Un McDonald's en France ouvre le bal : La grève sur le sundae
Société

Un McDonald’s en France ouvre le bal : La grève sur le sundae

Il n’y a pas qu’au Québec que les employés de McDonald’s font pression pour faire valoir leurs droits. À Paris, une grève mémorable et spectaculaire vient de s’achever en mars, après une année durant laquelle les 27 salariés d’une franchise occupaient – squattaient littéralement – les locaux de la succursale. Et là-bas, le proprio n’a pas fermé…

La festive occupation à l’angle des boulevards de Strasbourg et Saint-Denis (un secteur central de la capitale) ne manquait pas d’attirer l’œil des passants intrigués par les bannières et vitrines placardées de slogans. Par des moyens multiples et colorés, les employés du McDonald’s ont obtenu en bonne partie ce qu’ils réclamaient, notamment le respect des libertés syndicales, une augmentation salariale, la réintégration d’un employé licencié et le paiement d’une partie des jours de grève. (Le rêve, songera-t-on peut-être dans les McDonald’s du Québec, où l’on se souvient de quelques conflits en vue d’obtenir ne serait-ce qu’une illusion de syndicalisation…) Rassemblements, manifestations à l’entrée d’autres McDo, partenariats avec des employés de Pizza Hut, ralliements, tout était bon pour attirer la sympathie du public.

S’attaquer à une entreprise comme McDo, c’est s’en prendre avant tout à un méga-symbole. Devant la succursale emmurée de pancartes (drôlement réussies, foi de journaliste!), les passants en avaient long à dire. Si certains voient en "Ronald" le clown à la tête de l’impérialisme économique de l’Oncle Sam, d’autres affirment ne pas manger là de toute façon. "C’est gras et c’est pas bon… C’est bon pour les Américains qui ont quelques kilos en trop (rires)." Mais sous ces discours se révèle un autre Paris… un peu moins antiaméricain celui-là… Des adolescentes, toutes de Calvin Klein et d’habits dernier cri vêtues, soupirant, yeux au ciel, voyant qu’elles ne pourront engloutir le "cheese au comté" ou le "Big Mac Tartiflette" tant convoité. Et marmonnant: "C’est seulement des p’tits boulots et ils font la grève. Mais c’est n’i-i-i-importe quoi…"

Samedi 31 janvier, 11 h, succursale Strasbourg-Saint-Denis. Une quinzaine d’employés en grève et sympathisants font le pied de grue à l’intérieur de ce qui est pratiquement devenu "leur McDo" (qu’ils ont d’ailleurs ouvert avec leur propre clef, ce matin!). Il fait chaud, l’électricité, plus chanceuse que l’eau, n’a pas été coupée. Le café qu’on sirote provient de La Brioche Dorée, juste en face, détail important quand on est dans un McDo. Pour souhaiter la bienvenue aux derniers arrivés, des manifestants, bien sûr, mais aussi toute une armée de coquerelles qui se moquent bien du sourire fendu jusqu’aux oreilles du Ronald McDonald en simili-bois. Puis c’est le départ vers un autre McDonald’s, celui du boulevard des Italiens. Les manifestants sont bien décidés à entraver l’entrée du restaurant à cris de "Chez McDonald’s, ça s’passera plus comme ça!" et de "Grève générale, dans tous les McDonald’s!". L’ambiance bon enfant ne sera pas troublée par l’arrivée des policiers qui passent, s’entretiennent avec les manifestants, entrent acheter un café et repartent comme ils sont arrivés. On est en France…

Sur les bannières, des slogans en plusieurs langues très révélateurs. Pour ces syndiqués de la Confédération générale du travail (CGT), McDo, c’est l’exploitation. "45 millions d’euros par an en pub TV. En vrai, tu manges de la pub." Et le discours se fait virulent: "Nous exploitons les jeunes et nous le faisons bien. Ça se passe comme ça chez McDo. Répression syndicale, heures supplémentaires non payées, salaires misérables, harcèlement moral, précarité. Nous voulons la liberté syndicale. Un salaire pour l’ensemble de la jeunesse. Rejoignez notre équipe pour vous faire exploiter." Face à cette manifestation pacifique, le gérant de la franchise McDonald’s concernée garde le sourire et son calme. Il demande à ses employés de se retirer à l’arrière du restaurant et ferme momentanément boutique.

Pas la première fois…
La grève est le résultat d’une longue croissance de la frustration chez les employés. En mars 2003, la colère s’est mise à gronder. La CGT explique qu’il faut remonter à 2001 pour comprendre le conflit. Cette année-là, les employés de la franchise ont fait la grève durant quatre mois par solidarité pour leurs collègues qui avaient été licenciés au moment où ils voulaient organiser des élections syndicales. La grève s’était conclue par la victoire des grévistes au tribunal. "Depuis, McDo n’a eu de cesse de prendre sa revanche: au pays des salariés exploités mais heureux, le symbole était par trop désastreux." Par la suite, soutiennent les employés, un nouveau gérant, un "nettoyeur", fut embauché à la tête du restaurant afin de maîtriser la grogne.

À travers ces événements et ce qu’en disent les salariés, on sentait nettement l’attitude antisyndicalisation qui fait la réputation du roi incontesté de la restauration rapide. D’après la CGT, ce "gérant-nettoyeur" s’est empressé de s’en prendre aux délégués syndicaux. C’est le licenciement d’un d’entre eux, Tino Fortunat, qui a mis le feu aux poudres. C’est à ce moment que la seconde grève a éclaté, en mars 2003, "pour des augmentations de salaire, l’amélioration des conditions de travail et le paiement de toutes les heures travaillées!" insiste la centrale syndicale.

Loin de baisser les bras, Tino Fortunat s’est affiché en tant que tête du mouvement de grève. Fait particulier d’ailleurs, car il était en quelque sorte un "cadre" de la succursale. "Je faisais un peu office de directeur et j’ai découvert des irrégularités dans la gestion financière", relate-t-il, découverte qui n’est sans doute pas étrangère à ses soucis. Son passage chez McDonald’s le laisse profondément amer, et il a espoir que la nouvelle entente patronale/syndicale puisse améliorer les choses. "Chez McDo, il faut servir les clients en trois minutes. À l’avant, c’est la cadence. Derrière, ce sont les machines qui t’abrutissent, avec le bruit de la sonnerie (…). Aujourd’hui, un comité paritaire a été formé entre la direction, les salariés et la Direction départementale du travail et de l’emploi. Nous avons aussi obtenu une augmentation des salaires et le paiement de 35 % des jours de grève." La succursale est actuellement en travaux et rouvrira en avril.

Un chausson avec ça?