Incendie à l’école élémentaire Talmud Torah Unie : De l’huile sur le feu
Dans la nuit de dimanche à lundi derniers, un incendie criminel ravage la bibliothèque de l’école élémentaire Talmud Torah Unie, dans l’arrondissement Saint-Laurent. Des documents recueillis sur place laissent croire que les auteurs veulent venger l’élimination du guide spirituel palestinien Cheikh Yassine par Israël. Attisée par Sharon, Bush, les extrémistes musulmans et tous ces va-t-en-guerre, la pétaudière du Moyen-Orient menace-t-elle, comme en Europe, la qualité des relations interethniques à Montréal? Réactions recueillies à chaud.
Le directeur de l’école, Sydney Benudiz, a qualifié l’acte de "terrorisme pur et simple". Tous, hommes politiques, citoyens ou artistes, tel le groupe Loco Locass, ont été unanimes à dénoncer ce geste d’intolérance peu commun au Québec.
Ironiquement, c’est alors que la Semaine d’actions contre le racisme (SACR) vient tout juste de se terminer que les Montréalais sont confrontés à une des pires manifestations de haine raciale depuis plusieurs années, soutient son coordonnateur Alix Laurent. "Je trouve ça vraiment terrible. C’est un des plus graves actes visant directement une communauté. On craignait beaucoup pour la communauté arabe après le 11 septembre, mais depuis la deuxième Intifada, il y a une poussée antisémite dans le monde qui commence à toucher le Québec. Il y a toujours eu des actes d’intolérance et des insultes, mais là on va au-delà du graffiti. On tombe dans la violence en touchant à un lieu public. On ne blague plus."
Sur l’affiche de la SACR cette année figurait une autruche; on pouvait aussi y lire: "Du racisme chez nous? Voyons donc!". Mais si les préjugés qui vont parfois jusqu’à des actes de violence existent ici, les agressions directes contre les gens ou leurs biens demeurent heureusement rares, poursuit M. Laurent. "On est loin de ce qui se passe en Allemagne où les Turcs sont toujours victimes, ou en Belgique où la communauté marocaine commence à être terriblement frappée et où les gens se font attaquer directement dans la rue depuis ce qui s’est passé en Espagne, entre autres. On est privilégiés de vivre dans une société relativement tolérante. Mais on doit continuer à donner l’exemple", ajoute M. Laurent.
Quant aux allégations qui veulent que les auteurs aient voulu venger un crime commis par l’armée israélienne en s’en prenant à une institution juive d’ici, M. Laurent n’y voit que le triste résultat d’un conflit qui enflamme les esprits. "Il y a aussi de l’arabophobie à outrance parallèlement à l’antisémitisme. Deux communautés sont victimes d’une situation qui se passe ailleurs. C’est une catastrophe."
Assia Kada, directrice générale de la Fondation tolérance, organisme voué à la lutte contre le racisme auprès des jeunes de 13 à 17 ans, se dit tout aussi outrée par les récents incidents. "C’est intolérable et révoltant. Cet acte serait lié à la politique de Sharon et cela veut dire que ces gens ont mis tout le monde dans le même panier et ont généralisé à partir de leurs préjugés; c’est là que réside le danger. Nous faisons des efforts pour enseigner aux jeunes comment, à partir de la discrimination, on aboutit parfois aux génocides, qui sont la conséquence ultime du racisme et de l’intolérance."
"Ce que je souhaite, c’est que la population et les gouvernements réagissent pour éviter que d’autres incidents comme celui-là, visant n’importe quelle communauté, se répètent. Peut-être est-il temps de mettre en place une loi qui rendrait la discrimination criminelle", continue Mme Kada.
Pour le professeur de sciences politiques à l’Université de Sherbrooke Sami Aoun, les Québécois doivent aussi dénoncer de toutes leurs forces ce type d’agression. "On doit prôner la tolérance zéro pour ce type d’acte. Il n’y a aucune espèce de justification pour perturber la paix sociale dans nos sociétés qui sont fondées sur la liberté d’expression, le respect de l’autre et le droit à la différence culturelle et religieuse. Vous n’avez pas à prêcher la violence et la haine dans une démocratie qui vous donne tous les moyens pour vous exprimer."
Rien ne saurait justifier que l’on s’en prenne à des communautés particulières par mesure de vengeance au nom de conflits se déroulant à l’autre bout du monde, poursuit M. Aoun. Et pour prévenir de tels incidents, les valeurs démocratiques et de dialogue se doivent d’être mieux inculquées aux nouveaux arrivants qui, parfois, sont issus de pays autoritaires qui ont un important déficit à ce chapitre. "On doit faire en sorte de prôner une meilleure intégration de nos valeurs civiques car le Québec et le Canada ne peuvent pas tolérer de mouvements islamistes prêchant des valeurs antidémocratiques au cœur d’une démocratie", ajoute M. Aoun.
Les milieux islamistes peuvent très bien être derrière cet incendie, et ni le Québec ni le Canada ne sont à l’abri d’attentats terroristes de plus grande ampleur, croit M. Aoun. "Mais il faut comprendre que les mouvements islamistes ne sont souvent que des groupuscules. En Espagne, par exemple, les islamistes veulent avoir un droit de veto sur le système électoral, voilà le danger. De notre côté, on a eu des expériences qui nous permettent de ne plus être naïfs. Il faut craindre le pire car il y a une démission de la diplomatie canadienne et américaine pour résoudre les conflits à l’étranger. Il y a aussi démission des pacifistes et de ceux qui veulent des règlements négociés, car ils sont intimidés. La scène est ainsi ouverte aux radicaux qui veulent l’éradication de l’autre", conclut M. Aoun.
Le B’nai Brith prétend que les manifestations d’antisémitisme sont en hausse depuis un an au Québec, alors que 102 incidents auraient été relevés l’an dernier. Mais attention de ne pas tout confondre, dit André Paradis, directeur général de la Ligue des droits et libertés, qui déplore tout de même fortement cette tentative d’intimidation de la communauté juive. "Le Congrès juif canadien s’apprête à sortir une étude qui dit que même s’il y a eu multiplication d’incidents antisémites, qui sont peut-être le fait d’une minorité plus active, dans la population en général, il n’y a pas d’augmentation des attitudes antisémites."
Et les Juifs ne sont pas les seuls à faire les frais de l’intolérance. "Les communautés arabe et musulmane ont aussi été victimes d’un nombre important d’incidents. La semaine dernière en Ontario, il y a eu une tentative d’incendie d’une mosquée. C’est évident qu’il y a des tensions importantes actuellement entre les communautés juive et arabe", enchaîne M. Paradis.
Curieusement, le maire de l’arrondissement de Saint-Laurent, Alan DeSousa, qui a été tiré du lit à 2 h 40 dans la nuit de lundi par les pompiers, paraît prendre les choses avec beaucoup de calme. "Sachant que c’était la pâque juive, on avait alerté la police locale pour lui fournir les dates et les heures des services religieux, lui demandant d’être plus vigilante près des synagogues."
"Avec les tensions au Moyen-Orient, on a voulu être pro-actifs. Mais on ne se doutait pas que l’école serait visée. On craignait plutôt que si quelque chose doive se passer, les institutions religieuses soient visées."
Saint-Laurent est une des communautés les plus diversifiées au pays, explique M. DeSousa. Plus de 166 groupes ethniques différents y vivent en harmonie la plupart du temps. Les communautés juive et arabe comptent chacune environ 10 000 membres et leurs relations sont plutôt cordiales. "On a toujours été fiers d’être une terre d’accueil où tous, nonobstant leur foi religieuse ou leurs origines, participent aux activités communautaires. Cet incident nous démontre qu’on doit continuer de travailler pour promouvoir nos valeurs de partage, de compromis et d’harmonie", conclut-il.