Témoin, lundi soir dernier, du retour de Bernard Derome à la barre du Téléjournal, je fus pris d’une fulgurante crise d’anachronisme aigu. Ainsi, me surprendre à fredonner la chanson-thème de Cosmos 1999, à fantasmer à propos de la coupe champignon de Chantal Goya ou à imaginer la solution la plus rapide à la résolution du Rubic Cube n’en furent que quelques-uns des symptômes. Les plus bénins, disons-le.
Car mon délire psychotique allant en empirant, une tonne d’événements plus invraisemblables les uns que les autres se chevauchaient aux portes de mon imaginaire débridé. Des tonnes de fantasmes psychotoniques impliquant une pléiade de has been et dont le réalisme était pour le moins troublant.
Parmi ces fabulations terrifiantes, je crus apercevoir l’imposant profil mammaire de Samantha Fox qui, en tournée promotionnelle au Québec, gueulait son vieux hit moche à Star Académie. Une image chargée d’un érotisme suranné, immédiatement suivie par celle du groupe Les BB qui, non content d’avoir pollué la mémoire musicale de toute une génération avec ses mélodies insipides et des textes d’une mièvrerie écœurante, parlait à un reporter de Flash à propos de son nouvel album. Grâce à Dieu, je perdis connaissance avant d’en entendre la première note.
Mais à peine avais-je eu le temps d’essuyer la salive qui moussait aux commissures de mes lèvres et d’éteindre la télé que je fus assailli par une autre hallucination. Plus terrible encore. Sorti de mon corps, parcourant l’espace aérien de ma cuisine, je me vis, lisant un article qui portait sur le retour de Marc Drouin. Sans même savoir s’il s’était départi ou non de ses Échalotes, je regagnai mon enveloppe charnelle au plus vite, histoire de changer de feuille de chou. Comment aurais-je pu deviner que, dans l’autrement inoffensif Journal de Québec, m’attendait désormais une "nouvelle" chronique de Lise Payette!?
Enfin convaincu d’avoir définitivement perdu la raison, je rampai jusqu’au téléphone pour composer le 911 quand la télé se ralluma d’elle-même, surfant de son propre gré au fil des canaux pour mieux me laisser saisir toute l’horreur dont je n’avais jusqu’à présent pu deviner que les contours.
Sur une première chaîne, Danièle Ouimet, Christine Lamer et Michèle Richard étaient les invitées d’un talk-show d’avant-midi animé par Jean-Pierre Coallier. À la suivante, j’appris que Plastic Bertrand irait à Montréal pour participer au célèbre Bal en Blanc. À une autre, je pus visionner la publicité pour un nouveau film intitulé Starsky & Hutch, tandis que ma radio s’allumait à son tour pour me laisser savoir que Cheap Trick et Aerosmith s’en venaient en ville alors que la tournée nord-américaine de Cyndi Lauper battait son plein.
Puis, le générique de Dallas jouant en simultané avec une nouvelle chanson de Vilain Pingouin, je fus pris de convulsions et perdis à nouveau connaissance.
La dernière image dont je me souvienne provenait cependant de l’écran de mon ordinateur que j’avais dû voir depuis le sol: j’y appris que le réseau de l’infâme PKP avait l’intention de ressusciter le bon vieux programme français L’École des fans.
Le lendemain, ma femme, qui m’avait trouvé étendu par terre, m’assurait que, dans mon délire, je répétais: "À l’école des fans, tout le monde est gagnant." Puis, paraît-il que je pointais impudemment l’index vers une foule imaginaire, balbutiant avec l’accent d’un gamin parisien de cinq ans: "Là c’est tati, là c’est tonton, là c’est papa, là c’est maman, mais elle est pas contente, parce que j’ai renversé du pudding sur mon pantalon avant l’émission…"
***
Assis sur une chaise au milieu d’une pièce vide dont les murs sont d’une éblouissante blancheur, je rencontre le psychiatre de service à Saint-Michel-Archange. Il me montre des gribouillis qu’il m’assure être mon œuvre, seuls souvenirs matériels de ma psychose.
"Le passé est garant du futur", peut-on y lire, suivi de: "Il faut savoir d’où on vient pour savoir où l’on va" et aussi: "L’histoire n’est que recommencement".
Qu’est-ce que ces phrases évoquent pour vous? me demande le psy.
Que si la tendance se maintient, on s’en va chez l’yâble, lui dis-je, désormais convaincu que mes hallucinations trouvaient une sorte de résonance dans le réel.
Impassible, il se détourne de moi pour prendre un appel sur son téléphone portable.
C’est son courtier, crus-je comprendre.
L’action de Nortel est en chute libre.