Violence psychologique entre locataires : Mon coloc débloque
Société

Violence psychologique entre locataires : Mon coloc débloque

Moins connue que le harcèlement moral au travail, la violence psychologique entre locataires existe réellement et peut avoir des effets aussi destructeurs. Vous venez d’emménager dans votre nouveau logement, tout semble bien aller jusqu’au moment où vous avez l’impression de vivre un véritable enfer. Et si vos colocataires n’étaient pas ceux que vous  pensiez…

"J’avais l’impression de faire une psychose, d’être dans le film Jeune femme cherche colocataire." Ces paroles sont de Lars (nom fictif), 28 ans, qui a vécu 6 mois de calvaire avec un colocataire qui était pourtant son ami depuis 10 ans. Les frictions entre locataires sont susceptibles d’arriver fréquemment, mais lorsque ces conflits vous empoisonnent la vie, vous empêchent de fonctionner au quotidien, vous êtes peut-être victime de "mobbing", ce qu’on appelle plus communément le harcèlement moral. Mais qu’est-ce que le harcèlement psychologique, exactement? "Moi, je me réfère, comme plusieurs psychologues, à la définition de Heinz Leymann (un psychologue suisse qui a été un des premiers à faire des recherches sur le mobbing en milieu de travail). Le harcèlement est un enchaînement, sur une période d’un certain temps, d’agissements, de propos hostiles manifestés plusieurs fois par semaine. Les notions de durée et de répétitivité sont très importantes", explique la psychologue Marie-Claude Audéta.

Pour Lars, Michel Noël (nom fictif) et Annie Bergeron, le harcèlement a duré plusieurs mois avant que les trois prennent la décision de déménager. "Dès le début, ça a mal été. Nous avions tous les deux des problèmes financiers. Je me suis remis plus vite sur pied et j’ai proposé qu’on partage des choses comme la bouffe. Quand j’avais de l’argent, je payais et lui disais qu’il pouvait me rembourser plus tard. En colocation, il y a beaucoup de rapports de force. L’argent crée une certaine hiérarchie. Comme il n’avait pas d’argent et n’avait pas confiance en lui, il était très jaloux de ma situation. À un moment donné, il y a eu une montée des hostilités. Je retrouvais de mes lettres, qu’il avait ouvertes, dans le bac à recyclage. Quand il y avait des chicanes, il se vengeait sur mon chat en lui donnant des coups de pied", raconte Lars, encore dépassé par les événements. Pour Michel Noël, la venue de deux colocataires, qui étaient des amis, n’a pas facilité la cohabitation. "Chaque fois que je n’étais pas d’accord, ils me disaient: ‘Comme on est trois et que nous sommes tous les deux d’accord, c’est la majorité qui l’emporte.’ Ensuite, ils voulaient avoir le câble, mais pas moi. Comme je ne payais pas les frais pour le câble, quand j’étais dans le salon, ils me disaient que je ne devais pas être là parce que je ne payais pas pour le câble. Pourtant, je ne regardais pas la télé. Par la suite, je n’avais plus le droit d’utiliser la laveuse et la sécheuse parce qu’ils avaient fabriqué un caisson en bois dans lequel les fils étaient insérés, et le tout était cadenassé."

Pour Annie Bergeron, ce sont deux voisines qui ont été une source de stress durant toute une année. "Les problèmes ont carrément commencé quand j’étais en train d’emménager. Elles me regardaient d’un mauvais œil. Les anciens locataires m’ont dit: ‘Attention, en bas, ce sont des faiseuses de troubles.’ Par exemple, je travaillais le soir et quand je revenais chez moi, vers 3 h du matin, je prenais ma douche. Elles ont téléphoné à la police parce qu’elles trouvaient que je faisais du bruit. Ensuite, elles ne voulaient pas que je passe dans la cour arrière pour aller porter mes poubelles dans la ruelle."

Un climat malsain fait souvent en sorte que rentrer chez soi est pénible et qu’être à la maison devient une épreuve. "Tu as l’impression de ne plus être chez toi", raconte Lars.

Bourreau et victime
Dans son livre Le Harcèlement moral, la violence perverse au quotidien, la psychiatre française Marie-France Hirigoyen définit deux types d’agresseurs: les pervers narcissiques et les paranoïaques. La personnalité paranoïaque se caractérise par: "l’hypertrophie du moi (sentiment de supériorité), la psychorigidité (obstination, intolérance, mépris des autres), la méfiance (crainte exagérée de l’agressivité d’autrui, suspicion) et la fausseté du jugement (interprétation des événements neutres comme étant dirigés contre elle)". Pour ce qui est des pervers narcissiques, elle les décrit comme des personnes séductrices, égocentriques, sans capacité d’empathie, incapables d’accepter que les autres soient heureux, vides affectivement, envieuses, etc.

Concernant les victimes, Marie-France Hirigoyen précise que, contrairement à ce qu’on pourrait être porté à croire, les victimes de violence psychologique ne sont pas des personnes faibles, mais elles sont ciblées par l’agresseur pour ce qu’elles ont de plus que lui et parce qu’elles refusent de se laisser asservir.

Comment éviter les problèmes
Normand Champagne, qui a vécu avec plusieurs colocataires en même temps (jusqu’à cinq), connaît bien la problématique de la vie en colocation. Il a même rédigé une convention de colocation, un document de conseils pratiques pour éviter les problèmes de cohabitation. Selon lui, les discordes entre colocataires sont liées à un manque de communication et aux règles non formulées. "On n’ose pas aborder des choses qui nous semblent niaiseuses, comme la question de la vaisselle. Ça paraît ridicule jusqu’à ce que les choses dégénèrent." Et quelles sont, selon lui, les principales sources de conflits? "Curieusement, ce qui revient souvent, c’est la répartition des tâches. Ensuite, il y a les problèmes d’argent. L’utilisation de l’ordinateur, la télévision, les invités et la sempiternelle pinte de lait qui n’est pas remplacée peuvent aussi être des causes d’accrochages."

Recours
Que ce soit pour des différends entre locataires d’un même immeuble ou entre colocataires, les victimes de mobbing ont certains recours légaux. Le locataire lésé doit aviser son propriétaire qu’il est harcelé et lui demander de lui procurer la pleine jouissance des lieux. Ce dernier doit aviser par écrit le locataire de la plainte portée contre lui. À moins d’une entente à l’amiable, le propriétaire peut recourir en justice devant la Régie du logement pour demander une résiliation du bail pour troubles de comportement. Si le propriétaire n’agit pas, le locataire peut faire une plainte directement à la Régie et demander une compensation, par exemple la diminution de son loyer. Ensuite s’enclenche le processus de toute cause devant un tribunal. La personne qui accuse a le fardeau de la preuve et celle en cause peut se défendre. Par contre, vu la difficulté de prouver qu’on est victime de harcèlement psychologique, la lenteur des délais de traitement devant la Régie du logement, l’inaction des propriétaires et l’épuisement dont souffrent souvent les victimes, les recours entre colocataires ne sont pas légion. "En 2003, il y a eu 94 plaintes. Souvent, une des personnes préfère quitter le logement", précise Marie-Andrée Jobin, relationniste à la Régie du logement.

Effets pernicieux
Dans son livre, Marie-France Hirigoyen fait une liste exhaustive des maux psychologiques et physiques liés au stress d’être harcelé: confusion, impression d’avoir les émotions anesthésiées, perte d’estime de soi, fatigue, perte ou prise de poids, troubles du sommeil, etc. "Tout ça peut aller jusqu’à la dépression", affirme Mme Audéta avant d’ajouter: "Il vaut mieux partir pour sauver sa santé psychique. On peut se sortir du harcèlement, mais il est important d’aller voir un médecin de famille ou un psychologue, bref, quelqu’un qui va comprendre votre état et aura de l’empathie. Ensuite, il y aura un travail de deuil à faire après avoir identifié sa colère. Il faut aussi être très vigilant pour ne pas retomber dans les mêmes mécanismes."

Convention entre colocataires

L’Entente entre colocataires, Normand Champagne, 2003
www.editionsdicila.com
Régie du logement du Québec
www.rdl.gouv.qc.ca