Il paraît que la route de l’excès mène à un palais de sagesse. C’est pas moi qui l’ai dit, c’est William Blake. Le poète.
Par un coup retors du destin, une malchance, tel ne fut pas le cas pour un étudiant saguenéen qui, ayant ingurgité 100 onces de bière en 100 minutes, n’a trouvé au bout de sa route d’ivresse qu’un terrain vague pour mourir.
Évidemment que rendre l’âme à 19 ans est un drame. Une tragédie absurde, laissant dans son sillage la colère sourde de l’incompréhension, la plaie béante provoquée par une frasque d’un soir commise par un jeune adulte qui, comme la plupart de ses semblables, aimait vivre intensément, sans compromis.
Un étudiant ordinaire qui a pris une grosse brosse bien ordinaire, mais qui est mort dans des circonstances extraordinaires.
Extraordinaires parce qu’on meurt beaucoup moins souvent d’avoir participé à un century comme celui organisé par les étudiants de l’UQAC que d’avoir conduit sa voiture en toute sobriété, que d’avoir émondé les branches du gros érable dans la cour en gigotant au bout d’une échelle, que d’avoir raté un saut à ski qu’on a pourtant répété 100 fois. En fait, on n’en meurt presque jamais.
Mais je vous imagine déjà pianoter frénétiquement sur vos claviers: T’as pas de cœur! Ce genre d’événement est inconcevable! Quel mépris, parler d’une mort aussi tragique en la qualifiant d’"ordinaire"!
Je vous rassure donc tout de suite: loin de moi l’idée de banaliser une mort atroce en m’opposant aux commentaires de confrères et consœurs bien-pensants qui, du haut de leur tour de sagesse, semblent quant à eux convaincus qu’en interdisant ces beuveries qui ne sont rien d’autre que des rites de passage auxquels la plupart d’entre nous ont participé sans heurt, on préviendrait ce genre d’accident.
D’ailleurs, je ne sais pas ce qui m’exaspère le plus: l’inconscience des jeunes ou la naïveté des vieux?
Car vous aurez beau bannir l’alcool des campus universitaires, comme s’il s’agissait d’une drogue dure, et faire régner un régime de terreur sous l’égide d’une ligue de tempérance intégriste, rien n’y fera. On tiendra le party ailleurs, voilà tout. Sans la surveillance et l’encadrement qui sont les seuls véritables éléments manquants dans ce genre de soirée.
Ainsi, dans quelques années, un autre étudiant, dans un bloc appartements à deux rues du campus, tombera, par mégarde ou par imprudence, d’un balcon du troisième étage un soir de beuverie organisée, dans des circonstances elles aussi révoltantes.
Sa mort sera douloureuse et absurde. Elle frappera un jeune homme ordinaire qui aura pris une brosse ordinaire avant de faire un plongeon extraordinaire. Un événement aussi accidentel qu’intolérable.
Et que fera-t-on alors? Interdire la consommation d’alcool passé le second étage d’un immeuble?
Ce serait bien le comble.
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Parlant de party qui tourne au cauchemar, une question est sur toutes les lèvres depuis une semaine: Robert Gillet reviendra-t-il à radio?
Juste pour le fun, je vous renvoie à l’une de mes premières chroniques, publiée le 26 décembre 2002, à peine quelques jours après la retentissante arrestation: "Peu importe s’il est trouvé coupable ou non, Robert Gillet est devenu une icône médiatique, et son public, dans un élan maternel, pourrait très bien, malgré le lugubre des crimes qui lui sont reprochés, lui pardonner comme on pardonne à l’enfant prodigue."
Je change souvent d’idée, jusqu’à deux fois dans une même journée. Mais là, je tiens bon. Pourquoi? Simplement parce que ni vous ni moi ne changerons la nature de l’humain, cet animal d’habitudes.
Depuis des décennies que Gillet tient les gens par la main au réveil, qu’il les amène au bureau, qu’il les fait marrer avec ce qu’il accomplit le mieux: de bons shows de radio. Avec le temps, il est devenu comme une vieille pantoufle. Trouée, imparfaite, malodorante; on s’enfarge dans sa semelle à moitié décollée, mais on entretient une espèce de lien affectif avec elle. Elle nous va comme un gant, a pris une forme familière, et on reconnaîtrait entre mille son chuintement distinctif sur les planchers de l’appartement. On s’y est habitué comme on s’habitue à une vieille maîtresse, à un cabot tout décati qui nous réveillerait en nous léchant le visage, nous empestant de son haleine fétide. Donc on la garde, on la rafistole, on la répare.
On lui pardonne les échardes et les faux pas.
Vous croyez que je me trompe? Possible.
On verra bien.