Au cours des 10 dernières années, la GMQ, seul syndicat de musiciens reconnu en vertu de la loi, a voulu coller l’étiquette de producteur à de simples diffuseurs afin de les amener à négocier des conventions de travail strictes. De petits diffuseurs ou locateurs de salles comme le Café Sarajevo ou La Place à côté ont ainsi goûté à la médecine de la GMQ, celle-ci usant de son pouvoir d’envoyer des avis de négociation et de faire appel à la Commission de reconnaissance des associations d’artistes et des associations de producteurs (CRAAAP).
En 2002, une décision de cette commission rendue à la suite du dépôt d’une requête de la GMQ est venue taxer le Café Sarajevo du statut de producteur, ce qui a mis le feu aux poudres et provoqué la naissance du mouvement spontané « Tous contre la Guilde », qui a depuis passé le flambeau à l’AMAQ. Selon les prétentions de la GMQ, un cachet minimum pouvant atteindre plus de 140 $ devait être versé à chaque artiste montant sur scène dans une soirée, peu importe l’identité de l’organisateur. La facture d’un spectacle amateur mis sur pied par les artistes eux-mêmes dans un petit bistro pouvait dans cette optique grimper à quelques centaines ou milliers de dollars pour le diffuseur.
De quoi donner envie à ces derniers de claquer la porte au nez à quiconque se présente, guitare et tracts sous le bras, avec la volonté d’auto produire un spectacle.
La survie de la scène semi-professionnelle et alternative était menacée au Québec, jusqu’à ce que la Cour supérieure renverse en janvier dernier cette décision de la CRAAAP dans l’affaire du Café Sarajevo. Aujourd’hui, cette jurisprudence solide permet aux auto producteurs et à ceux qui les accueillent de respirer. Ils échappent aux griffes de la GMQ, ce qui pave la voie des futures actions de l’AMAQ, qui entend mettre sur pied un réseau alternatif de lieux de diffusion.
La réplique
Simon Jodoin (Simon J. & The Fuckingruvin Virtual Dumb Band [Folk Off], Mort de rire), président de l’AMAQ, explique la position de son clan: la Loi sur le statut de l’artiste et la GMQ, qui encadrent les relations de travail, ne doivent pas s’intéresser aux musiciens non professionnels ou amateurs. Face au monopole de la GMQ, l’AMAQ défend la liberté d’association des artistes et la reconnaissance de leur droit de jouer où et quand ils le désirent. « La jurisprudence stipule maintenant de façon claire que l’artiste qui s’autoproduit et le diffuseur n’ont pas à se plier aux règles de la GMQ. En cas de nouveau mouvement hostile, nous allons lutter pour protéger cet acquis », promet Jodoin. Avec les autres bénévoles qui constituent l’exécutif de l’AMAQ (Mononc’ Serge Robert, Éric Goulet et Pierre Girard), il a jeté les bases d’un nouveau réseau de diffusion et de collaboration et a concocté un contrat type définissant la relation entre un autoproducteur et un diffuseur. Déjà, L’Escogriffe, le Café Sarajevo et le Va-et-Vient (Montréal), le Festival de musique émergente d’Abitibi, le Scanner et le Bal du Lézard (Québec) ainsi que le Crapet Soleil (île aux Coudres) appuient la démarche à des degrés divers.
L’ADISQ, qui a intercédé en faveur du Café Sarajevo dans la cause l’opposant à la GMQ, se réjouit aussi du récent jugement de la Cour supérieure. « Les prétentions de la GMQ mettaient en péril tout un écosystème, une structure fragile », dit Lyette Bouchard, directrice générale adjointe. Quant à la volonté d’artistes et de diffuseurs autonomes de se réunir autour de l’AMAQ, la gestionnaire considère qu’il est « tout à fait logique qu’ils s’organisent et qu’ils fassent circuler leurs spectacles ». Stéphanie Hénault, avocate et conseillère en relations de travail à l’ADISQ, ajoute que les intervenants du milieu doivent reconnaître que tout ne peut pas être encadré. « Dans cette optique, nous avons confiance que diverses causes impliquant des membres et des non-membres de l’ADISQ tiendront compte de cette récente jurisprudence. Le Café Sarajevo et les autres sont de véritables pépinières de talents, et la logique ne peut que triompher dans ce dossier. »
La Guilde persiste et signe
Le président de la Guilde des musiciens, pour sa part, a qualifié de « ridicule » le jugement de la Cour supérieure donnant raison au Café Sarajevo. Gérard Masse n’a d’ailleurs pas changé d’avis. Selon lui, un petit bar louant ou prêtant sa scène à quelques artistes qui s’organisent eux-mêmes devrait être considéré comme un producteur. « La loi cause à notre organisme des problèmes de fonctionnement majeurs, se plaint-il. Ce que nous voulons, c’est assurer des conditions de travail minimales aux musiciens. Souvent, on leur donne 10 $, une bière et une pizza et ils ne contrôlent pas la collecte d’argent à la porte. » Avançant l’argument selon lequel les artistes veulent généralement faire carrière, Masse dénonce le fait que « tout le monde revendique maintenant le statut de diffuseur (qui n’est pas défini par la Loi sur le statut de l’artiste) pour échapper aux règles ».
Au sujet de l’AMAQ, Gérard Masse se montre cinglant. « Ce n’est pas une association reconnue. Ce que je sais d’eux, c’est qu’ils défendent le cheap labour. Ils n’ont pas de contrats, pas d’avocats, ça tournera au vinaigre car ils revendiquent quelque chose sans en avoir le mandat. » Le président de la GMQ fait quand même preuve d’une certaine ouverture. « Pour la relève, pour ceux qui veulent s’éclater, ça peut se faire (présenter des spectacles autoproduits), mais il faut quand même que ce soit balisé. » Gérard Masse entend profiter des travaux parlementaires prochains pour demander, entre autres, que le statut de diffuseur soit défini et encadré par les autorités.
« La STCUM devrait-elle être reconnue comme productrice de spectacles vu qu’il y a des musiciens dans le métro? réplique Simon Jodoin. Est-ce qu’on va laisser l’État réglementer tous les amateurs jusque dans leur sous-sol? Est-ce socialement acceptable? Pourquoi est-ce que je ne pourrais pas être autonome et jouer où et quand je le veux, viarge!? »
Dans les mois à venir, les intervenants dans ce dossier suivront de près les travaux pouvant mener à une refonte de la Loi sur le statut de l’artiste et chacun tentera de faire valoir son point de vue dans une éventuelle commission parlementaire.
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Liens Internet pour plus d’information
L’AMAQ: son contrat type: www.lamaq.org
L’ADISQ: www.adisq.com
La Guilde: www.guildedesmusiciens.com
La CRAAAP: www.mcc.gouv.qc.ca
Le Va-et-Vient: www.levaetvient.com
Le Crapet Soleil: www.crapetsoleil.com
Le Scanner: www.scannerbistro.com
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Le contrat et le réseau de diffusion de l’AMAQ
Il en coûte 5 $ aux artistes qui désirent devenir membres de l’AMAQ et c’est gratuit pour les diffuseurs. Simple, le contrat type entend clarifier la position des diffuseurs et des musiciens autoproducteurs, en plus de mettre en lumière les droits et devoirs de chacun. Quant au réseau de diffuseurs qui se met en place, il s’agit d’abord d’un mouvement de solidarité auquel viendront s’ajouter des avantages divers touchant aux commandites de transport, de logement, de nourriture ou d’alcool.
Les artistes membres de l’AMAQ, plus de 150, proviennent en grande partie de la sphère alternative, comme en fait foi la présence des Galaxie 500, Polémil Bazar, Quai M83, Cowboys Fringants, Ève Cournoyer, Arseniq 33, Les Ours, Les Chiens, Mononc’ Serge, Karkwa et Mauvais Sort, pour ne citer que les plus connus. « En tenant compte des sympathisants, notre mouvement rassemble près de 400 personnes », estime le président de l’AMAQ.
Afin de célébrer l’officialisation d’une entente diffuseur-autoproducteur conclue avec le Va-et-Vient, l’AMAQ propose quatre mercredis de festivités, du 21 avril au 12 mai prochains, au cours desquels défileront Vander, Les Chiens, Ève Cournoyer, Psychocaravane, Mononc’ Serge, Folk Off, Ghislain Poirier, JF Lemieux et Karkwa.