Faut-il démoniser Wal-Mart? : Un géant mal-aimé
Société

Faut-il démoniser Wal-Mart? : Un géant mal-aimé

Wal-Mart dit blanc, ses détracteurs disent noir. Entre le discours du Godzilla du commerce de détail et celui de ses multiples pourfendeurs, il existe un univers de différences. Qui a raison?

Un vendredi ensoleillé à LaSalle. 17 h 30. Dans le vaste stationnement d’un magasin Wal-Mart, sept étudiants de l’Université Concordia préparent les piles de tracts qu’ils comptent distribuer pour "déconvertir" les fidèles clients de la plus grande entreprise au monde.

Ces activistes, membres du collectif uberCulture, participent à la tournée pancanadienne Wal-Town 2004. Lancée le 30 avril dernier à Jonquière, devant le Wal-Mart où, quelques semaines auparavant, une demande d’accréditation syndicale avait été rejetée par une majorité d’"associés", cette tournée mènera les jeunes contestataires jusqu’à Vancouver, le 22 mai. D’un bout à l’autre du Canada, ils propageront ainsi la bonne nouvelle devant une vingtaine de magasins du roi des "bas prix de tous les jours".

La succursale de LaSalle est la deuxième qu’ils visitent. Aussitôt installés sur le pas de la porte du grand bâtiment gris, les activistes reçoivent la visite du gérant, qui leur indique poliment que la politique de Wal-Mart interdit toute forme de sollicitation sur ses terres. Ezra Winton, instigateur du projet Wal-Town, échange quelques mots avec le gestionnaire avant de revenir vers son groupe rendre compte de la discussion: "Ils vont probablement nous demander de partir si nous commençons à distribuer nos tracts. Alors nous devrions commencer à distribuer nos tracts."

Intéressés ou pas, les clients de Wal-Mart qui reçoivent ces papiers subversifs émettent souvent des commentaires du genre: "Je sais tout ceci, mais ça coûte moins cher ici alors je viens quand même…" "Chez certains, c’est l’apathie totale, dit la porte-parole de Wal-Town pour le Québec Johanne Savoy. D’autres restent avec nous pour parler."

J’accuse!
Dans son plaidoyer contre le géant de Bentonville, le collectif uberCulture présente ce qu’il appelle les "trois piliers du succès de Wal-Mart". Selon les activistes, Wal-Mart: 1) exploite les travailleurs à l’étranger, 2) exploite ses "associés", 3) détruit les commerces locaux. Commandité notamment par le Syndicat des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC), le Conseil des Canadiens et le Congrès du travail du Canada, le groupe critique surtout les pratiques censément douteuses de Wal-Mart en matière de travail.

La défense de Wal-Mart
Joint au téléphone, le porte-parole de Wal-Mart Canada, Andrew Pelletier, soutient que les allégations du collectif uberCulture n’ont aucun fondement: "Nous croyons en la liberté d’expression, dit-il, mais si l’on s’exprime librement, je pense que l’on doit avoir en même temps la responsabilité de présenter les véritables faits quant à ce que l’on avance. Je ne pense pas que c’est ce que fait uberCulture." Wal-Mart Canada a préparé une réplique documentée afin de rétablir les "faits". L’occasion est belle d’observer de plus près quelques points de vue divergents…

Wal-Mart n’exploite personne
Selon Andrew Pelletier, il est absolument faux de dire que Wal-Mart bafoue les droits humains des travailleurs à l’étranger. "Chaque année, la division nord-américaine de Wal-Mart dépense au-delà de 40 millions $ pour s’assurer que ses fournisseurs et leurs usines respectent les normes élevées d’éthique du travail de la compagnie", indique-t-il.

Plusieurs ONG tiennent un discours opposé. L’organisme China Labour Watch (CLW) a, en février dernier, rapporté avoir découvert dans une usine de Shenzhen (Chine) des conditions de travail dures et moins que sécuritaires, pour des salaires misérables. CLW note même qu’une enseigne bien en vue sur un mur de cette usine rappelle aux employés que "si vous ne travaillez pas fort aujourd’hui, vous devrez travailler fort demain pour vous trouver un emploi". Le principal client de cette usine qui fabrique des chaînes stéréo s’appelle Wal-Mart. Invoquant le secret commercial, Wal-Mart refuse de dévoiler avec quels sous-traitants étrangers elle fait affaire.

Wal-Mart est un bon employeur
Andrew Pelletier déclare aussi que Wal-Mart n’a rien à se reprocher en ce qui concerne les conditions de travail de ses "associés". "Wal-Mart a été classée meilleur employeur du commerce de détail au Canada deux fois au cours des trois dernières années par le magazine Report on Business et la firme internationale en ressources humaines Hewitt Associates", ajoute-t-il.

On se rappellera toutefois qu’aux États-Unis, un scandale a éclaté l’an dernier lorsque 250 employés illégaux (des immigrants payés en deçà du salaire minimum, sans sécurité sociale ni protection contre les accidents de travail) ont été arrêtés lors d’une descente spectaculaire dans une soixantaine de succursales Wal-Mart. Et ce n’est que la pointe de l’iceberg: de nombreux autres cas d’abus et d’intimidation envers des employés favorables à la syndicalisation ont été rapportés.

Toujours aux États-Unis, dans une gigantesque action collective intentée contre Wal-Mart (qui regrouperait quelque 230 000 personnes), des employés disent avoir été forcés à travailler sans jouir de pause-repas et prétendent avoir été enfermés dans le magasin pendant le quart de nuit afin de continuer à travailler même après le départ des gérants. Des groupes féministes tels que la National Organization for Women (NOW) soutiennent aussi que le plus grand employeur privé du monde fait preuve de sexisme envers ses "associées". L’équité salariale et le refus de promotions sont au cœur des accusations. "72 % des employés de Wal-Mart sont des femmes, mais seulement 10 % de celles-ci sont gérantes", indique le collectif uberCulture.

Wal-Mart est un plus pour les communautés
UberCulture avance enfin que Wal-Mart est "à l’origine du démantèlement des petites communautés canadiennes en influençant l’aspect économique et socioéconomique de ces régions". La réponse de Wal-Mart Canada: "En juin 2002, l’Université Ryerson a publié une étude indépendante approfondie sur l’impact de Wal-Mart sur l’économie des communautés canadiennes. L’étude confirmait que Wal-Mart n’avait pas poussé des détaillants à la faillite et, dans plusieurs cas, avait même augmenté les ventes dans les marchés avoisinants partout au Canada. Pour appuyer cette affirmation, au cours des trois dernières années, plus de 90 communautés du pays ont exercé des pressions pour obtenir un magasin Wal-Mart dans leur région." Au Québec, la municipalité de Cowansville fait partie de celles-ci.

Au Canada, Wal-Mart est-il vraiment le démon dépeint par les différents groupes militants? Andrew Pelletier affirme que la situation au pays est bien différente de celle qui prévaut chez nos voisins du sud. "Aux États-Unis, les magasins Wal-Mart sont beaucoup plus gros et sont aussi des épiceries (les Supercenters), explique-t-il. On ne peut pas vraiment comparer les deux marchés. Au Canada, nous n’avons aucun plan en vue d’installer des Supercenters. Nous sommes axés surtout sur la croissance des magasins de détail ordinaires. Et si l’on regarde la quantité de demandes que nous recevons de la part de communautés qui veulent que l’on ouvre un magasin dans leur ville, il y a encore beaucoup de place pour la croissance avant de considérer de nouveaux formats de magasins comme les Supercenters."