Lance Armstrong a donc remporté son sixième Tour de France. Pas de grande surprise ici. Si vous avez suivi le Tour cette année, vous avez vu tous ses adversaires s’écrapoutir les uns après les autres, le Texan creusant son avance sans réelle opposition.
Et à vaincre sans péril… il triomphe tout de même dans la gloire. Alors non seulement Armstrong écrit-il l’histoire, mais il réécrit les proverbes en plus. C’est-ti pas beau ça?
Mais si je vous parle du Tour, c’est que j’ai lu dans un groupe de discussion consacré au vélo de montagne un commentaire à propos du célèbre cycliste qui m’a jeté par terre. Le participant y écrivait un truc du genre: "Est-ce qu’on pourrait cesser de parler de dopage et saluer le talent et la force de ce grand athlète?" Et quelqu’un d’autre de renchérir: "Bien dit (…), je préfère encore être naïf…"
Vous trouvez pas que c’est triste? Le sport est devenu comme la politique.
Il est de notoriété publique que le dopage en cyclisme professionnel est monnaie courante, ancré dans les mœurs de ce sport, et qu’il est pratiquement impossible d’y performer sans lui. Donc si tout le monde triche, on devrait fermer les yeux? Pas vu, pas pris? Pareil comme le mensonge institutionnalisé des politicailleux?
J’ai parfois l’impression qu’on préférerait encore être renvoyés dans le ventre de notre mère tellement la réalité est insoutenable. À l’âge adulte, on constate avec effroi qu’il n’y a plus de héros parfait, que tout le monde est humain, a des défauts, connaît des échecs parfois lamentables, dissimule un versant gênant de sa personnalité. Mais ça devient fatigant, décourageant de voir ses idoles se faire traîner dans la boue, surtout dans une société qui vise la perfection dans tout ce qu’elle a d’infaillible et de chromé.
Alors on préférerait encore vivre dans un conte de fées.
Là où tout le monde il est beau et tout le monde il est gentil.
Dans un univers rose nanane où votre père adoré ne se ferait pas prendre à fourrer l’impôt, où les politiciens seraient toujours intègres, où les résultats des émissions de téléréalité ne seraient pas "arrangés", où OJ Simpson aurait été reconnu coupable, où le président des États-Unis ne serait pas élu par la Cour suprême, où Ben Johnson aurait toujours sa médaille.
C’est insupportable de penser que, dans certaines disciplines, ce sont les sportifs qui détiennent le secret des meilleures drogues indétectables qui gagnent, donc on préfère fermer les yeux. Se dire qu’ils sont quand même bons, qu’ils se sont aussi entraînés fort, qu’ils ont du talent. Ce qui est tout à fait vrai. Mais ce sont quand même des tricheurs! De saprés bons athlètes, mais d’encore meilleurs tricheurs.
Scénario analogue pour les politiciens et autres personnalités publiques dans lesquelles nous plaçons une confiance aveugle, refusant de croire ou même d’envisager la possibilité qu’ils pourraient nous décevoir. Ce qui me fait penser à toutes les matantes qui se portaient à la défense de Robert Gillet en disant: "Ça se peut pas qu’il ait fait ça, il est tellement sympathique." C’est ça, Madame, enfoncez-vous la tête juste un peu plus profondément dans le sable, pas loin, c’est la Chine.
Et si nous vivions une sorte de déni généralisé? Après le désenchantement, l’ignorance volontaire.
Je ne sais pas pour vous, mais j’ai parfois l’impression que sous le vernis, notre société est complètement détraquée. Que notre sens de l’indignation est, comme je l’ai déjà dit par le passé, parfaitement disloqué.
Ce qui expliquerait peut-être que le seul et unique événement qui parvienne à faire descendre 50 000 personnes dans la rue soit la fermeture d’une station de radio.