Télé Québec : Faut-il sauver Télé-Québec ?
Le gouvernement Charest a-t-il l’intention de se débarrasser de Télé-Québec? Les interrogations du ministre Yves Séguin à ce sujet combinées aux compressions imposées à la télévision publique lors du dernier budget ont semé un vent d’inquiétude chez les employés de la station mais aussi dans la population. 20 000 personnes ont déjà signé une pétition en ligne témoignant de leur appui au maintien du caractère public de Télé-Québec.
Cette vague populaire s’ajoute à une pétition regroupant quelques 350 personnalités québécoises de tous les horizons qui fut rendue publique lundi dernier au théâtre Le Plaza, à Montréal, par le comité Sauvons Télé-Québec. Pour Anne-Marie Dussault, animatrice à Télé-Québec l’heure est grave. Les plus récentes compressions budgétaires de 5,4 millions de dollars auront pour effet d’asphyxier la production d’émissions originales et affecteront directement la programmation qui devra se passer de 2,5 millions. "Déjà Droit de parole et Québec plein écran sont mortes au champ de bataille des compressions budgétaires" fait remarquer la présidente de la FPJQ.
"Un Québécois sur deux regarde chaque semaine Télé-Québec. C’est quand même extraordinaire pour une télévision dont on dit qu’on n’a pas besoin. (…) Au cours des cinq dernières années Télé-Québec a investit 17 millions en acquisition de licence pour payer sa part de production. Ce montant a permis la production de documentaires d’une valeur de production 83 millions de dollars", continue mme Dussault.
À ceux qui disent que nous n’avons plus les moyens de nous payer une télévision publique la présidente directrice générale de Télé-Québec, Paule Beaugrand-Champagne, répondait il y a quelques jours que la station coûte 8 dollars par an à chaque citoyen québécois, soit 3 cents par jour… "l’équivalent de la location de 1,5 cassette vidéo et c’est moins que le prix d’un six-pack de bière", disait-elle. Les crédits alloués par le ministère de la Culture et des Communications à la télévision publique sont passés de 62,5 à 57,6 millions de dollars cette année. Mais si l’on tient compte de toutes les enveloppes gouvernementales c’est un total de 11 millions qui fut retiré à Télé-Québec depuis un an de l’avis de Mme Beaugrand-Champagne. Déjà en 1996 la station qui compte aujourd’hui 307 employés (contre 1250 permanents à TVA) a due essuyer des compressions de l’ordre de 12 millions qui ont entraîné la mise à pied de la moitié du personnel. Depuis 80 % de la production de la station se fait en partenariat avec le privé.
"Personne ne nous a dit vouloir fermer Télé-Québec, mais on va être rassuré quand on va savoir qu’on a les moyens de faire notre travail. Ce n’est pas en nous gardant dans un état de difficulté financière constante qu’on nous aidera à grandir. Ce que j’aimerais c’est que le gouvernement prenne une position très claire en faveur du maintien de la télévision publique, éducative et culturelle. Si cette position était prise l’incertitude et l’angoisse s’atténuerait. Mais on va se battre!", assure la PDG.
Des appuis de taille
Le journaliste et animateur Pierre Nadeau a été à l’emploi de Télé-Québec de 1980 à 1985. Il est de ceux qui estiment que la station est aujourd’hui vraiment menacée. "Télé-Québec a plus que jamais sa raison d’être dans notre univers télévisuelle dans la mesure où, au cours des années, Radio-Canada a un peu abandonné de larges pans [de sa programmation] qui en faisaient une télévision de service public. Radio-Canada n’a pas une programmation de télé publique. Son grand objectif est de doubler TVA. La façon d’y parvenir est d’adopter les moyens d’une télévision commerciale. Il ne reste plus que Télé-Québec qui demeure une télévision de service public et qui ne se laisse pas aller à la bataille à tout prix pour la cote d’écoute."
"Je dirais que Télé-Québec est aussi importante que le réseau électrique. Elle nous donne une image de nous-mêmes qui n’est pas strictement commercial", observe de son côté le cinéaste et romancier Jacques Godbout. "Depuis trop longtemps Télé-Québec n’a pas l’appui qu’il faut au plan gouvernemental pour remplir sa mission d’être la télévision culturelle et éducative du Québec. À mon avis c’est un phénomène de fonctionnaires qui sont des comptables et pour lesquels tout ce qui compte c’est ce qui se compte. Comme Télé-Québec n’a pas de grandes cotes d’écoute, c’est sans intérêt et on devrait s’en débarrasser. Mais aujourd’hui la personnalité d’une nation se définie à l’écran. On sous-estime depuis le début au Québec l’importance d’une télévision d’origine québécoise et s’adressant d’abord et avant tout aux Québécois. Radio-Canada s’adresse avant tout à tous les Canadiens et elle n’est pas éducative et culturelle avant tout. On pourrait se fier à TQS ou TVA pour être notre portait, mais ces deux postes de télévisions parlent d’abord et avant tout de la culture de l’industrie et sont au service des commanditaires. Et ça dans le domaine de l’esprit, ça ne suffit pas", continue-t-il.
Le cinéaste André Melançon qui a vu nombre de ses films pour enfants diffusés par la télé publique abonde un peu dans le même sens. "Ce que je trouve inconcevable c’est qu’on en soit encore aux pétitions, qu’on soit obligé de rappeler aux décideurs politiques l’importance de cette institution, comme s’ils ne se rendaient pas compte des enjeux fondamentaux. Que les artisans doivent dire au gouvernement de garder en vie Télé-Québec parce qu’elle est essentielle pour la culture québécoise, je trouve ça aberrant." Pour Melançon Télé-Québec remplit un créneau que les autres chaînes ne remplissent pas: "Il ne faut pas toucher à ça. Télé-Québec a permis beaucoup d’audace à un certain moment, elle offre des possibilités d’explorer des pistes nouvelles. Et dans des périodes où il y a des menaces de compressions ça gèle les possibilités d’audace et d’aventure. J’ai fait un documentaire il y a 20 ans, L’espace d’un été, qui relatait les aventures de garçons d’un quartier populaire de Montréal que Radio-Québec avait accepté de diffuser. Autrement c’aurait été presque impossible de le voir."
L’auteur des Bougon François Avard a tenu lui aussi à signifier son soutien à une station pas comme les autres. "Comme tout le monde j’entends parler de rumeurs de privatisation et je trouverait ça extrêmement triste car c’est un endroit où on voit des choses qu’on ne voit pas ailleurs. Des trucs qu’on ne verrait pas à TVA passent à Télé-Québec qui donne la liberté totale sur le plan de la liberté d’expression et Les francs tireurs en sont un bon exemple. Si on enlève cette voie aux artistes est-ce que ça veut dire qu’il faudra toujours faire du Star académie? Une télé nationale on en a besoin, il n’y a rien a ajouter.
"Pour l’animatrice Christiane Charette également Télé-Québec se veut un espace de liberté qui est étranger aux télévisions privées qui répondent à des impératifs financiers et commerciaux. "Ce serait terrible de la perdre. La télévision est non seulement un outil de divertissement, mais également de parole d’expérimentation, de création et de réflexion. Il faut que la télévision puisse rester un espace où ce n’est pas que le seuil de rentabilité et les cotes d’écoute qui régissent tout."
"La situation est plus urgente aujourd’hui car l’idée [de privatisation] semble gagner de plus en plus de chemin. Il faut absolument maintenir des espaces de télécommunications publics sinon on est voué aux lois les plus brutales du marché. Télé-Québec a trouvé vraiment son créneau au cours des dernières années et ce serait vraiment triste qu’on vende son âme au diable", s’inquiète pour sa part le romancier Gaëtan Soucy.
Faire pression
Pour l’heure la direction et le personnel de Télé-Québec n’ont guère le choix que de se débrouiller avec le budget disponible, admet Mme Beaugrand-Champagne. Il est d’ores et déjà acquis que la programmation va écoper. De plus 10 employés contractuels ont dû quitter et une quarantaine d’autres sont sur le qui-vive jusqu’à juin, explique la PDG.
Pour l’avenir il n’y a pas de secret, sans une aide gouvernementale adéquate il sera très difficile de maintenir la mission éducative et culturelle de la station, dit Anne-Marie Dussault. "On demande au gouvernement le maintien des budgets à hauteur de 62 millions et un engagement formel envers la télévision publique. On ne peut pas nous demander de remplir une mission importante et d’être compétitif en même temps. Ce qui me désole c’est voir que pour certains le seul critère pour évaluer l’importance d’une télévision publique est de la comparer à TVA ou à Radio-Canada. On a des retombées économiques extraordinaires dans le milieu de la culture à tous les niveaux autant pour ce qui est de la scénarisation, de la réalisation ou des arts visuels."
Télé-Québec boucle son budget en vendant de la publicité et en louant ses studios, continue Mme Beaugrand-Champagne. Mais il ne faut pas croire que la pub pourrait être une alternative aux subventions de l’État. "L’an dernier on a eu 7 millions de dollars en revenus publicitaires. Le plus gros montant depuis toujours. Si on ajoute les prestations de services (location de studios) cela fait 14 millions provenant d’autres sources. La publicité n’est pas une solution. Nous n’avons que 8 minutes de droit de vente en publicité à l’heure, alors que les autres télévisions en ont 12. C’est aussi notre choix. Il n’y a aucune publicité pendant les émissions jeunesse" conclut la PDG.