Société

Ennemi public #1 : La citoyenneté pour les nuls

L’anecdote serait presque marrante si elle n’était pas aussi désolante. D’autant que l’événement est authentique et s’est produit tout récemment.

Une étudiante de premier cycle à l’Université Laval pose trois ou quatre questions à son prof dans un cours qui porte sur la politique nationale, puis lui demande finalement: "Et les députés, c’est quoi au juste?"

Ouch! On a mal à notre démocratie, vous voyez. Et pas rien qu’à peu près.

Sinon, comment expliquer que, dans notre société du savoir (sic), une étudiante de niveau universitaire puisse ignorer quel rôle tiennent les principaux figurants dans notre système parlementaire?

Sans toutefois réclamer que tout le monde comprenne le fonctionnement fastidieux de l’élection d’un chef de parti au fédéral, il serait tout de même essentiel de saisir certains des principes démocratiques de base. Des connaissances à peine plus difficiles à assimiler que les noms des concurrents à Star Académie, soit dit en passant. Comme de savoir que le virage à droite ne s’effectue pas qu’à un carrefour routier, qu’il existe d’autres partis fédéraux que les libéraux, que la péréquation n’est pas un sport aux jeux paralympiques et que les transferts en santé ne se font pas nécessairement par intraveineuse.

Vous riez? Moi pas.

En fait, pour revenir à la question, soit d’expliquer cette ignorance crasse du système dans lequel nous vivons, la réponse est aussi simple que cruelle. C’est un choix de société que nous avons fait: former des travailleurs plutôt que des citoyens.

N’avez qu’à observer le lent et plus ou moins subtil glissement qui s’opère dans les programmes du ministère de l’Éducation depuis une vingtaine d’années pour vous en convaincre.

Le niaisage commence au secondaire où, lorsque j’y étais encore il n’y a pas si longtemps, et dans un collège privé s’il vous plaît, on nous apprenait à utiliser une machine à coudre (pour économiser trois piastres de couturière), à faire une béchamel (ce que j’aurais pu apprendre de Josée di Stasio), à changer de sous-vêtements chaque jour (sans farce!), à faire son petit budget (un échec dans mon cas) et j’en passe.

En éducation au choix de carrière, où je perdais plus d’une heure par semaine, étant donné que je ne sais toujours pas ce que je ferai dans la vie, un ordinateur m’a même appris que je pourrais aspirer à une carrière de vendeur, ou de curé…

Le Code civil, le common law, les différents systèmes démocratiques: rien, nada, zilch! Ou si peu. À ma connaissance, on ne donne toujours pas de cours sur la vie citoyenne au secondaire.

Pas plus au collégial où, les conneries d’économie familiale en moins, on a, pour empirer le truc depuis que j’y suis passé, réduit le nombre de cours de philo (où l’on apprend la critique) et de sport pour mieux faire de nos concitoyens une bande de gros cons.

Des gros cons qui, par ailleurs, travaillent et paient des impôts.

Parce que lorsque vient le temps de former des techniciens, en opposition à des citoyens, là, on ne lésine pas sur les moyens. Programmes en tous genres, financement, surspécialisation jusqu’à la fine pointe de tout et de rien… Parfait. Nous sommes toujours dans la course aux exigences d’un marché dont l’évolution est exponentielle, et vous ne me verrez certainement pas m’en plaindre.

D’ailleurs, je ne veux pas être trop pessimiste: jamais dans l’histoire de nos civilisations a-t-on permis un tel accès au savoir. Jamais la population moyenne n’a été aussi informée de ce que les Grecs de l’Antiquité appelaient les enjeux de la cité.

Sauf qu’on s’en crisse.

Alors à qui profite cette ignorance des enfants gâtés pourris de la démocratie? À nos politiciens, bien sûr. Être paranoïaques, on les tiendrait presque responsables de ce misérable état des lieux qui les favorise.

Puisqu’à partir du moment où l’on apprendrait enfin aux étudiants le sens critique, le devoir du citoyen qui va au-delà du simple acte de voter, la nécessité de s’informer à une multitude de sources médiatiques pour mieux comprendre les enjeux qui changent véritablement nos vies, gageons que très peu de ceux qui sont en position de pouvoir présentement conserveraient leurs postes. Y compris ceux qui sont à la tête de plusieurs de ces sources médiatiques.

Et peut-être qu’on cesserait de voter comme on change de coupe de cheveux.

De peur de se réveiller un beau matin avec une permanente blonde style Jean Charest.