Michael Moore : Soigne ta gauche
Société

Michael Moore : Soigne ta gauche

Soigne ta gauche

En brave Américain, Michael Moore se sent responsable de la situation en Irak. Afin de pallier ce sentiment de culpabilité, il a choisi de signer un documentaire dans lequel il dénonce avec son humour habituel – et une pointe de pathos dont on se serait bien passé – la politique extérieure de George W. Bush. Avouons-le d’entrée de jeu: Fahrenheit 9/11, dont le but premier serait d’empêcher la réélection de George W. Bush, ne provoquera pas autant de remous que Bowling for Columbine. Aux États-Unis, peut-être; mais pas de ce côté-ci de la frontière: "Je sais que vous connaissiez déjà tout ce dont je traite dans mon film, explique Moore aux journalistes, pour la plupart canadiens, mais lorsque les Américains verront ce film, je sais qu’ils seront bouche bée car on les tient dans l’ignorance. Ce que vous voyez dans vos bulletins de nouvelles le soir diffère de ce que l’on nous sert chez nous. Toutefois, je suis persuadé qu’il y a des images dans Fahrenheit 9/11 que vous n’aviez jamais vues auparavant."

De fait, le réalisateur, fort d’une armée de quelque 30 pigistes à travers le monde, livre d’abondantes images inédites qui font tantôt sourire puis rager, comme celles d’un Bush feuilletant un livre d’un air abruti pendant sept minutes devant de jeunes élèves alors qu’il vient d’apprendre que des avions ont percuté les tours du World Trade Center, ou celles où il démontre plus d’intérêt pour son swing au golf que pour les lois antiterroristes. D’autres extraits rendent compte de la barbarie inhérente à la guerre; les uns montrant des soldats irakiens qui pendent les cadavres grillés de soldats américains, les autres, des soldats américains se moquant de l’érection de la dépouille d’un combattant irakien.

Au-delà des images sensationnalistes, retenons la recherche minutieuse et l’habile montage qui permettent à Moore de mettre au jour toutes les contradictions qui animent les membres de l’administration Bush, qu’il présente dans une parodie de Bonanza. Incroyable de voir à quel point leurs opinions sur l’Arabie Saoudite, les armes de destruction massive en Irak et le réseau Al-Qaïda ne sont plus les mêmes après le 11 septembre.

Aussi, l’une des forces de Moore, qui tient à divertir tout en informant, s’avère son humour incisif. Sans parler de la bêtise humaine qui le sert bien. Pour dénoncer le fait que ce sont les jeunes issus des familles pauvres qui se sacrifient pour leur patrie, il demande à des membres du Congrès s’ils voudraient envoyer leurs enfants en Irak. Ne se sent-il pas comme une figure singulière de la gauche américaine? "Si les intellectuels de la gauche redécouvraient leur sens de l’humour, ils rejoindraient plus de gens. Montés sur leurs grands chevaux, ils regardent les gens de haut en se demandant pourquoi personne ne veut de leur compagnie. Moi, je suis resté le gars simple du Michigan…"

Flattant les journalistes canadiens au sujet de leur bonne nature (spécialement lors d’interventions plus ou moins appropriées de journalistes américains), Moore affirme être prêt à prouver toute la légitimité des faits qu’il avance en voyant que certains doutent de sa bonne foi: "Personne ne peut me poursuivre, car mes films sont solides et respectent les faits; j’ai tous les documents à l’appui, une équipe de recherchistes et trois avocats. Pour Bowling for Columbine, j’ai inclus sur mon site Internet des extraits inédits pour répondre aux allégations de mensonges."

Alors que l’on diffuse de nouvelles images sur les ravages de la guerre en Irak, Moore serait-il tenté de les inclure au montage d’ici la sortie officielle du film? "Non, je ne crois pas… nous avions ces images deux mois avant que le scandale n’éclate, mais on ne savait pas quoi en faire. On se disait qu’on devrait les faire connaître au public. Mais si on l’avait fait, je crois que la presse américaine m’aurait accusé de vouloir faire de la publicitéééé juste avant d’aller présenter mon fiiiilm à Caaaaannes", termine-t-il sur un ton moqueur. Mais il n’est pas dit que d’autres images percutantes ne seront pas ajoutées d’ici là. Impossible toutefois d’en connaître la nature.

Moore prévoyait sortir son film en juillet, mais au moment de cette rencontre, le pamphlet n’a toujours pas été acheté par les Américains, Disney et Icon, société de production de Mel Gibson, l’ayant abandonné…