Société

Ennemi public #1 : Pour en finir – une fois pour toutes – avec la liberté d’expression (fin)

Je sais, vous n’en pouvez plus d’entendre parler de CHOI et du CRTC. Moi non plus d’ailleurs. Surtout qu’à ce stade-ci, on tourne plutôt en rond à se renvoyer la balle entre détracteurs et supporteurs.

Mais comme l’ont répété plusieurs confrères, et pour reprendre l’expression consacrée par les deux guérilleros de la prostitution juvénile: le problème, c’est aussi les clients.

Aussi, si je me suis rendu aux audiences du CRTC la semaine dernière, c’était surtout pour observer les supporteurs de CHOI et pour voir Guy Bertrand prendre ses airs de Jules César devant une foule en liesse, ivre d’admiration, applaudissant debout l’illustre juriste. Un amant des kodaks qui est une telle girouette que les arguments de la poursuite qu’il a lui-même intentée contre Gilles Proulx, il y a quelques années, vont exactement dans le sens contraire de ceux qu’il invoque pour défendre Genex. Mais bon, l’expression avocat opportuniste tient plutôt du pléonasme…

Alors revenons à nos bozos.

Une bande huant et chahutant les membres du CRTC à chaque commentaire défavorable à CHOI, une bande de mongols à batterie telle qu’on aurait cru voir des parents de joueurs à une partie de hockey d’une ligue atome B.

Si c’est ça "être Radio X", je préfère encore être radioactif, ou même "radionécrosé" tout entier, tiens. Car à ce cirque où ne manquaient que le pop-corn et les dompteurs assistaient des poivrots comme vous en voyez rarement dans une telle concentration, exactement le genre de "petit monde" désœuvré sur lequel Arthur et Fillion crachent régulièrement: un magnifique paradoxe qui perdure depuis longtemps déjà, une sorte de syndrome de Stockholm par les ondes, où le bourreau devient l’idole de ses victimes.

Mais attention, il n’y pas que des dégénérés à coupe Longueuil et que ceux qui les écoutent pour les détester qui syntonisent Arthur et Fillion.

En fait, la vaste majorité de leurs auditeurs répond à l’appel de ce que Lawrence K. Grossman, ancien directeur des nouvelles de NBC et ancien président de PBS, décrit comme "un phénomène de démocratie directe inégalé depuis celui des anciennes cités grecques".

Ils sont le canal d’expression de tous les laissés-pour-compte. Ceux qui n’aiment ni Virginie, ni La Fureur, ni Star Académie, ni Loft Story. Ceux qui préfèrent le sport à la culture et la bagarre aux beaux jeux de passe. Ceux qui n’aiment pas la complaisance des médias traditionnels et qui vomissent sur les soi-disant intellectuels qui en font pourtant la critique, mais qui se révèlent trop timorés, ou trop gaugauches à leur goût.

Impuissants, désabusés de la politique, ils haïssent ceux qui détiennent le pouvoir, et encore plus violemment ceux qui profitent de leur célébrité ou de leur rang social pour obtenir quelques privilèges et faveurs.

À Québec, dans la quiétude de notre ville de taille moyenne où les citoyens se sentent si loin et pourtant géographiquement si proches du pouvoir, l’explosion d’une émission de radio à contre-courant comme Le Monde parallèle n’est donc guère surprenante.

On y retrouve le confort des petits préjugés, le bonheur de la médisance dans l’inaction, la dose nécessaire d’adrénaline dans une vie monotone.

Mais comme le dit Howard Kurtz, critique médiatique états-unien: "Dans la rumeur assourdissante de toutes ces voix qui cherchent à obtenir l’attention du public, ce sont ceux qui tiennent les propos les plus extrêmes et les plus tordus qui parviennent à se faire entendre. (…) Et le trash talk contribue avant tout à dégrader notre culture qui glisse lentement vers le caniveau."

André Arthur exprime ça de manière plus prosaïque: Pas le droit d’être plate!

Ce qui m’amène à la conclusion suivante: la liberté d’expression existe pour qu’on puisse encore et toujours remettre en cause les institutions, les gouvernements, les célébrités et tous ceux qui, eux aussi, profitent d’une tribune médiatique ou artistique. Pour qu’on puisse s’en moquer, en rire, les caricaturer. Pour qu’on puisse bénéficier d’une pluralité d’opinions, de visions, d’options.

Et bien que Fillion et Arthur incarnent cette voix discordante qui remet en question plusieurs idées reçues, ils en profitent aussi pour dévoyer la notion même de liberté d’expression, pour se réfugier derrière elle afin de donner un show d’insultes inutiles, de violence et de demi-vérités qui leur attire de très nombreux auditeurs, curieux de voir jusqu’où ils iront dans cette quête de parts de marché qui ne permet ni la nuance ni la rigueur.

Le problème, comme je le disais, c’est donc aussi la clientèle grandissante de curieux qui s’ennuient à s’en rendre malades.

Une épidémie où tout le monde contracte la maladie de son propre gré.