Skinheads à Québec : Coco logique
"Skinheads are back in town", annoncent quelques graffitis laconiques barbouillés au centre-ville de Québec. Les groupuscules d’extrême droite, soupçonnés d’être moribonds depuis quelques années, seraient-ils en train de s’activer à nouveau dans la région, comme plusieurs ont pu le croire à première vue ? Vérification faite, malgré le retour discret de quelques tondus à tendance raciste, ce sont plutôt leurs ennemis, les skinheads d’allégeance progressiste et anti-raciste, qui ont investi le terrain. Soulagés?
"Il y a quelques années, les boneheads racistes étaient peu confrontés à Québec, si ce n’est que par quelques punks. Maintenant, ils sont moins présents; RASH et SHARP sont les seuls groupes vraiment organisés." L’explication, parsemée d’acronymes et de termes d’initiés, vient de Nestor, du chapitre de Québec de RASH (Red and Anarchist SkinHeads). Lui et deux autres membres du groupe ont accepté d’accorder une entrevue en échange d’un strict anonymat. Malgré les craintes liées à leur sécurité, ces activistes qui se définissent comme communistes libertaires ne ratent pas une occasion de rappeler que la majorité des skinheads sont anti-racistes.
Un peu d’histoire…
Le mouvement skinhead est apparu au début des années 60 en Angleterre et rassemblait des Blancs et des Noirs de la classe ouvrière adeptes de musique ska. Vers la fin des années 70, l’extrême droite tente d’investir le monde politique en même temps qu’elle recrute certains skinheads blancs parmi les plus violents et influençables. Les agressions racistes de cette branche dissidente du mouvement monopoliseront à partir de ce moment toute l’attention, au point où une majorité de la population ignore encore aujourd’hui que le mouvement skinhead est à la base anti-raciste. Les "vrais" skins demandent d’ailleurs que l’on parle de "boneheads" dans le cas de ceux qui croient en la suprématie des Blancs.
À la fin des années 80, un groupe de skinheads anti-racistes de New York crée SHARP (SkinHeads against Racial Prejudice), qui poursuit trois objectifs: faire de l’éducation populaire, mettre en lumière la présence de boneheads racistes puis confronter et expulser ces derniers par "tous les moyens nécessaires". Des chapitres SHARP sont ensuite créés dans plusieurs villes du monde, dont Québec et Montréal. Paradoxalement, certains éléments homophobes, patriotes, anti-hippies ou anti-communistes se sont parfois fait remarquer chez ces skins anti-racistes, mais le chapitre SHARP de Québec serait en grande partie épargné grâce à la présence de membres à l’idéologie progressiste, ce qui explique aussi l’alliance intervenue avec le RASH local.
Red and Anarchist SkinHeads, pour sa part, a été fondé en 1993 à Brooklyn. Composée d’anarchistes, de communistes libertaires et de révolutionnaires dont certains se sentaient à l’étroit dans SHARP, la nouvelle organisation posera le pied sur plusieurs continents. Les activistes de RASH, implantés à Québec et Montréal, se serviront de ce nouveau véhicule pour combattre le racisme, mais aussi ses principaux terreaux dont le capitalisme, le sexisme et l’homophobie. On parle aussi d’utiliser tous les moyens nécessaires, mais l’éducation populaire et la proposition de solutions de rechange sociales, politiques et culturelles progressistes demeurent pour le moment les armes de prédilection de ces redskins.
Les membres de RASH, tout comme ceux de SHARP, n’hésiteront cependant pas à confronter leurs ennemis dans la rue, ce qui se traduit parfois par des affrontements violents. Ce fut le cas au printemps 2003, devant le palais de justice de Québec, alors que des activistes anti-racistes se sont dressés contre une manifestation organisée par un groupuscule identitaire xénophobe (Québec Radical, qui a depuis été renommé Les Affranchistes) dans le cadre de la comparution de présumés proxénètes d’origine étrangère. Des boneheads sont aussi apostrophés de temps à autre dans les rues ou les bars de la ville.
Jusqu’à 200 sympathisants…
À Québec, certaines activités (concerts, lancements, projections de documentaires) conjointes de RASH et de SHARP réunissent entre 150 et 200 personnes. "Nous occupons assurément le terrain ici et c’est tant mieux, car c’est d’une tristesse de voir des gens de races différentes, exploités et écœurés, se taper sur la gueule mutuellement; c’est là toute l’expression de la folie du racisme", dit Nestor.
Même s’ils savent certains de leurs ennemis armés, les membres de RASH n’entendent pas reculer et ne comptent pas sur la loi ou les forces policières pour faire changer les choses. "Le racisme, comme la pauvreté, ça ne se combat pas avec des lois. Pour ce qui est des flics ou des politiciens, ils devraient commencer par regarder dans leurs propres rangs pour améliorer leur connaissance de l’extrême droite", ajoute Redroady, faisant entre autres référence au fait que les services de renseignement policiers s’intéressent plus aux mouvements anti-racistes d’extrême gauche qu’aux néo-nazis et "suprémacistes" blancs.
Têtes d’os racistes
"Ici, il y a un petit gang dont les membres se disent non racistes, mais nous avons de sérieux doutes à leur sujet. Ils sont provocateurs, portent des lacets blancs et des fleurs de lys en plus d’être en lien avec d’autres groupes semblables à Montréal, explique l’un des membres de RASH Québec. Pour ce qui est des boneheads ouvertement racistes, ils ont déjà été organisés dans la région, mais ce n’est plus le cas. Nous savons que certains résident à Cap-Rouge, Limoilou, Charlesbourg et sur la Rive-Sud."
"Mais ce n’est pas parce qu’ils sont en dormance qu’ils ne tentent pas de s’organiser, enchaîne Ti-Rex. La menace est toujours présente et nous restons vigilants." Redroady poursuit: "L’extrême droite dépasse de loin les boneheads. Elle est présente dans nos lieux de travail, nos familles. Le capitalisme, la guerre, la crise du logement, le sexisme et les "masculinistes" l’alimentent. L’antifascisme véritable doit donc s’attaquer à toutes ces causes profondes."
À la connaissance de François Bouchard, du service des relations publiques du Service de police de la Ville de Québec, le SPVQ n’emploie pas d’enquêteurs spécialisés dans les crimes haineux, une information qui devrait cependant être vérifiée plus en profondeur. "Dans le cas d’un crime comme celui récemment commis à Montréal (incendie dans une école de la communauté juive), ça relèverait des enquêteurs des crimes en réseaux. À Québec, au cours des dernières années, il n’y a eu que certains gestes racistes isolés, majoritairement des crimes contre la propriété."