Jack Layton : Les habits neufs du NPD
En accusant Paul Martin dès la première semaine de campagne d’être directement responsable de la mort de milliers de sans-abri à cause de ses compressions budgétaires dans les programmes de logements sociaux, le chef du NPD, JACK LAYTON, annonçait un changement de stratégie. Voici le NPD nouveau! Agressif, engagé ouvertement.
Ainsi, à la surprise de plusieurs, c’est le NPD qui a engagé les hostilités en ce début de campagne électorale qui promet d’être des plus serrées. Changement radical car, au cours des dernières campagnes, le NPD avait adopté, aux yeux de plusieurs de ses militants, un ton un peu trop conciliant, quand il ne manquait pas singulièrement de mordant.
Les flèches lancées par Jack Layton à l’endroit de Martin ont trouvé écho dans les médias d’un océan à l’autre et ont fait dire au candidat libéral Dennis Mills que le chef du NPD "avait perdu la tête". Soit, Layton a un style nettement plus agressif que les anciens leaders
du parti mais il ne s’en excuse surtout pas. Vraisemblablement cette fois, le NPD ne regardera pas passer le train et défendra avec force les valeurs sociales qui lui sont chères. "Les gens préfèrent quand les politiciens soulignent les problèmes avec des mots clairs. Il faut parler franchement des défis que nous avons devant nous. Quand on a un problème comme celui des sans-abri qui augmente jour après jour partout au Canada, on doit souligner où se trouve l’origine de cette crise. Depuis 15 ans, on n’a jamais eu un tel nombre de sans-abri dans les refuges et les programmes d’urgence. Il y a des gens qui souffrent beaucoup à cause de ça. Quand j’ai analysé la situation, j’ai compris que c’était la décision de Paul Martin de mettre fin au programme de construction de logements abordables qui était à la source du problème", souligne celui qui a publié le livre Homelessness: The Making and Unmaking of a Crisis.
L’arrivée de Layton à la tête du NPD a redonné beaucoup d’espoir aux militants et membres du parti. Mais à l’heure du déficit zéro, comment redonner un nouveau souffle à la gauche? "Il faut travailler avec le secteur populaire. Nous avons établi des liens avec des groupes partout au Canada qui travaillent sur les dossiers de l’environnement, du logement abordable, des soins de santé publics ou des droits des femmes. Pendant la dernière année, nous avons créé des liens très forts avec ces groupes populaires et cela a produit un programme beaucoup plus énergique. Plusieurs des militants de ces organismes sont maintenant nos candidats, comme le directeur exécutif de Greenpeace, Peter Tabuns."
De l’expérience
Élu à six reprises au conseil municipal de Toronto, Layton se targue de posséder une riche expérience au sein d’un des plus gros gouvernements du pays. Reconnu comme un pragmatique qui aime régler des problèmes concrets, il a lancé la première stratégie canadienne sur le sida parrainée par une municipalité. "Avec 17 années d’expérience dans un grand gouvernement, je sais qu’on peut faire changer les choses", dit-il.
Résolument écologiste, Layton refuse ces "vieilles idées" voulant qu’il faille choisir entre la création d’emploi et la protection de l’environnement. Bâtir une économie soucieuse de l’environnement et prospère trône au sommet de ses priorités. "On peut créer une économie verte qui procure des emplois à tout le monde. Nous avons proposé beaucoup d’initiatives qui créeraient des emplois tout en purifiant notre air et notre eau. Et c’est possible car je l’ai fait dans mon travail pendant des années au conseil municipal de Toronto. En rénovant des bâtiments pour les rendre plus efficaces sur le plan énergétique, on crée des emplois avec les épargnes entraînées par la baisse des coûts. On crée ainsi des emplois tout en réduisant l’émission de gaz à effet de serre."
Deuxième grande priorité du parti: la santé. S’il prenait le pouvoir, le NPD de Jack Layton investirait 29 milliards $ dans la santé sur cinq ans. Les immenses surplus fédéraux liés au déséquilibre fiscal engendré, selon lui, par Paul Martin le justifiant pleinement. Le problème de l’itinérance tient aussi particulièrement à cœur au leader du NPD. À son avis, il faut construire rapidement 200 000 nouveaux logements sociaux. "On se doit aussi de relancer les investissements dans les communautés, dans le domaine du logement abordable en particulier. La priorité (des autres partis), c’est la réduction de la dette. Pour nous, ce n’est pas la priorité. Nous devons réinvestir dans les services parce que la qualité de vie baisse pour la majorité des gens maintenant. On n’est plus numéro un (au chapitre de la qualité de vie selon l’ONU) mais numéro huit."
Des gains au Québec?
Lors du dernier scrutin, le NPD avait fait élire 13 députés. Lorsqu’on lui demande combien il espère en faire élire le 28 juin prochain, Layton reste prudent et préfère ne pas spéculer outre mesure. Disant s’attendre à récolter quelques sièges de plus dans les provinces maritimes où le parti a souvent fait bonne figure, il se fait plus discret sur ses espoirs de faire des gains en Ontario. "Dans les villes (Ottawa, Toronto, Hamilton), on voit beaucoup d’intérêt, dans le Nord aussi. C’est aux Canadiens et Canadiennes de décider. Je pense que nous allons avoir une augmentation. De combien? On ne sait pas."
Ce n’est certes pas au Québec que le NPD peut espérer casser la baraque. Pas encore, du moins. Layton en est conscient mais aime à croire que le contexte évolue. Et puis il rappelle qu’il est né et a grandi au Québec. "Dans le passé, on n’avait pas d’équipe, pas d’organisation. Alors la campagne électorale se faisait sur le terrain de la souveraineté. Les libéraux et le Bloc étaient les principaux combattants. Mais aujourd’hui, la question de la souveraineté n’est plus une grande préoccupation pour la plupart des gens. On parle davantage de l’incompétence et de l’arrogance du Parti libéral avec le scandale des commandites."
Selon Layton, des Québécois veulent aujourd’hui travailler avec les progressistes de partout au Canada pour créer une vraie alternative. Cela se traduira-t-il en sièges? "Nous voulons percer. Les sondages indiquent une augmentation de nos appuis. Nous avons un long chemin à suivre, mais avec des candidats comme Pierre Ducasse et André Frappier, qui sont de plus en plus connus et impliqués dans leur communauté, j’espère que notre popularité grandira."
Il faudra tout d’abord convaincre les Québécois de tourner le dos au Bloc québécois qui, lui aussi, défend des valeurs progressistes en matière sociale. Pourquoi voter NPD alors? "Parce qu’on a fait le tour du Bloc! (rires) Ce n’est pas possible d’avoir une alternative progressiste partout au Canada si on travaille avec le Bloc. Car son mandat se limite à présenter des candidats au Québec. Alors que nous avons la possibilité de devenir le gouvernement. Et si on veut stopper les politiques de droite des libéraux et des conservateurs, on doit composer une alternative nationale. Je tends la main à ceux qui veulent construire une telle coalition. Parce qu’il y a beaucoup de sociaux-démocrates au Québec. Peut-être plus qu’ailleurs."
Un gouvernement minoritaire?
Depuis Seattle en 1999 et le premier rassemblement altermondialiste, ce n’est pas tant dans l’isoloir que dans la rue que la gauche se fait entendre. Jeune, bruyante, souvent désillusionnée face aux partis et à la vie politique, cette nouvelle gauche est à reconquérir pour le NPD. Layton explique que le parti a adopté une nouvelle stratégie pour séduire les jeunes qui porte ses fruits, grâce à un jeune organisateur. "Plus de 10 000 jeunes sont devenus membres et d’autres bien connus nous appuient ouvertement, dont Steven Page des Barenaked Ladies."
Quoi qu’il en soit, les sondages indiquent que ce n’est pas cette fois que le NPD prendra le pouvoir. La possibilité d’un gouvernement minoritaire, libéral ou conservateur, est de plus en plus envisagée. Dans ce contexte, Layton admet que le NPD aurait un plus grand rôle à jouer. A-t-il une préférence, Harper ou Martin? "Non, Martin et Harper sont presque pareils. Harper parle de baisses d’impôts; Martin les a faites. Harper parle de bouclier antimissile; Martin a décidé d’amorcer les discussions avec Bush. Harper n’aime pas Kyoto; Martin dit: "O.K., on va signer Kyoto mais on ne fera pas de politiques qui permettront d’atteindre les buts de Kyoto." Leurs politiques sont presque les mêmes."