François Rebello : Minorité, minoritaires ?
Société

François Rebello : Minorité, minoritaires ?

Galvanisé par les sondages qui placent son parti loin devant dans les intentions de vote au Québec, le candidat du Bloc québécois dans Outremont, FRANÇOIS REBELLO, veut rallier le vote des communautés culturelles et ainsi rafler le comté aux libéraux… tout en rêvant d’un gouvernement minoritaire.

Ce n’est pas une mince tâche qui attend l’ancien président de la Fédération des étudiants et étudiantes du Québec. Outremont est reconnu comme une forteresse libérale, un "comté sûr" que Paul Martin a confié à Jean Lapierre, son lieutenant politique au Québec. Mais selon François Rebello, les insuccès des souverainistes viennent du fait qu’ils n’ont jamais su déployer les efforts nécessaires pour se rapprocher de ceux que l’on nomme les néo-Québécois, particulièrement nombreux dans ce comté. Les choses doivent changer. La fibre québécoise des immigrants est beaucoup plus forte qu’on ne le pense généralement et les jeunes de la deuxième génération ont des positions politiques similaires à celles de n’importe quel citoyen, estime Rebello qui souhaite faire des gains importants parmi la communauté africaine en particulier.

Au-delà d’un nouvel électorat à convertir à la cause souverainiste, le candidat bloquiste se dit particulièrement touché par la situation socioéconomique difficile des membres des communautés arabe et noire en particulier, frappées par des taux de chômage largement supérieurs à la moyenne québécoise, soit 20 % et 17, 5 % respectivement. "C’est une source de grandes tensions car des gens bien éduqués ne réussissent pas à gagner leur vie. Le niveau de diplômation des Africains, par exemple, est plus élevé que la moyenne (…). Certains immigrants éprouvent de la rage. C’est pour ça que j’ai pris ce dossier au sérieux. Si on ne fait pas attention, on va se ramasser avec des tensions comme à Paris ou Washington", avertit Rebello.

Un plan d’action
Ainsi, dimanche dernier, dans le multiethnique Côte-des-Neiges, Rebello présentait son plan d’action en trois points pour lutter contre le chômage chez les immigrants, les Noirs en particulier. Signe que le vent commence peut-être à tourner, pour la première fois, un candidat bloquiste recevait l’appui de la Ligue des Noirs. Le cœur de la stratégie de Rebello consiste à mettre au jour la faible représentation des communautés visibles dans les entreprises, et au sein de la fonction publique fédérale en priorité. "Il faut rendre les cadres imputables dans la fonction publique fédérale pour essayer d’augmenter la représentativité [des communautés culturelles] de 7 à 15 %. En tant que député, on peut scruter à la loupe les rapports sur la diversité qui donnent les statistiques sur la composition de la main-d’œuvre dans les différents bureaux du fédéral et dénoncer les cas où le travail n’aurait pas été fait, où il n’y aurait pas suffisamment de minorités visibles. Ce n’est pas anormal que des gens aient des préjugés, il faut seulement s’assurer qu’il y ait assez d’incitatifs pour passer par-dessus."

Rebello voudrait aussi faire modifier la loi pour forcer les entreprises privées qui font affaire avec l’État à rendre publics leurs rapports sur la composition de leur main-d’œuvre, rapports qu’elles sont tenues de produire, mais pas de publier, soutient-il. "Dan Philips [président de la Ligue des Noirs] a essayé d’avoir des rapports sur les compagnies et il n’a jamais réussi. Si les rapports étaient rendus publics, on pourrait les comparer les unes aux autres et leur mettre de la pression. La Ligue des Noirs pourrait ainsi s’attaquer aux entreprises qui discriminent à partir de cette information."

Troisième point du plan d’action: accroître le soutien à l’intégration, laissé en plan par le gouvernement libéral, dit Rebello. Il importe de redonner aux organismes communautaires les moyens financiers pour bien intégrer les immigrants. "Plusieurs d’entre eux font un très bon travail, dont l’organisme Les Petites Mains qui donne des cours de couture et de français à des femmes marocaines et sri lankaises. Mais à cause des listes d’attente, beaucoup de femmes ne peuvent pas prendre ces cours même si elles veulent s’intégrer", déplore Rebello.

La balance du pouvoir
En 2000, François Rebello fondait le Groupe Investissement responsable, qui se donne pour mission d’encourager les actionnaires à faire pression, par l’intermédiaire de leur droit de vote, sur les dirigeants des grandes entreprises pour qu’elles adoptent des comportements éthiques en matière sociale et environnementale. C’est cette sensibilité à l’égard des problèmes sociaux qui l’a poussé à tenter le coup en politique.

Immigrant de la deuxième génération (sa famille est débarquée de l’Inde à la fin des années 60), Rebello est un modèle d’intégration et un exemple éclatant qu’il n’existe pas de gouffre infranchissable entre les Québécois "de souche" et les autres. Souverainiste convaincu, très scolarisé, engagé socialement, s’exprimant dans un français typiquement québécois, il est de ceux qui font ravaler à Jacques Parizeau ses paroles prononcées un certain soir d’octobre 1995.

Aujourd’hui, ce fils d’immigrant qui rêve de faire tonner sa voix au parlement fédéral déplore que son adversaire-vedette refuse toutes ses invitations au débat. Rebello soutient que des sondages internes le placent en avance, mais il attend impatiemment les résultats des sondages publics sur les intentions de vote dans la circonscription, qui paraîtront cette semaine. "Les circonstances font en sorte que les gens ont honte de voter pour les libéraux. Ils cherchent des alternatives. Il faut les convaincre que le Bloc est la meilleure solution. Et si on veut battre Jean Lapierre, ça ne donnera pas grand-chose de voter conservateur ou NPD, c’est moi qui ai le plus de chances de le battre", lâche-t-il.

Néophyte de la politique, Rebello ne parle pas la langue de bois. Contrairement à son chef Gilles Duceppe, il ne fait pas de cachotteries: un gouvernement minoritaire est la situation rêvée pour les bloquistes qui n’auront jamais eu autant de pouvoir. S’il avoue qu’il ne souhaite pas voir Stephen Harper premier ministre, un gouvernement libéral ou conservateur ne ferait que peu de différence, contrairement à ce que l’on dit. Car les bloquistes auraient le loisir d’appuyer ou de défaire le parti de leur choix, selon leurs intérêts et les circonstances. Ainsi, le Bloc soutiendrait les conservateurs sur la question du transfert de points d’impôt aux provinces, par exemple, mais pourrait s’allier aux libéraux sur d’autres dossiers. "On n’aurait pas d’alliance formelle, on irait au cas par cas. Ce qui est très intéressant, c’est que ça nous donne le pouvoir. Les Canadiens anglais et Jean Lapierre nous accusent d’avoir du pouvoir. Si on a la balance du pouvoir, c’est nous qui allons décider. Tu ne peux pas avoir la balance du pouvoir et être obligé d’appuyer les conservateurs. Ce n’est pas vrai que seul un gouvernement conservateur peut gouverner. Sans faire une alliance formelle, je suis certain que si Paul Martin a besoin des députés du Bloc et qu’on est capable de s’entendre, il va aller chercher leur vote pour être en mesure de gouverner un bout de temps. Alors qu’on ne me dise pas qu’on sera obligé d’aller voir les conservateurs; on va avoir le choix. C’est ce qui est bon pour les Québécois."

Un gouvernement central faible est aussi l’idéal pour le Québec, qui voit du fait sa position renforcée, estime Rebello. "Historiquement, l’élection d’un gouvernement minoritaire a produit de bons résultats. Cela amène de la décentralisation et des politiques assez intéressantes."

Mais ne rêvez-vous pas en couleur? Ce ne sera pas si simple. "C’est nous qui allons décider! Arrêtez… Les journalistes vont devoir se calmer. Il y a les faits. On ne peut pas avoir la balance du pouvoir sans avoir le choix. L’histoire le montre: quand un gouvernement minoritaire n’obtient pas un appui suffisant, il ne dépose pas ses projets de loi (…). Quand on aura la balance du pouvoir, ils nous regarderont, ils feront leurs offres et on verra. Just watch us!" conclut Rebello.