électricité. Personne n’a eu la volonté politique de le faire."

Benoît Perron a récemment fait la couverture du magazine La Maison du 21e siècle. En matière d’économie d’énergie, c’est un obsédé. Il fait la promotion de l’énergie solaire depuis plus de 20 ans, et plus particulièrement du chauffe-eau solaire, une installation coûtant environ 3800 $ et qui pourrait faire économiser quelque 50 % des coûts d’électricité liés au chauffage de l’eau. Benoît Perron a fait son mémoire de maîtrise sur les mesures pouvant être prises pour économiser l’énergie à la maison. "Selon mes conclusions, il est possible d’économiser jusqu’à 50 % de l’énergie utilisée dans une résidence en mettant en branle des mesures dont le coût peut s’amortir sur tout au plus cinq ans." La plupart de ces mesures, il les a d’ailleurs installées chez lui.

Efforts timides, résultats encourageants
L’Agence de l’efficacité énergétique du Québec (AEE), un organisme gouvernemental qui fonctionne avec un maigre budget annuel de 9,7 millions de dollars, a publié, en décembre 2002, le bilan de ses cinq premières années d’existence. On peut y lire qu’entre le 3 décembre 1997 et le 31 mars 2002, les différents projets mis de l’avant par l’AEE ont permis d’économiser l’équivalent annuel de 250 000 mégawatts, soit l’équivalent des besoins énergétiques annuels de 10 000 maisons. On tient quelque chose. "Il y a une prise de conscience des Québécois quant à la consommation responsable de l’électricité, mais on a encore du chemin à faire", dit le responsable des communications à l’AEE, Jean Guay.

Combien d’emplois, combien d’économie d’énergie et combien de réduction des gaz à effet de serre pourrait faire l’Agence de l’efficacité énergétique si elle avait un budget de 550 millions $, soit celui que l’on est prêt à octroyer pour la construction de la centrale du Suroît? Pourrait-on propulser vers de nouvelles sphères le concept de maison éco-énergétique Novoclimat (on en compte près de 800 à ce jour), ou financer des chauffe-eau solaires pour les propriétaires…

Manque de leadership en matière d’économie d’énergie
Hydro-Québec, un fournisseur d’électricité, est fort mal placée pour jouer un rôle prédominant en matière d’économie d’énergie, soutient Benoît Perron. L’attaché politique du ministre Hamad, Pierre Choquette, est toutefois d’avis que la société d’État aurait tout à gagner si les Québécois consommaient moins d’électricité: "Si Hydro-Québec réussissait à réduire la consommation énergétique à un point tel qu’il y aurait plus d’énergie à consacrer à l’exportation, ce serait payant pour les Québécois."

"Dans le contexte québécois, le gaz naturel ne fait aucun sens, dit Steven Guilbault. En Allemagne, par exemple, si on utilise le gaz naturel pour éliminer l’utilisation du charbon ou du nucléaire, c’est une avancée. Mais au Québec, une centrale thermique au gaz naturel est plus polluant que tout ce qu’on fait déjà."

Qui aura la volonté politique de réaliser un tel programme? Le gouvernement Charest est "prêt" à bien des choses, mais pas à donner au Québec une politique énergétique progressive et pertinente dans un contexte où le réchauffement climatique est, à ce jour, un problème beaucoup plus préoccupant que les supposés ratés à court terme du réseau d’Hydro-Québec.