Le 16 février prochain, le CRTC siégera ici même, dans l’Autre Capitale Nationale, afin de juger, parmi d’autres choses, du sort de notre bien-aimée/mal-aimée radio-bulldozer.
Pour faire simple, en dehors des vengeances personnelles et du paternalisme des institutions fédérales, deux visions s’opposent dans ce dossier. Deux opinions aussi irréconciliables que Michael Moore et George W. Bush; aux antipodes, à peu près comme Gilles Parent et moi ces jours-ci. Mais ça, c’est une autre histoire.
Pour en revenir au débat qui nous occupe, on pourrait, si vous me permettez la métaphore, évoquer un combat opposant deux pugilistes. Deux rivaux comptant chacun leur lot de points forts et faibles.
Alors pour nous amuser, examinons les fiches des adversaires.
À votre droite, vous retrouvez les Forts en gueule, tenants des privilèges de l’individu, de son inaliénable droit à s’exprimer comme il l’entend. Et à l’auditeur d’écouter ce qui lui chante. Ils s’affichent comme libres-penseurs, pourfendent les faux-semblants et vilipendent les institutions. Dans le Far West du monde moderne, ils se présentent comme autant de justiciers incorruptibles.
Points forts:
1- Que ce soit dans la version soft que proposait autrefois Robert Gillet, dans celle plus hardcore employée par Jeff Fillion, ou dans son incarnation heavy-populiste signée André Arthur, l’auditoire de Québec adore la radio qui fesse. Il en redemande et lui confère ainsi une caution populaire.
2- En marge d’un bon goût qu’ils considèrent comme un fard pour masquer les mensonges d’une élite contrôlante, les Forts en gueule capitalisent sur l’intelligence d’un auditoire qui, selon eux, sait faire preuve de discernement. Une affirmation absolument racoleuse, mais d’une efficacité remarquable.
3- La liberté d’expression demeure leur indéfectible alliée.
Talon d’Achille: Ils doivent se soumettre au Règlement sur la radio du CRTC (voir les points forts de leur adversaire), à défaut de quoi ils pourraient être disqualifiés.
Fait marquant: Ils ont déjà rallié de très nombreux citoyens à leur cause, ceux-ci ayant envoyé au CRTC des centaines de lettres d’appui.
Maintenant, à votre gauche, vous apercevez les Tenants du bon goût et de la rectitude politique. Des mercenaires du gouvernement, entraînés dans les meilleurs camps fédéraux. Implacables, ils s’alimentent à même les nombreux détracteurs de leurs adversaires afin de mieux saisir leur degré de vulnérabilité. Notez qu’ils sont seuls maîtres des ondes après Dieu, et qu’enfin, eux aussi se présentent comme de très impartiaux justiciers à la solde du peuple.
Points forts:
1 – Le CRTC se pointe avec une bonne longueur d’avance sur ses adversaires. Il a déjà infligé à CHOI-FM une féroce torgnole en la soumettant à un renouvellement conditionnel de sa licence.
2 – Les membres du CRTC sont les représentants officiels du gouvernement canadien. Puissants, ils sont juges, jurés, et même un peu partie.
3 – À la liberté d’expression, ils opposent le Règlement sur la radio, qui interdit l’utilisation de "propos offensants qui, pris dans leur contexte, risquent d’exposer une personne ou un groupe ou une classe de personnes à la haine ou au mépris pour des motifs fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge ou la déficience physique ou mentale".
Talon d’Achille: Il est idéologique, car ses détracteurs reprochent au CRTC d’être devenu une police du bon goût, allant à l’encontre de la liberté d’expression, fondement de nos démocraties.
Fait marquant: Le CRTC est déjà parvenu, par le biais d’une licence probatoire, à tiédir le discours des Forts en gueule.
Alors, maintenant que vous avez ces fiches en main, qu’en pensez-vous? Qui devrait gagner? Lequel de ces deux adversaires est le plus susceptible de défendre nos droits et libertés? Ceux qui portent plainte ont-ils raison de le faire? Museler les animateurs de la radio- bulldozer porterait-il vraiment préjudice à la liberté d’expression?
Cette fois, c’est vous j’aimerais entendre, ou plutôt lire. Envoyez-nous votre opinion concernant ce combat à finir en réagissant à cette chronique par le biais de notre site Internet www.voir.ca, par courriel à l’adresse [email protected] ou par télécopieur au (418) 522-7779. Les meilleurs commentaires seront publiés dans l’édition du 12 février, qui sera en kiosque lors du passage du CRTC à Québec.
En terminant, pour synthétiser le débat en paraphrasant très librement l’expert en communications Florian Sauvageau, je vous pose la question suivante: dans quel genre d’État préférez-vous vivre? Dans celui qui laisse les animateurs de radio s’exprimer tout à fait librement, au détriment de ceux qu’ils peuvent blesser, ou dans celui qui les censure avant qu’ils n’aient pu le faire?
À celaj’ajouterais: peut-on imaginer une forme de compromis?