Société

CHOI-FM: votre opinion : Mondes parallèles

Le couperet est tombé: prenant presque tout le monde par surprise, le CRTC a finalement choisi de retirer sa licence à la station CHOI-FM et d’ainsi couper le sifflet à son animateur-vedette Jeff Fillion. Pour, contre ou indécis, vous avez réagi en très grand nombre à cette annonce, proposant du même coup une multitude d’interprétations du droit à la liberté d’expression. Voici vos commentaires.

L’impuissance de la "vertu" a frappé

"Écraser une mouche avec une masse", vous connaissez cette expression? Fermer une station de radio commerciale parce que deux animateurs postillonnent sur le jet-set politique, artistique et médiatique, vous ne trouvez pas ça un peu excessif, injustifié et inquiétant? Vous faites si peu de cas de la liberté que vous préférez la voir retirée à des êtres vulgaires plutôt que de l’assumer jusque dans ses plus lointains aboutissements? Entre vous et moi, vous croyez véritablement que l’auditoire de Fillion et Arthur croyait dur comme fer tout ce qui était dit en ondes? Allons, il faut arrêter de se faire peur! Et arrêter de prendre des milliers de personnes pour des imbéciles. Ou cesser de se croire à l’abri de tout commentaire, même injustifié et mensonger, parce qu’on bannit des ondes des mangeux de mar… professionnels. En quoi est-ce que la vérité triomphe, ici? La liberté de choisir, ça se résume à avoir le choix entre le meilleur et le moins bon? Moi, je croyais que c’était choisir ce qui nous plaît et ce qui nous déplaît. Je croyais que j’étais encore assez grand pour décider moi-même de ce qui était bon ou non pour ma personne. Je croyais que l’on donnait au moins le bénéfice à tout le monde de se faire une idée, d’une situation ou d’une personne, basée sur toutes les sources d’information disponibles. Mais "il y avait du salissage de réputation, des mensonges et des propos offensants dans cette émission"! Et alors?! Ça ne justifie toujours pas que le CRTC interdise indirectement à une radio de diffuser une information écoutée par des centaines de milliers de personnes. Sinon, on méprise la population en question (sans oser l’avouer, bien entendu), on fait fi des institutions comme les tribunaux et, surtout, on assume implicitement notre impuissance à lutter efficacement contre la démagogie, l’exagération et toute forme de discours méprisant à l’endroit d’une personne, d’une entité ou d’un groupe. Et, ça, c’est plus inquiétant!

Steve Boudrias

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De la santé mentale et morale
On est trop souvent portés à penser que la liberté d’expression est absolue. Bien sûr, c’est probablement la plus belle de nos libertés puisqu’elle est si intimement liée à l’idéal démocratique que l’on tente d’atteindre. Pourtant, si les tribunaux l’ont protégée à de nombreuses reprises, ils ont également sanctionné des lois qui l’enfreignaient très visiblement lorsque cela était justifié par des objectifs également louables. Contrairement aux États-Unis où tout et n’importe quoi peut être protégé au nom de tel ou tel amendement à la Constitution, nos institutions ont, jusqu’à présent, su faire preuve de discernement. Nos libertés sont constamment restreintes par d’autres impératifs, et au premier chef figurent celles des autres, ce qui inclut le droit au respect et à la dignité. Cette réaction ambiguë assez généralisée (exception faite des 385 000 fidèles qui écoutaient religieusement le prêche haineux quotidien) est très saine et tout à notre honneur. Le malaise constitue un gage de vigilance face à des empiètements potentiellement plus graves du CRTC, qui reste tout de même et à juste titre le chien de garde des ondes publiques. La satisfaction, quant à elle, témoigne collectivement de notre santé mentale et morale. À la question "Faut-il tolérer les intolérants?", il est parfois nécessaire de répondre par la négative.

Maxime Beaupré

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À la défense de CHOI
Je suis personnellement choqué par la décision du CRTC dans le dossier de CHOI-FM. Avec cette décision, le CRTC affirme que la liberté d’expression doit être restreinte lors d’une radiodiffusion, c’est-à-dire que l’on admet seulement une liberté diluée à un média très populaire dans tous les sens du terme. Il existe une expression qui dit: "La liberté de presse, c’est bien, mais il faut avant tout avoir une presse." Elle souligne qu’il n’est pas donné à tous de pouvoir exprimer son opinion à un large public. Même que dans certains pays, ce "droit" n’est accessible qu’à une poignée d’individus. Heureusement, ce n’est pas le cas chez nous, mais avec sa décision, le CRTC étrangle cette diversité d’opinions, qui est le signe d’une démocratie en santé. Les propos des animateurs de CHOI sont certes choquants et déplacés, mais ils ne sont pas illégaux selon le Code criminel. Les ondes appartiennent au peuple, et on ne devrait jamais empêcher une partie de la population de s’en servir afin d’exprimer son opinion, aussi gênante soit-elle. Je suis d’avis que les seuls discours qui devraient êtres interdits sur les ondes sont ceux qui sont interdits par le Code criminel, et dans ce cas, on devrait poursuivre la personne qui a tenu ce discours et non la station qui l’a émis. J’ai confiance en la Charte de droits et en notre système de justice, et je suis personnellement convaincu que cette décision sera renversée, si ce n’est pas en Cour d’appel, en Cour suprême. Vous remarquerez que mon nom est Filion. Je vous rassurerai peut-être en vous disant que je n’ai aucun lien de parenté avec l’animateur Jeff Fillion, animateur que je n’aime pas, mais dont je respecte le droit de s’exprimer. Rappelons-nous les paroles de Voltaire: "Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je suis prêt à me battre jusqu’à la mort pour votre droit à le dire."

Guillaume Filion

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Lettre à Jean-François Fillion
Actuellement, M. Fillion, il n’y a pas grand-chose qui me réjouisse, car j’accompagne mon fils de 21 ans dans les derniers jours de sa vie. Au sujet de mon fils, il est important que vous sachiez qu’il est lourdement handicapé depuis sa naissance.

Il fait partie de cette catégorie de gens qui ne méritent pas de vivre et qu’on devrait gazer à petit feu, selon vos propos.

Je crois que le CRTC a commis une faute en ne renouvelant pas votre licence. Il aurait dû simplement demander à votre employeur, M. Demers, de vous congédier, mais il n’en avait pas le pouvoir, et votre patron ne l’aurait pas fait, car il ne me semble pas plus fort que vous de toute façon… Par contre, plusieurs emplois auraient pu être sauvés, ainsi qu’un commerce de plusieurs millions.

Il ne faudrait pas oublier de mentionner un point très important. Vous êtes, vous et M. Demers, les deux seuls responsables de ce précédent appliqué par le CRTC.

Arrêtez de jouer les pauvres victimes, vous avez eu entre les mains des choix à faire.

En terminant, pour être "politiquement correct", je ne vous souhaiterai pas que l’un de vos enfants devienne lourdement handicapé et qu’un de ces jours, vous soyez obligé de prendre la décision et la responsabilité de continuer à vous en occuper et, par la suite, de l’accompagner dans les derniers jours de sa vie. Là encore, il y aura des décisions déchirantes à prendre; ce qui se passe actuellement dans votre petite vie n’a rien de comparable à ce qui, actuellement, arrive dans la mienne…

En passant, votre disparition prochaine des ondes est la seule chose qui, depuis 44 jours, me réjouit un peu.

Gérald Gendron