Queers radicaux : Le retour de la panthère rose
Ils ont métaphoriquement vomi dans les commerces du Village gai pour protester contre le mercantilisme entourant la Saint-Valentin. Au dernier défilé de la Fierté gaie, ils ont distribué des capotes pour le cerveau destinées à prévenir les MTP (Maladies Transmissibles par la Publicité). Ils se disent queers radicaux. Voici les Panthères roses.
C’est dans un petit café, boulevard Saint-Laurent, que Voir a rencontré trois membres de cette faction de "terroristes moumounes" qui se font appeler les Panthères roses. Pour la photo, nos gais lurons tenaient à dissimuler leur identité derrière un bandeau rose. Pas question non plus de publier leurs vrais noms. Rencontre, donc, avec Mathilde, Emma Pantoufle et Jujube Molotov…
Né en septembre 2002, le mouvement les Panthères roses (www.lespantheresroses.org) revendique un militantisme queer radical. Qu’on se le dise: un queer n’est pas nécessairement gai. "C’est une personne qui transgresse la normalité et les lois de l’orientation sexuelle, explique Jujube Molotov, le gars du groupe. On ne sent pas l’obligation de révéler notre orientation. Pour nous, commettre des gestes presque illégaux s’inspire de cette idée de transgression." Sur le site Web des Panthères, on apprend en outre que le terme "radical", associé à tort au fanatisme, provient plutôt du mot latin "racine". Or, "affronter un problème avec une approche radicale implique d’en chercher les causes à la racine, et non pas en surface". Voilà donc pourquoi ces rebelles du sexe s’en prennent d’abord à l’homophobie et à l’hétérosexisme, tout en creusant des problèmes plus profonds tels que l’ultracapitalisme et le racisme…
Queers du monde, unissez-vous!
Avis aux puritains, les queers sortent du placard… en bulldozer! Les Panthères roses de Montréal ne sont en fait qu’un humble chapitre de tout un mouvement altermondialisto-queer qui s’organise aux quatre coins du monde. Ainsi, les Panthères roses de Paris, des "pédégouines énervées", militent contre l’ordre moral, le patriarcat, le sexisme, le racisme et les régressions sociales. Il y a aussi le Gay Shame de San Francisco, un groupe opposé au mariage gai (qu’il considère comme une façon d’obtenir le statu quo en acceptant des règles hétérosexuelles). À Vancouver, le Queers United Against Kapitalism a déjà défendu le droit de mendier sans contrainte. À Londres, le Queer Mutiny est composé de "butchs", de travailleurs du sexe, de "gars en jupe" et de "filles en complet" qui s’élèvent contre la surconsommation, l’assimilation et "toute cette merde censée représenter le mode de vie gai". Depuis six ans, des queers radicaux de tous les continents se rassemblent annuellement pour célébrer leur différence. En juin dernier, l’événement Queeruption 6 se tenait à Amsterdam, dans un vieil entrepôt désaffecté. Parmi les participants, des punks lesbiennes, des homos au look skinhead et d’autres ambigus aux cheveux arc-en-ciel…
Mélangeant souvent un discours gau-gauche à des réflexions plus poussées quant au droit à la différence (sexuelle ou autre), le mouvement queer radical est des plus éclatés. Loufoque et subversif, il n’est pas simple de l’encadrer dans une description cohérente. C’est probablement, d’ailleurs, l’objectif recherché.
Combattre l’hétérosexisme
Toujours prêtes à se porter à la défense de la veuve travelo et de l’orphelin échangiste, nos Panthères roses pointent du doigt l’hétérosexisme, cette "croyance voulant que la norme est d’être hétérosexuel", précise Emma Pantoufle. "Même les hétéros doivent entrer dans un moule, poursuit-elle. Ils doivent être en couple, être fidèles, avoir une petite maison, une auto. Même entre hétéros, on s’impose une sorte de sexisme (la petite famille parfaite et normale). Quand tu n’entres pas dans ce moule, tu finis par ressentir un certain poids, parce que tous les messages dans la société te poussent à suivre un certain modèle."
Pour faire partie des Panthères roses de Montréal, pas besoin d’une carte de membre. "Lorsqu’on organise un événement, on appelle des gens qui se ramassent spontanément sous cette bannière-là", dit Mathilde. Ainsi, lors de la Marche des femmes, le 7 mars dernier, une trentaine de Panthères, arborant la cagoule rose, ont formé un "pink block" au milieu de la foule afin de dénoncer l’hétérosexisme. Armés de pancartes et de banderoles, les activistes ont voulu choquer l’establishment en s’embrassant à pleine bouche. "Finalement, une chance qu’on était là. Parce que sinon, ç’aurait été une marche vraiment plate", plaisante Mathilde.
La bonne vieille révolution
Pour faire passer leurs messages, les Panthères roses utilisent l’action directe créative. Elles veulent perturber, déranger, faire réagir, et ce, par tous les moyens. "Nous nous inspirons des mouvements de libération des gais et lesbiennes des années 60 et 70, dit Emma Pantoufle. Stonewall a été une véritable émeute qui a lancé le mouvement de libération des gais (en juin 1969, des policiers venus arrêter des homosexuels dans un bar, le Stonewall Inn, ont été violemment repoussés par ceux-ci). Aujourd’hui, le mouvement gai combat seulement dans les cours de justice. On ne combat plus dans la rue."
C’est un fait, le mouvement de libération des homosexuels est, en général, moins viril qu’il y a 30 ans. N’est-ce pas le signe que l’oppression d’hier est pratiquement révolue? Que la cause homosexuelle a fait quelques avancées depuis Stonewall? Les Panthères roses reconnaissent les gains obtenus, mais précisent que tout est loin d’être gai au sein de la communauté du même nom. "Nous faisons face à de nouveaux problèmes, soutient Emma Pantoufle. L’anorexie chez les hommes gais, la violence au sein des couples de même sexe… On a des problèmes de confiance en soi et d’image. La communauté gaie que l’on voit dans les médias ou dans le Village, c’est: "Si tu n’as pas un corps parfait, si tu n’es pas blanc, si tu as trop de poils ou si tu es trop gras, tu ne fittes pas." Il y a beaucoup de dépressions qui découlent de ça."
Fier de quoi?
"Les mouvements de gais et lesbiennes ne font pas de liens avec les mouvements altermondialistes, poursuit Emma Pantoufle. Pourquoi? Parce qu’il y a de vrais capitalistes au sein de cette communauté. Le Village gai est contrôlé par des entrepreneurs ultracapitalistes." Conséquence de cette superficialité et de cette identité gaie largement dictée par la consommation? "Avant, dans la communauté, il y avait une vie intellectuelle en santé. On publiait des essais qui faisaient réfléchir à propos des enjeux homosexuels. Aujourd’hui, il y a comme un abrutissement général. Il n’y a plus de réflexion." Voilà pourquoi les Panthères ont ciblé, l’an dernier, le défilé de la Fierté gaie, qu’elles considèrent plutôt comme une parade de commanditaires et de gais musclés en bedaine. Elles avaient alors distribué des condoms pour le cerveau afin de se protéger des Maladies Transmissibles par la Publicité. "On voulait surtout dire à la communauté gaie d’arrêter de projeter cette image de perfection superficielle, précise Mathilde. Lors du défilé de la Fierté gaie, les gens sont tournés vers nous. C’est le temps de leur montrer que tout n’est pas rose."
Cette année, les Panthères roses préparent un autre coup d’éclat pour la Semaine de la Fierté gaie. En parallèle, un autre groupe queer radical de Montréal, les Ass Pirates, présentera le festival itinérant de films queer underground Junk. Les recettes seront remises à la Coalition pour les droits des travailleuses du sexe. Au menu: images et vidéos underground, indépendantes, scandaleuses, pédélicieuses, genderfuckées et sans budget… Pour les détails: www.malaqueerche.com.