Franck Moulet : Une histoire « de merde »
Emprisonné trois semaines à New York pour avoir répondu à une employée impatiente à bord d’un avion, le Français Franck Moulet raconte dans le détail un cauchemar bien réel qui pourrait tous nous arriver.
"C’est une parodie de justice!" Franck Moulet ne mâche pas ses mots à l’endroit du système judiciaire des États-Unis, où il a séjourné de force durant trois semaines et où il entend ne "jamais remettre les pieds". Son expérience a de quoi choquer et soulève de nombreuses interrogations. Ce Français étudiant aux Beaux-Arts à Avignon la raconte avec un calme déconcertant, ponctué de colère et d’incompréhension. De retour en France depuis plus d’un mois, il a récupéré et fait le point sur les événements, qu’il nous relate.
Au début de janvier, revenant en France de République Dominicaine avec sa copine sur un vol d’American Airlines, il éprouve un malaise et se rend aux toilettes. Il y reste six ou sept minutes, ce qui alarme une agente de bord – ou "hôtesse de l’air" -, qui vient tambouriner contre sa porte et s’adresse à lui en anglais. Le passager, qui n’a que des notions rudimentaires de cette langue, ne comprend pas de quoi ni de qui il s’agit. "C’était tellement alarmant que je me suis vite rhabillé et à peine avais-je ouvert la porte que l’agente au bord de l’hystérie me sortait des toilettes et me submergeait de mots anglais (…). J’en suis resté bouche bée."
De retour à son siège, sa copine lui apprend que l’agente est venue l’interroger deux fois. Après quelques instants, l’hôtesse s’assoit en face du couple (en fait, un siège réservé aux employés se trouve là) et le fixe du regard. Exaspéré, il lui dit dans un anglais approximatif: "My shit don’t explose." (sic) Cinq petits mots qui lui coûteront très très cher…
Trois incarcérations successives
À l’arrivée à l’aéroport John F. Kennedy de New York, Franck Moulet est arrêté par six policiers. Sa copine repart seule en France avec une autre compagnie aérienne car elle n’est plus admise sur American Airlines. Il est placé 72 heures en garde à vue dans le Queens. Le cauchemar commence. Durant ce temps, il aura l’occasion de rencontrer un avocat, John Moher (qu’il n’a pas choisi), durant… une minute. Pour toute ressource dans la langue de l’accusé, le français: un traducteur qui lui demande de "signer le papier" qui, celui-là, est tout en anglais… Le nouveau détenu est ensuite transféré dans une prison de courtes peines du Bronx, un établissement qu’il qualifie de "civilisé" en regard de Ryker’s Island, le pénitencier de droit commun de lourdes peines où il passera les 14 derniers jours de ce séjour forcé. "Là-bas, c’est la loi de la jungle. Je me suis senti seul, complètement abandonné; je passais tout mon temps sur mon lit. J’étais dans une cellule-dortoir avec 49 autres détenus (purgeant des peines de 4 à 20 ans). Les menaces étaient explicites. Je ne pouvais pas toucher au téléphone sans l’autorisation du chef des Latinos, au risque de me faire démolir, ou de "prendre toucher",(N.D.L.R.: agression sexuelle…) même si c’était par accident au lit d’un Latino."
"Seul", "coupé du monde", on peut le comprendre, d’après le récit qu’il en fait. Au téléphone, il demande à sa mère d’alerter les médias et le ministère des Affaires étrangères qui, soutient-il, n’a rien fait pour lui. Aussi, il affirme avoir laissé plusieurs messages au Consulat de France, qui ne lui a jamais répondu. En prison, il se souvient d’avoir manqué des repas malgré lui car les gardiens l’envoyaient à la salle de courrier (il avait espoir de recevoir un colis); à son retour, le repas était terminé… Certains prisonniers solidaires lui ont donné des restes. D’ailleurs, des colis, il n’en a jamais eu, bien que sa famille lui en ait effectivement envoyé. À présent, il tente de récupérer ses effets. Durant ces 20 jours, il n’a dormi que 10 à 12 heures, confiera-t-il après coup en entrevue télévisée.
Entre-temps, la sœur de Franck, n’y tenant plus, décide de se rendre aux États-Unis. Le processus débloque. Devant la cour correctionnelle du Queens, il plaide "coupable de comportement anormal". En effet, selon son avocat, s’il avait souhaité un procès en règle pour plaider non coupable, il aurait fallu attendre deux mois de plus… L’affaire se solde par une amende de 690 $ US, avancée par le Consulat de France. Pour être libéré, Franck devra attendre encore quatre jours, soit jusqu’au 30 janvier.
Les pires terroristes: eux-mêmes
"Les États-Unis sont complètement paranoïaques! (…) Ils ont un amendement dans leur propre Constitution pour la liberté d’expression. Ils se trahissent eux-mêmes! Ils sont au bord de la faillite morale. Ils dominent…" Franck Moulet s’est fait piéger: "[l’individu arrêté est] tout de suite présumé coupable. L’hôtesse de l’air me reprochait un texte de 13 lignes dont je ne comprenais pas un mot sur deux! On m’a assené un coup à l’oreille gauche. Ça saignait. Peut-être que le fait que je sois Français a joué en ma défaveur…" Présumé coupable… "Je voudrais simplement savoir si les prisonniers de Guantanamo sont encore vivants…"
Vaut-il mieux avoir "le tour d’oreille bien rasé" quand on est un homme passager sur American Airlines? Sa chevelure l’a-t-elle pénalisé? "Dans l’avion, peut-être pas. Par rapport aux gardiens et aux policiers: clairement. Quand je suis sorti de JFK, on voulait que je regarde la télé (et on me tirait les cheveux). Le gardien répétait "barbershop", "barbershop"." Vieux hippies, jeunes artistes, mannequins à la mode, informaticiens nouveau genre, etc.: ça en fait du monde à exclure… Il a plaidé "coupable de comportement anormal" mais, réfléchit-il, il faudrait d’abord définir ce qu’est la norme. "Sept minutes aux toilettes, c’est un comportement anormal? Les États-Unis perdent leur force et leur temps. Les pires terroristes, ce sont eux-mêmes."
Le prix de la liberté
Billets d’avion (payés en surplus de ceux non remboursés par American Airlines): 2000 euros
Amende: 690 $ US
Effets personnels postés et non reçus: 200 euros
Transport de la sœur de Franck (et d’une amie bilingue): 1978 euros
Arrêt de travail de sa mère et de sa sœur: 900 euros
Visite médicale (partie non remboursée): 91 euros
Télécommunications et courriers: 660 euros
Total (converti en dollars canadiens): 10 437,50 $ + les 20 jours d’incarcération