Line Beauchamp
Tandis que les artistes sonnent l’alerte rouge et se mobilisent en prévision de la manifestation du 9 mars prochain, la ministre de la Culture et des Communications, LINE BEAUCHAMP, maintient que le gouvernement ne les laissera pas tomber, refusant toutefois de dire si les crédits dévolus à la culture et à la création seront maintenus cette année…
Comment réagissez-vous face au mouvement de mobilisation des artistes qui se disent très inquiets de leur situation, craignant de voir les crédits alloués à la création diminuer de plusieurs millions de dollars cette année?
"Premièrement, j’ai toujours eu beaucoup de respect et d’admiration pour le MAL, qui n’en est pas à sa première mobilisation! Quand j’étais porte-parole dans l’opposition en matière de culture et de communications, je m’étais rendue à certains rassemblements qu’il avait organisés. Ce mouvement fait un travail de longue haleine pour défendre la place de la culture dans notre société, mais aussi à travers les choix que doit faire un gouvernement. Je respecte vraiment le travail de ces gens et je crois que celui-ci peut être utile."
Vous comprenez donc leurs inquiétudes…
"Quand on parle d’inquiétudes, je crois qu’ils s’inquiètent à la lumière de la situation que nous a laissée le gouvernement précédent. Je suis très consciente que les gens vont dire: »Ah, voilà une vieille cassette. » Mais il n’y a pas beaucoup d’autres façons de le dire. Si je vous annonçais que le budget de la culture augmente et que je vais chercher 30 millions de plus, je pense que les gens diraient: »Elle a fait son travail. » Mais la réalité pour de nombreux ministères, c’est que le gouvernement précédent, sous un discours de déficit zéro, finançait beaucoup de choses dans le service de la dette et on étalait ça un peu comme une hypothèque en se disant qu’on la paierait sur 10 ou 20 ans. On a fait tellement de choix de la sorte, on a tellement investi dans la brique et le béton.
On se retrouve donc aujourd’hui dans une situation où, juste pour couvrir l’augmentation du service de la dette au ministère de la Culture et des Communications, ça nous prend 30 millions de dollars supplémentaires, et dans deux ans, on aura besoin d’un autre 20 millions, ce qui en fera 50 de plus par rapport à la situation actuelle. Donc, quand vous me parlez du mouvement d’inquiétude, je vous dis que ce sont tous les citoyens qui doivent être inquiets de cette dette qui a augmenté de 11 milliards et qui se reflète maintenant dans le budget de chaque ministère qui a un service de la dette.
Il faut être inquiet de cette situation globale et, oui, il faut trouver de nouvelles façons de faire. Dans les années 60, on était huit Québécois qui travaillaient pour un à la retraite; en ce moment, il y en a cinq pour un. Dans une génération, les jeunes créateurs qui ont 18 ou 19 ans ne seront plus que deux pour tout payer."
Le budget du MCC était d’environ 515 millions de dollars l’an dernier. Cette année, est-ce qu’on prévoit une hausse ou les crédits resteront les mêmes?
"Très bonne tentative, mais ça ne marchera pas! Non, sincèrement, bien sûr que j’aimerais vouloir vous en dire plus et répondre au milieu de la culture, mais le processus budgétaire fait en sorte qu’on doit garder le secret et c’est quelque chose que je vais respecter. Mais je peux vous dire que la culture a des alliés au sein du gouvernement. Le bilan du gouvernement libéral en matière de culture est éloquent et plusieurs le reconnaissent. Nous avons ce souci constant de soutenir vraiment le créateur, c’est très important pour nous.
C’est dans ce contexte qu’on a dévoilé la semaine dernière un portrait de la situation du créateur. Mais la vraie question ne concerne pas la seule augmentation du budget du ministère de la Culture, il faut surtout que le créateur ait plus de moyens pour travailler et créer."
Confirmez-vous une augmentation des dépenses incompressibles en matière d’immobilisations de 35 millions de dollars, et, par conséquent, une perte équivalente affectant directement la création ou la production de spectacles, entre autres, dans la mesure où le budget global du ministère ne serait pas augmenté?
"Ce qui est clair, c’est qu’il y a un service de la dette qui est exponentiel en ce moment, et pour la prochaine année, c’est 30 millions de dollars supplémentaires [qui devront être dépensés] juste pour couvrir ce qui a été construit dans les années passées. Voilà ce que je peux vous confirmer. Pour ce qui est des 5 millions supplémentaires, je ne peux rien vous confirmer."
C’est un 30 millions de dollars qui risque donc d’échapper aux artistes…
"Eh bien, il est un peu trop tôt pour conclure cela. Vous devrez le juger et le voir à la lumière du budget et des crédits que déposeront Yves Séguin et Monique Jérôme-Forget. On ne peut pas conclure présentement qu’il manquera 30 millions de dollars. Nous, on a travaillé fort. Ma meilleure réponse, c’est peut-être [de juger] à la lumière de ce qui s’est passé l’année dernière. Le dernier budget du ministère de la Culture et des Communications a augmenté et une bonne part est allée aux créateurs puisque 6,5 millions sont allés au Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), et 500 000 dollars à la SODEC pour soutenir, entre autres, les métiers d’art, qui sont les moins bien pourvus en termes de revenus.
J’invite les artistes à considérer le travail accompli lors du premier budget. Pour le moment, c’est ma seule réponse aux inquiétudes des artistes. Il faut juger selon les résultats et les résultats ont été là [l’an dernier], le budget de la culture a augmenté."
Peut-on alors en déduire que vous vous engagez à faire en sorte que le budget du ministère augmente encore cette année, comme les artistes le réclament?
"Mon premier engagement, et nous avions été clairs lors de la campagne électorale, c’est l’amélioration des conditions de vie et de pratique professionnelle des artistes. Et je vous dirais que tout ne passe pas par une augmentation du budget, c’est important de bien expliquer ça. Les représentants d’associations professionnelles sont parfaitement au courant de ça.
Il y a des mesures fiscales qui peuvent être mises en place et d’autres liées à la santé et la sécurité au travail, qui sont pour moi extrêmement importantes. Certains vont dire qu’il n’est pas évident que l’artiste ait vu les résultats des montants qui ont été accordés au cours des dernières années au CALQ. Des représentants du milieu du théâtre m’ont remis une étude où ils font la démonstration que l’augmentation des chiffres ne s’est pas traduite par une augmentation des cachets des artistes.
Donc, vous voyez ma source de préoccupation: il faut qu’à travers les actions qu’on va mener, on puisse vraiment parler d’une amélioration des revenus des créateurs, et surtout d’une amélioration des conditions de leur pratique professionnelle. Les crédits d’impôts alloués aux industries culturelles totalisent cette année plus de 100 millions de dollars et ils ne sont pas comptabilisés dans le budget du ministère. Pourtant, c’est un instrument puissant de soutien aux industries culturelles. Et il y a d’autres exemples du genre."
Les artistes peuvent donc être optimistes, le gouvernement va continuer à les soutenir?
"Ils ont des alliés."
Propos recueillis par Frédéric Denoncourt
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