Dimanche soir dernier, je suis allé voir Elvis Gratton XXX.
Pour tout vous dire, je ne m’attendais à rien. Le précédent épisode des aventures du King de Brossard, Miracle à Memphis, m’avait particulièrement ennuyé et j’avais la ferme impression que la critique de la pensée convergente des journaux de l’empire Gesca, de Radio-Canada et du Parti libéral que propose Falardeau allait en faire autant.
Je n’avais qu’à moitié raison.
Et qu’à moitié tort. Car bien qu’assez lourdaud, mal dégrossi et additionnant sans compter les métaphores scatologiques, le nouveau Elvis Gratton frappe un peu plus efficacement sur le clou que son prédécesseur. J’avais aussi à moitié tort parce qu’il renferme quelques séquences absolument désopilantes, et puis j’apprécie tout de même que, dans une société où règnent la pensée unique et la rectitude politique, quelqu’un vienne scratcher le disque.
Sauf que le lendemain, je suis allé voir Fahrenheit 9/11 de Michael Moore, et Elvis a pris une tabarnak de débarque!
Car tandis que d’Elvis Gratton XXX, on ressort indécis, se disant que c’était pas mal, mais un peu trop long, parfois ennuyeux, et que les attaques parfois vicieuses de Falardeau ressemblent bien plus à un règlement de comptes entre collégiens qu’à un véritable réquisitoire, on sort de la projection du film de Moore carrément survolté. Absolument ébahi devant le talent de ce cinéaste à rassembler des faits, des témoignages et des histoires pour dénoncer une situation politique insoutenable.
En fait, ce film est d’une telle efficacité que, sur le chemin du retour, je me suis mis à imaginer ce qui se produirait si Falardeau laissait tomber la comédie burlesque à tendance politique pour affronter le taureau les yeux dans les yeux, à la manière de Moore, plutôt que par mille détours plus ou moins imbéciles.
Que voulez-vous, la satire et la caricature sont souvent d’efficaces vecteurs d’idées, mais en mêlant la farce grotesque d’Elvis Gratton et la dénonciation de la manipulation des masses par les médias, Falardeau perd au change plus qu’il n’y gagne.
De son troisième essai grattonien, en fait, on retiendra surtout que le réalisateur considère les journalistes comme les rebuts de la société, que les médias sont tellement merdiques qu’il s’est senti obligé de littéralement les plonger dans le caca, et une citation éculée de San Antonio: "La télé, c’est des cons qui interviewent d’autres cons."
Mais si, plutôt que de nous ramener son gros épais favori – remarquablement joué par Julien Poulin -, Falardeau s’était appliqué à faire la preuve par quatre de ce qu’il avance, soit que le Parti libéral, Power Corporation et Radio-Canada marchent main dans la main pour tripoter l’opinion du public, là, il aurait peut-être convaincu quelqu’un.
Pour l’instant, il ne prêche qu’aux convertis.
S’il avait parlé à des journalistes, à des auteurs, s’il avait colligé les faits, les concours de circonstances plutôt louches, s’il avait enquêté, joué sur le montage et la musique comme le fait Moore, montrant tous les liens unissant l’empire des Desmarais, le bureau de Jean Chrétien et la direction de la société d’État, Falardeau aurait pu provoquer un véritable raz-de-marée.
Malheureusement, Elvis Gratton XXX ressemble plutôt à une vaguelette dans l’océan.
Mais peut-être que la vérité est trop évidente pour Falardeau? Qu’il lui paraît inutile de faire la preuve d’une manipulation dont on peut chaque jour constater les symptômes?
Si c’est le cas, c’est là que l’antiaméricain fumeur de Camels sous-estime son ennemi et surestime un public qui oublie trop vite tellement on le bombarde d’informations.
Ainsi, Pierre Falardeau ne réussit qu’à moitié là où Michael Moore excelle, la dénonciation du premier se perdant dans les grosses farces épaisses, tandis que l’humour du second donne encore plus de corps et d’humanité à son message politique.
Pire encore, Falardeau ne parvient qu’à entretenir le cynisme du public, alors que Moore lui donne des envies de révolte.
D’ailleurs, lorsque j’ai assisté à la projection de Gratton, les gens sortaient rapidement pendant le générique, un petit sourire aux lèvres, sans plus, alors qu’à la fin de Fahrenheit, ils applaudissaient!
Syndrome du colonisé, dirait peut-être Falardeau?
Possible. À moins que ce soit seulement vrai "qu’ils l’ont l’affaire, les Amaricains"?