Contestation à l’américaine : Les dessous de la politique
L’image vaut mille mots et le slip vaut dix dollars. Une bande de filles rigolotes et un peu dingues ont décidé de mettre à profit les plus belles courbes du corps féminin et le doux penchant des Américains pour le voyeurisme dans leur bataille contre leur "moron" national.
Elizabeth Eve
n’aurait jamais cru qu’un jour elle pourrait se comporter en exhibitionniste. Mais par les temps qui courent, ce professeur d’histoire de 33 ans peut difficilement combattre son envie urgente de retrousser sa jupe et de montrer sa petite culotte rose. "Il y a quelque chose de profondément libérateur et excitant là-dedans, dit l’enseignante. Encore hier, j’enseignais les fondements de l’impérialisme américain à ma classe d’étudiants. C’est une matière sérieuse, dérangeante, démoralisante… Alors j’ai eu soudainement envie, encore une fois, de montrer mon slip pour tout simplifier…"
Il faut dire qu’Elizabeth ne porte pas des dessous ordinaires. L’enseignante fait partie d’Axis of Eve, un groupe militant de féministes pacifistes nouvelle vague qui ont choisi de montrer leurs petites culottes afin d’exprimer leurs dissidences politiques.
Les Eves, comme elles aiment à se nommer, ont décidé de rendre la contestation des politiques de George W. Bush plus sexy. Elles envahissent les rues et squattent les événements politiques publics avec leurs "protest panties" sur lesquelles sont inscrits des slogans à double sens tels que: "Lick Bush", "Give Bush the finger", "Drill Bush, not oil" ou, plus simplement, "Expose Bush".
Lorsque les filles montrent délibérément leurs dessous dans une manif, le succès est, semble-t-il, aussi immédiat que l’attention des médias: "Les culottes possèdent une force de mobilisation et d’inspiration extraordinaire, dit Tasha Eve, anthropologue et cofondatrice d’Axis of Eve avec Zazel Eve, une amie d’université (en signe de solidarité, les filles ont toutes choisi de se surnommer Eve), je crois que le discours habituel est devenu inefficace dans ces débats publics qui reposent sur l’image. L’efficacité de ces actions provocantes dépasse le simple outrage aux bonnes mœurs."
L’audace a cependant des limites dans le pays de l’oncle Sam et les filles demeurent quelque peu méfiantes. Si elles sont tout à fait disposées à exhiber leur popotin devant des centaines de personnes, elles ne tiennent pas à ce que leurs noms soient rendus publics. "C’est presque marrant, lance Elizabeth, nous exposons nos parties intimes mais nous refusons de nous exposer nous-mêmes. Dans mon cas, c’est simple: je suis enseignante. J’ose à peine imaginer les réactions puritaines des mères de mes étudiantes; elles me prendraient pour une folle et s’empresseraient de retirer leur progéniture de ma classe."
Tasha et Zazel ont commencé cette sombre machination deux ans jour pour jour après que George W. Bush eut évoqué la délirante possibilité que l’Irak, l’Iran et la Corée du Nord fassent partie d’un Axe du mal (Axis of Evil).
En rage contre la malhonnêteté de cette administration et la prédominance de valeurs familiales dépassées dans les propos présidentiels, elles ont décidé d’"exposer" littéralement leur mécontentement. Durant l’hiver et le début de ce printemps, les filles ont d’abord lancé un site Internet, mis au point un lexique politique du slip en inventant des termes comme "bobettologie" et "bobettisation", et démarré la fondation Daughters of Eve dont le but est d’utiliser les profits des ventes de slips pour la production de vidéos invitant les jeunes à exercer leur droit de vote. Les militantes ont aussi inondé les babillards des universités et profité de la moindre activité culturelle et des fêtes annuelles pour promouvoir leurs produits de coton.
L’idée festive a finalement connu un boum retentissant lorsque Tasha, Zazel, Elizabeth et les premières membres du petit groupe ont débarqué à Washington le 25 avril afin de participer à la marche annuelle des femmes dans la capitale. Portant leurs slips bariolés de slogans sous des jupettes printanières, elles se sont rapidement installées à des endroits stratégiques d’où elles remontaient leurs jupes en criant: "Il a été assez étiré", "De quel côté de l’élastique êtes-vous?" ou "Assez de dissimulation…!!!". "La fièvre des slips à dix dollars s’est immédiatement installée. Nous avons vendu notre stock en une heure sous les regards sympathiques des services de sécurité et des policiers qui pouffaient de rire…"
Axis of Eve prépare activement son prochain attentat à la pudeur, prévu pour l’automne. La date: le 1er septembre 2004. L’événement: le congrès national du Parti républicain. Cent filles en imperméables blancs devraient, vers trois heures, ouvrir leurs impers et dévoiler leurs slogans anti-Bush toutes ensemble. Elles espèrent que les médias avides de se rincer l’œil avec une certaine retenue transmettront à la grandeur de l’Amérique cette "carte postale" politique pleine de slips colorés.
Parfois les trois filles s’inquiètent de la perception que pourraient avoir certaines militantes de gestes qui semblent, en un sens, exploiter le corps de la femme. "Mais jusqu’à maintenant, les réactions à notre engagement sont essentiellement positives", espèrent-elles.
Il y a du neuf au rayon lingerie depuis quelques semaines: "Nous avons mis en marché un slip portant le slogan: "My cherry for Kerry" car nous croyons que le côté sex-appeal de John Kerry, l’adversaire démocrate de Bush, mérite un sérieux soutien", disent les filles avant de conclure en rigolant: "Mais notre plus grand vendeur reste ce slogan quelque peu douloureux pour le président: "Give Bush the finger"!"