L’incinérateur de Québec : Toxique le ravageur
L’incinérateur de Québec, où sont brûlés en milieu résidentiel plus d’un quart de million de tonnes de résidus par an, rejette plusieurs substances toxiques. Les autorités considèrent cependant qu’arsenic, cadmium, furanes ou dioxines sont présents en trop petites quantités pour justifier la fermeture de cette installation malgré que les deux derniers tests indépendants visant à en mesurer la concentration aient été espacés de plus de 10 ans et que des dépassements de normes aient été notés dans certains cas.
Le flou scientifique qui persiste au sujet des dangers pour la santé des citoyens qui résident à proximité de l’incinérateur et l’action de groupes de pression ne semblent pas suffisants pour faire reculer les décideurs, qui prévoient injecter 50 millions $ pour en prolonger la vie jusqu’en 2025.
On ne se décourage pas, du côté du Comité de citoyens pour la fermeture de l’incinérateur (CCFI), du fait que le Plan de gestion des matières résiduelles (PPGMR) de la CMQ appuie aussi ce scénario. "Nous exigeons la fermeture progressive de l’incinérateur, dit Jacques Lortie. Il est possible d’y arriver en implantant un système de tri systématique des matières résiduelles dans lequel la réduction, la réutilisation, le recyclage et le compostage seraient mis en valeur. Lors d’une visite des lieux, nous avons constaté qu’on y brûle beaucoup de matières réutilisables. En plus du problème de la pollution, nous voilà confrontés à une destruction de ressources inacceptable."
MISSIONS TOXIQUES: DANGERS POUR LA SANTE?
Il y a quelques jours, le quotidien Le Monde rapportait que les incinérateurs de l’Hexagone émettent des quantités records de dioxines et que des cas de contamination ont poussé l’Institut national de la santé et de la recherche médicale à mener une étude, entre 2000 et 2002, laquelle a mis en lumière un taux anormalement élevé de malformations congénitales au sein de communes exposées aux incinérateurs. La présence d’un fort débit de trafic routier est cependant considérée comme un "facteur de confusion". Il a tout de même été convenu de vérifier la présence de contamination dans le sang de centaines de personnes ayant résidé pendant au moins cinq ans à proximité d’un incinérateur. L’Institut de Veille Sanitaire recommande aussi la tenue d’études épidémiologiques plus poussées, car des doutes persistent au sujet de la présence de cancers, d’effets sur la reproduction, de malformations congénitales ou de processus de maturation sexuelle détraqués.
Au Québec, la question des risques pour la santé attire peu l’attention. En 1992, Le Soleil a rapporté qu’une étude effectuée par l’équipe du CHUL a révélé qu’entre 150 et 200 enfants naissaient alors annuellement avec un taux élevé de plomb dans le sang, majoritairement dans les quartiers centraux de Québec, une telle toxicité cérébrale pouvant causer des problèmes de développement neuropsychologique. En 1994, une autre étude démontrait une forte prévalence (30 % plus élevée que dans le reste du territoire de la CUQ) de cas d’asthme dans la basse-ville. Comme ce fut le cas lors de recherches similaires menées à l’étranger, il n’a pas été possible de conclure à un lien direct avec la présence de l’incinérateur.
Marcel Baril, chercheur au Département de physique de l’Université Laval, est l’un des rares scientifiques à s’être récemment penché sur la toxicité des émissions de l’incinérateur de Québec. Pour en savoir plus sur la présence de métaux lourds, de vapeurs et de gaz nocifs fixés aux microparticules, Santé Canada lui a accordé 75 000 $ et un délai de 12 mois. Si peu de gaz ont été décelés par les capteurs, il a été prouvé que certaines substances se fixent bien aux microparticules. Plus inquiétant, les analyses chimiques ont permis de démontrer la présence de plusieurs substances non identifiées. La conclusion? "Des travaux plus conséquents devront être réalisés."
Aujourd’hui, Marcel Baril affirme ne pas avoir disposé de toutes les ressources nécessaires pour mener à bien sa tâche. "Je ne suis pas en mesure de dire si l’air est bon ou mauvais dans les environs de l’incinérateur. Oui, c’est une source de pollution, mais dans quelle mesure?" s’interroge-t-il. Le récent retraité va plus loin et remet en cause la volonté des autorités d’établir un vrai portait des risques. "C’est de la poudre aux yeux, du spectacle, dit-il au sujet des faibles sommes accordées aux chercheurs. Si l’on avait entrepris une vraie étude, ç’aurait coûté jusqu’à un million pour trouver les substances dont on soupçonne la présence. Ils ont peur que des problèmes apparaissent si on cherche trop", affirme-t-il.
DES TESTS TOUS LES 10 ANS…
Selon le contrat qui le lie à la Ville, l’exploitant de l’incinérateur de Québec, Tiru (voir encadré) doit analyser lui-même, deux fois par année, la concentration de certains rejets nocifs "normés" (monoxyde de carbone, sulfates, acide chlorhydrique, certains métaux lourds). Cependant, il en va autrement pour ce qui est de la présence d’autres substances toxiques. Il revient ainsi aux autorités municipales de faire mesurer la concentration de dioxines, furanes, composés organiques semi-volatils, BPC, HAP ou NOX. Un tel contrôle a été commandé par la Ville et a été effectué en sous-traitance en juillet 2003; des dépassements de normes dans le cas du chlorophénol (CP), du chlorobenzène (CB) et du monoxyde de carbone (CO) ont été notés. Pour ce qui est de la présence de furanes et de dioxines – l’un des agents cancérigènes les plus puissants au monde -, des concentrations moyennes rencontrant les futures normes européennes auraient été enregistrées sur deux des quatre lignes d’incinération en 2003.
Chose surprenante, le dernier test semblable remontait à…1993. Ce délai s’expliquerait par le coût de réalisation des tests et par le fait que les substances en cause ne sont pas encore "normées", une situation appelée à changer, selon Benoît Delisle, du Service des travaux publics à la Ville de Québec. "La future réglementation devrait inclure l’obligation de procéder plus souvent à de tels tests, mais rien n’est encore officialisé", dit-il.
"Il y aura toujours une incertitude scientifique au sujet de la santé, convient M. Delisle. Oui, nous aimerions que cette question soit réglée une fois pour toutes. Mais il faut aussi savoir que notre installation s’est améliorée et est très performante." L’ingénieur affirme qu’une part des sommes que désirent investir les autorités ira à l’amélioration du bilan environnemental. "Plus la combustion est constante, plus l’élimination des matières dangereuses est favorisée", dit-il, tout en rappelant la présence dans le quartier d’autres sources de pollution.
Malgré qu’il préconise la modernisation de l’incinérateur, le PPGMR de la CMQ, s’il est adopté à la suite des consultations publiques à venir, prévoit, entre autres mesures, une diminution de 10 % de la quantité de matières incinérées d’ici quelques années. À ce sujet, citoyens et groupes intéressés pourront bientôt participer à des audiences publiques.
Renseignements supplémentaires 1
À Québec, l’incinérateur relève de la Ville, mais il est géré par le sous-traitant Tiru, filiale d’une multinationale française. Les travailleurs demeurent à l’emploi de la Ville. La relation entre les autorités et l’exploitant, choisi par voie de soumission en 1993, a été ponctuée de poursuites judiciaires, de problèmes techniques et d’allégations de conflits d’intérêts. Le contrat arrive à échéance en 2009, date à laquelle l’incinérateur devrait être fermé dans le cas où il serait décidé de ne pas réinvestir dans sa réfection.
Renseignements supplémentaires 2
Le 26 mars à 19 h, au Cégep de Limoilou, et le 27 mars à 13 h, au Centre Lucien-Borne, les AmiEs de la Terre de Québec et le CCFI accueillent un conférencier de prestige, Paul Connett (Ph.D, St. Lawrence University), sous le thème "Fermons l’incinérateur! Déchets zéro, oui c’est possible". Connett dénonce l’absence de tests réguliers visant à mesurer la concentration de dioxines émises par les incinérateurs. Informations: 622-5721.