Société

Ennemi public #1 : Les contorsionnistes

Un truc avant que vous alliez voter. Ou pas.

Un exemple à propos des contorsions idéologiques de nos politiciens.

Vous avez sans doute, comme moi, suivi la fulgurante guerre des mots qu’a livrée le parti bleu à Paul Martin la semaine dernière, l’accusant d’être en faveur de la pornographie juvénile. Vous aurez bien compris qu’il s’agit là d’une grossière exagération. Pas que je défende Paul Martin, mais plutôt que je réprouve la malhonnêteté de ses adversaires.

Aussi, pour en venir aux contorsions, avant de traîner les libéraux dans la bouette en ce qui a trait au projet de loi C-12 concernant la pornographie juvénile, les conservateurs devraient faire plus attention au manque de cohérence de leur discours.

D’un côté, ils placent l’individu avant la collectivité, refusent l’idée d’un État paternaliste, accusent le CRTC de se faire l’arbitre du bon goût, réclament à demi-mot le droit de posséder une arme à feu sans trop de contraintes administratives et se font parfois les apôtres d’une étrange espèce de libertarisme.

De l’autre, ils accusent les libéraux de ne pas être suffisamment sévères dans le dossier d’un projet de loi qui va pourtant à l’encontre de libertés individuelles…

Je vous explique: le projet de loi C-12 a pour objet de durcir les modalités du Code criminel en ce qui concerne la pornographie juvénile. Jusque-là, rien d’inquiétant. Au contraire. Ce n’est pas un débat moral, ça n’a rien à voir avec la peine de mort ou la légalisation du pot: tout le monde est unanimement contre la porno juvénile et ferait n’importe quoi pour prévenir que des enfants en soient les victimes.

Sauf que le projet de loi des libéraux était déjà passablement dangereux sur un point: la notion de mérite artistique ne pourrait plus constituer un argument de défense en cas d’accusation concernant des œuvres au contenu sexuel impliquant des mineurs, plaçant de nombreux auteurs, peintres, photographes et cinéastes dans une position presque intenable.

On comprend qu’une telle disposition a pour objet d’éviter que d’astucieux pornographes se réclament de l’art pour s’en tirer à bon compte. Mais si cette loi était acceptée, les romanciers, par exemple, devraient prouver l’utilité de passages mettant en scène des mineurs dans leurs œuvres de fiction, ainsi que leur apport essentiel au bien du public et de l’art.

Cela ferait des juges non seulement des arbitres du bon goût et de la morale, mais des critiques de littérature, de photo ou de cinéma.

Je vous rappelle qu’il s’agit d’un projet de loi qui s’est rendu jusqu’en quatrième lecture sous le règne des libéraux, et que les conservateurs considèrent comme encore trop mou.

Ainsi, il n’est pas trop farfelu d’imaginer que sous la politique de ces derniers, le Lolita de Nabokov serait mis à l’index, et qu’on pourrait vous traîner en cour si vous en possédez une copie. Le magnifique film Léolo de Jean-Claude Lauzon serait interdit de diffusion puisqu’on y voit – ou y évoque – l’éveil sexuel d’un préado. Même chose pour Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley dans lequel des enfants s’adonnent à des "exercices sexuels".

Donc d’un côté, les tenants de la droite canadienne prônent la souveraineté de l’individu et sa capacité de faire preuve de jugement et de discernement, tandis que de l’autre, ils voudraient empêcher la diffusion d’œuvres de fiction pour la masse sous prétexte qu’elles mettent en scène des actes proscrits par la loi et que nous réprouvons tous. Mais des actes qui surviennent dans le réel et dont l’art peut rendre compte comme il rend compte du meurtre, de la vengeance, du racisme, de l’inceste ou du génocide.

C’est comme si, dans ce cas particulier, le jugement du public n’était plus en cause, plus valable.

Je sais qu’il s’agit d’un terrain glissant, qu’on ne badine pas avec les droits des enfants et qu’il faut avant toute chose protéger les victimes d’actes de cette sorte.

Mais ce qui me révolte dans ce dossier, c’est ce genre de contorsion que sont prêts à faire les partis politiques pour jouer avec la sensibilité d’un public indécis, et ainsi s’attirer sa sympathie. Surtout en ce qui concerne la droite à tendance chrétienne dont le discours renferme d’innombrables contradictions de la sorte.

Alors un truc avant que vous alliez voter. Si vous y allez.

Cette fois-ci, avant d’inscrire votre X quelque part et de vous réveiller avec une gueule de bois le lendemain, allez donc un peu plus loin que les réductions d’impôts dans votre recherche sur les partis en lice.

Ça nous évitera d’avoir à subir un autre slogan du genre: J’ai pas voté pour ça!