La cigarette crée une discordance : Écraser l'ennemi
Société

La cigarette crée une discordance : Écraser l’ennemi

Un sondage paru à la fin de mars dernier révélait que 75 % des citoyens de Québec et de Lévis appuyaient l’idée d’interdire le tabac dans tous les lieux publics. Au pays, Vancouver, Ottawa et Toronto sont des villes sans fumée. Un organisme milite activement pour que Québec devienne la prochaine sur la liste, mais il y a encore loin de la coupe aux  lèvres.

Élizabeth Lessard

, coordonnatrice du projet Québec et Lévis villes en santé, villes sans fumée instigué par l’Alliance pour la lutte au tabagisme, admet que de nombreuses embûches restent à surmonter avant de voir disparaître toute cigarette dans les restaurants, bars et autres lieux publics de la ville. Principale pierre d’achoppement: la Loi sur le tabac de 1999 qui a retiré le pouvoir aux municipalités de réglementer l’usage du tabac. Depuis, c’est la législation du gouvernement du Québec qui s’applique sur l’ensemble du territoire. La loi actuelle, qui sera révisée l’an prochain, prévoit l’installation de cloisons fermées d’ici 2009 dans tous les restaurants qui désirent conserver une section fumeur. "Mais cela ne touche pas les bars ou les salles de quilles, par exemple. Ce qu’on veut, c’est que tous les lieux publics deviennent sans fumée par une loi provinciale, idéalement", poursuit Mme Lessard.

"Et si le gouvernement n’est pas prêt à élargir à ce point la portée de la loi, qu’il redonne aux municipalités le pouvoir de réglementer l’usage du tabac, comme c’est le cas dans les autres provinces. Victoria est devenue en 1999 la première ville à interdire le tabac, suivie de Vancouver, Ottawa et Toronto. Plus de 69 municipalités en Ontario ont maintenant emboîté le pas. L’Irlande et la ville de New York ont aussi banni la fumée de tous les lieux publics. En Californie, il est même interdit de fumer dans les parcs. La tendance est mondiale", explique-t-elle.

L’avis des restaurateurs
Claude-Étienne Valois, de la Corporation des restaurateurs de la ville de Québec, préfère ne pas prendre de position officielle dans le dossier, bien qu’il se montre sympathique à l’idée d’une ville sans fumée. "On améliore ainsi la qualité de l’air et de l’environnement. Mais je ne suis pas contre les restaurants qui sont fumeurs. On est au service de nos membres, fumeurs ou non-fumeurs."

De son côté, François Meunier, de l’Association des restaurateurs du Québec, s’oppose clairement à ce que les villes recouvrent le pouvoir d’adopter un règlement pour proscrire le tabac dans les lieux publics. "On préfère que le gouvernement applique une législation de manière uniforme. Notamment à cause de la confusion que cela pourrait créer chez le consommateur ne sachant pas dans quelle ville il a le droit de fumer. Cela pourrait aussi créer une forme de concurrence déloyale entre les commerçants compte tenu du fait qu’à un coin de rue de distance, un restaurant pourrait interdire l’usage du tabac et un autre non."

Achalandage à la baisse?
À ceux qui prétendent que fermer la porte aux fumeurs entraîne d’importantes pertes financières et une baisse de fréquentation, Mme Lessard réplique que les bars et restaurants de la ville de New York ont connu un regain de vie depuis l’interdiction de fumer, il y a un an. "Les recettes des tenanciers de bars et de restaurants ont augmenté de 8,7 % et 10 600 nouveaux emplois furent créés. À Ottawa, une étude a démontré qu’il n’y a pas eu d’impacts économiques négatifs dans les bars et restaurants. Dans la région de Victoria, aucun type de divertissement n’a connu de déclin sur le plan de la fréquentation depuis l’interdiction de fumer."

De l’avis de Renaud Poulain, PDG de la Corporation des propriétaires de bars et brasseries du Québec, qui s’oppose à une loi ou à un règlement qui interdirait de fumer dans les bars, un restaurant et un bar n’ont pas la même vocation, et ne pas l’admettre conduit parfois à des erreurs. "La cigarette est un produit légal et les gens acceptent que l’on fume dans les bars. À Winnipeg, la loi très sévère a été assouplie dans les bars, car elle nuisait aux affaires du gouvernement qui exploitait des appareils de loterie vidéo; le chiffre d’affaires avait baissé de 20 %."

Québec à l’avant-garde
Avec 54 restaurants qui ont choisi de leur propre initiative d’interdire la fumée, la capitale fait figure de chef de file en la matière au Québec. Jean-Luc Thérien, copropriétaire du restaurant Chez Cora au Carrefour Charlesbourg, explique que la chaîne a décidé il y a un an d’interdire la cigarette dans ses huit établissements de la région par souci de santé. "L’achalandage n’a pas diminué et le service est beaucoup plus rapide, car avant on avait une section fumeur et une non-fumeur, donc des fumeurs attendaient dans la file pour une place ou l’inverse. Il n’y a que trois ou quatre personnes qui tournent les talons par semaine devant le nouveau règlement; ce n’est pas beaucoup sur 2000 clients."

"Ce sont nos employés qui nous ont demandé d’agir. On a diminué progressivement nos sections non-fumeurs au cours des dernières années et on ne manquait pas de place. On n’a aucun regret", enchaîne Christine Normand, gérante du restaurant Cochon dingue situé sur le boulevard René-Lévesque, où l’on ne fume plus depuis près d’un an.

Pour Bruno Blais, directeur général de la coopérative La Barberie, qui est l’un des seuls bars sans fumée à Québec, il a suffi de préparer la clientèle quelques mois à l’avance pour que tout coule de source. M. Blais assure n’avoir constaté aucune diminution de clientèle, mais plutôt un changement dans la composition de celle-ci. "Ça n’a peut-être pas fait l’affaire de certains, qui ont été remplacés par d’autres. La qualité de vie de nos employés s’est améliorée et ils n’éprouvent plus de petits problèmes de santé. Et puis nous sommes un salon de dégustation de bière; avec une cigarette, ce n’est pas l’idéal…"

Mais qui tranchera? La Ville, le gouvernement? Anne Bourget, membre du Conseil exécutif de la Ville de Québec et responsable de l’environnement, se prononce: "La Ville ne prendra pas les responsabilités que le gouvernement du Québec assume déjà en la matière, d’autant plus que nous n’avons pas les moyens financiers de les assumer. Je suis sympathique à cette cause d’une ville sans fumée, mais nous allons suivre les positions de l’Union des municipalités du Québec. Nous n’allons pas agir seuls dans ce dossier."