Société

Ennemi public #1 : Un coup de pied au cul

Je ne sais pas trop à quoi je m’attendais.

Pour faire écho aux célébrations du 60e anniversaire du jour J, j’allais voir mon grand-père, un vétéran de la Royal Canadian Air Force, afin de tirer une chronique ou un truc du genre de notre rencontre.

Je croyais sans doute qu’il allait me servir une leçon sur l’honneur ou sur le courage, dont je pourrais ensuite vous parler. Ce courage dont les journalistes ont tellement causé ces derniers jours. Celui qui s’accompagnait de stupeur, de tremblements, de haut-le-cœur, d’angoisse et d’une peur bleue.

Mais ce sont plutôt des histoires abracadabrantes qu’il m’a racontées. Des bijoux que l’écrin de sa mémoire, bien qu’elle fléchisse peu à peu, n’a fort heureusement pas évacués.

Comme le récit de cette attaque d’un site d’envoi de missiles allemands V2 par son escadron de Typhoons. Une mission (sa 57e) qui a bien failli tourner au drame quotidien de la guerre, l’avion de mon grand-père, touché par des tirs ennemis, devant atterrir sans moteur, se déglinguant en se frayant un chemin entre deux arbres avant de glisser sa carlingue sur quelques mètres en territoire ennemi.

Pendant trois mois, il vivra dans la clandestinité, échangeant sa montre contre des faux papiers, se cachant chez différents fermiers: dans le foin, sous terre, dans des granges, parfois même à quelques pas de troupes allemandes hébergées, elles aussi, par ces mêmes cultivateurs.

Et pour tout vous dire, quand il a terminé cette histoire qui finit par la libération du secteur de la Hollande où il se cachait, j’étais complètement "flabbergasté".

Mais pas comme vous le croyez.

J’étais sidéré qu’il me parle de la guerre comme d’une aventure rocambolesque. Comme de la fugue de Tom Sawyer et Huckelberry Finn.

Était-ce par pudeur? Par humilité? Ben non: par franchise.

"Écoute, me dit-il, faut être jeune pour faire ces choses-là. Quand on est jeune, on se croit invincible, alors on n’y pense pas trop et on continue, on avance."

Je lui parle de courage et il me regarde en éclatant de ce rire que je lui connais depuis toujours, et dit: "Pour avoir du courage, il faut avoir peur, et je n’ai pas eu peur très très souvent."

J’étais scié.

Au volant de ma voiture, revenant chez moi, je me demandais bien ce que j’allais écrire.

Car sans le savoir, mon grand-père venait de foutre ma chronique en l’air. Et ce n’était pas sa faute. C’était la mienne.

La mienne parce que je m’étais mis en tête de vous parler de courage avec la finesse d’un sergent instructeur.

J’esquissais mentalement des parallèles entre la guerre et notre époque molle afin de démontrer que, dans notre confort béat, le courage se résume à aller chez le dentiste sans chigner ou, dans le pire des cas, à accepter la maladie ou une mort naturelle. Rien à voir avec l’idée que je me fais de voir ses potes qui explosent sur des mines et continuer à avancer.

Aussi, je voulais en rajouter et vous dire que j’ "haïs" les éducatrices nunuches et les psys à la noix qui croient à l’effet néfaste de la violence à la télé. Que je vomis les bien-pensants et les adeptes du wishful thinking cucul la praline qui croient aux bienfaits des Télétubbies, des jeux sans contact ni impact et d’un système d’éducation sans résultats scolaires autres que des commentaires sur l’intégration sociale.

Je voulais en remettre encore en ajoutant que j’ "hayiiis" notre société de particip’action, que le courage s’apprend justement dans l’échec. Dans ceux que l’on vit au quotidien comme dans ceux de l’humanité face à elle-même.

Mais j’ai vite compris que je divaguais en voyant le sourire de mon grand-père qui racontait ses "aventures". Un sourire qui en disait long sur l’inconscience du jeune homme qu’il avait été, tandis que mon ignorance se reflétait dans ses yeux brillants.

La seule chose dont j’étais désormais certain, c’était qu’on ne peut pas même commencer à comprendre ce qu’est le courage. Et surtout pas celui des autres.

Donc encore moins l’utiliser comme argument pour faire la morale à une société comateuse.

Toujours sans le savoir, mon grand-père m’a foutu un bon coup de pied au cul.

Et je l’en remercie.