Société

Ennemi public #1 : Bienheureux les sots

La publicité est atroce. Le genre de mièvrerie qui vous donne l’impression qu’on vous verse un plein seau de sirop d’érable sur le crâne. Ça vous englue tout entier, laissant dans le sillage des coulisses sur votre visage un film collant, indécrottable.

Il s’agit du cas type de pub pour morons qui vous donne envie de flinguer la télé. Le genre où vous avez l’impression qu’on prend le public pour des abrutis.

Perspicaces, vous aurez sans doute, grâce à cette subtile mais néanmoins poétique métaphore acéricultrice, reconnu l’annonce pour les beignes à l’érable de Tim Hortons. Celle-là même qu’on nous passe en boucle sur les chaînes francophones depuis quelques semaines et qui se révèle tout à fait dans le ton du reste de la série. Avec les mêmes personnages cons comme des manches et dont le bonheur béat donne presque la nausée.

Bienheureux les sots, nous répète inlassablement cette campagne.

Eh bien il semble qu’il n’y a pas que Tim Hortons qui prenne ses clients pour des abrutis.

Quelques intégristes du bon manger qui confondent le Guide alimentaire canadien et les plus sibyllines sourates du Coran ont eu la géniale idée de dénoncer cette pub. Et pourquoi? Parce que le personnage du père gaga y donne deux bouchées de beigne à son marmot. Un mauvais incitatif en cette ère d’obésité infantile, paraît-il.

Je vous jure, en lisant cela l’autre jour, un petit article dans je ne sais quel journal, j’ai failli hurler.

Un bébé mange deux bouchées de beigne dans une pub et vous montez aux barricades?

Qu’est-ce que ce sera à Pâques l’an prochain, à l’Halloween? Et puis vous avez pas l’impression de vous tromper de cible un peu?

Moi, je connais des choses bien pires que deux bouchées de beigne pour un enfant. Au moins cent mille choses qui sont toutes cent mille fois pires.

Parmi celles-là, il y a de grandir dans un monde aseptisé au possible, où certaines écoles interdisent désormais de jouer au ballon prisonnier (ou chasseur, c’est selon) parce que, comme le rapportait un lecteur la semaine dernière, le but du jeu est d’"abattre" l’adversaire. Dans ce monde, il y a des terrains de jeux où les enfants ne peuvent plus se faire mal, dont on a éliminé les angles droits pour qu’ils ne s’y cognent pas la caboche, qu’on a recouverts de sable, de plastique mou ou de morceaux de pneus pour que les têtes et les genoux fragiles y rebondissent joyeusement. Le jeu n’y est plus une expérience de découverte où l’on se casse la gueule pour apprendre la prudence. La prudence y est imposée.

Dans ce monde où l’on a éliminé presque tous les dangers, les parents sont devenus le pire ennemi des enfants. La consommation de Ritalin ayant crû de 33 % en trois ans et le nombre d’utilisateurs triplé en moins de huit ans, on ne se soucie guère d’autre chose que de son propre confort. On fait de la discipline comme son rapport d’impôt, avec dédain, et on laisse à des étrangers censés inculquer aux enfants une part de savoir le soin de les éduquer de long en large.

Pas étonnant donc que, dans ce même monde, on parque les enfants devant la télévision à longueur de journée et qu’on se demande ensuite si ce sont les pubs de beignes qui les font grossir.

***

Toujours dans le registre de la jeunesse sacrifiée, mon collègue Martineau vous exposait la semaine dernière que le degré de folie des expériences d’adolescents entretient un rapport direct avec les interdits, avec le degré de sécurité qu’on leur impose, avec la prudence ambiante.

Mais là, ça va trop loin.

Je lisais récemment qu’après le barebacking, pratique qui consiste à ne plus se protéger lors de relations sexuelles, la communauté homo était aux prises avec un nouveau phénomène encore plus troublant: le bugchasing.

Aussi aberrant que cela puisse paraître, il s’agit de jeunes gais qui cherchent à baiser avec des types séropositifs, sans protection. Pour le thrill, pour flirter avec la mort, par nostalgie des années 80, pour vivre dangereusement.

Ce qui revient à jouer à la roulette russe avec trois balles dans le barillet.

Faut-il que la vie soit devenue chiante pour qu’on en soit arrivés là?

Alors pitié, crissez-nous la paix avec les beignes.