Salon b. bibliocafé : Le café de la mort
Un nouveau café a récemment ouvert ses portes boulevard Saint-Laurent. On peut y déguster d’excellents cafés et bouquiner sur une joyeuse thématique: la mort. Le Salon b. bibliocafé appartient à une grande entreprise de pompes funèbres. Il accueille des clients en mal d’inspiration qui cherchent à travers les méandres de l’art et de la littérature du sens et de l’inspiration pour organiser la grande formalité.
Après la sortie du placard de l’homosexualité et de l’avortement, serait-ce au tour du tabou de la mort de se briser? Comme c’est souvent le cas, le changement des mentalités se fait d’abord au petit écran, comme le prouve le succès de la série américaine Six Feet Under. Humour noir, corps d’une ex-porno star et corbillard transformé en voiture que l’on refile à la petite dernière: le quotidien de l’entreprise funéraire de la famille Fisher propose un regard sur la mort bien différent de celui de nos grands-parents.
De nos jours, que ce soit pour aller au paradis ou en enfer, atteindre le nirvana ou faire son dernier voyage, l’essentiel est de partir selon ses croyances et sa culture. Parmi les baby-boomers, nombreux sont ceux qui ont choisi une autre voie spirituelle que le catholicisme. Devenus bouddhistes, hindous ou agnostiques, ils veulent mourir autrement.
Et, courbe démographique oblige, au Québec, le marché du service funéraire est en expansion. En 2001, on comptait 60 000 décès, contre 52 000 en 1996. Le vieillissement de la population fera bondir ce chiffre d’ici 20 ans. Ainsi, les entreprises funèbres québécoises font preuve d’imagination pour répondre aux désirs pas très orthodoxes de leurs clients. Une bataille d’autant plus rude qu’elles doivent résister à l’invasion des géants croque-morts américains. L’innovation et la créativité feront-elles la différence?
La mort leur va si bien
C’est dans ce nouveau courant créatif que s’inscrit le Salon b. bibliocafé, où la mort devient chic, sans être choc. "Le nom du café est un jeu de mots qui rappelle les noms des salons funéraires conventionnels. Traditionnellement, les corps sont exposés dans les salons a, b ou c. Il s’agit donc du Salon b., car il est une annexe du salon funéraire Alfred Dallaire Memoria", explique Julia Duchastel-Légaré, cheville ouvrière et fille de l’instigatrice de ce projet insolite, Jocelyne Légaré, présidente de l’entreprise.
Ouvert depuis un mois, ce café du deuil a pignon sur rue au coin de Saint-Laurent et Rachel. Situé au deuxième étage de l’immeuble Memoria, on y accède par une porte voisine, en catimini. On découvre un lieu au décor design et moderne, baigné de lumière. Tout en dégustant les "nourritures terrestres", on réfléchit à la perte de la vie et on en discute.
De plus, on peut également la fêter. Cet automne, le café célébrera la fête des morts mexicaine du 1er au 7 novembre. Au pays des cactus, lors de cette fiesta issue de la tradition aztèque et de la Toussaint catholique, la bouffe est à gogo et l’alcool coule à flots en mémoire des disparus. C’est aussi l’occasion pour les vivants de se réjouir d’être encore sur terre, et non six pieds en dessous.
Durant cette halloween mexicaine, morts et mortels se retrouvent pour ripailler et partager leurs mets préférés. Chocolat chaud, confiseries en forme de tête de mort, sans oublier la tequila, se retrouvent sur l’autel du défunt, histoire de lui rappeler ce qu’il a tant aimé.
Au Salon b., des installations et des autels inspirés de cette fête seront présentés. Daniel Castillo Durante, professeur à la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa et instaurateur du projet, profitera aussi de l’occasion pour organiser des conférences démystifiant l’approche heureuse des Mexicains par rapport au deuil. Le but étant évidemment de lever les tabous que provoque la mort en s’inspirant des rituels d’une culture différente.
Autrement, dans une démarche de réflexion et d’ouverture, la bibliothèque du Salon b. est un centre de documentation sur le deuil où l’on peut consulter ou acheter des ouvrages variés. Le choix des livres est résolument éclectique et œcuménique.
Dans les rayons se trouvent côte à côte la Bible, le Livre des morts tibétain et le Coran. Des essais de psychologie, de philosophie et d’anthropologie, ainsi qu’une collection de 1000 articles sur le thème de la mort, sont à la disposition des personnes en quête de sens.
On trouve aussi "des livres qui expliquent la mort aux enfants", ajoute Mme Duchastel-Légaré, également éditrice des Éditions du passage. Les familles ressentent le besoin d’expliquer aux tout-petits et aux plus grands que la mort n’est pas une fin en soi.
"Souvent, les parents ont le réflexe naturel de protéger les enfants. Toutefois, il est probablement mieux qu’ils affrontent cette épreuve. En déposant un poème ou un dessin dans le cercueil, par exemple", croit Johanne Cadieux, membre de l’équipe du Salon b. et titulaire d’un baccalauréat en psychologie.
La mort dans l’art
Aux antipodes de la sombre image des pompes funèbres et du croque-mort verdâtre de Lucky Luke, Alfred Dallaire Memoria ressemble davantage à une galerie d’art. De grandes photos d’anges de la sculpteure américano-française Muriel Englehart ornent les grandes fenêtres. À 85 ans, celle-ci réalise ses anges dans son atelier niché sous les toits de l’église Saint-Sulpice à Paris. Quinze de ses statues sont exposées et sont devenues le symbole de l’entreprise.
Attirés par leur beauté, certains passants y entrent même sans savoir que c’est un salon funéraire… en repartant parfois en courant dès qu’ils l’apprennent.
Dorénavant, plus besoin de prendre ses jambes à son cou, puisque le Salon b. est, au deuxième étage, une galerie d’art à part entière. Pour le moment, ce sont les œuvres de François-Xavier Marange, artiste franco-montréalais contemporain, qui y sont exposées.
Mais la mort n’est jamais bien loin, car "l’art, c’est vouloir survivre". En ce sens, une exposition d’urnes funéraires sera présentée l’an prochain. Parmi ces vases se trouveront ceux d’un céramiste québécois, qui les réalise avec une glaçure de céladon chinois, une émulation de la pierre de jade réputée pour ses vertus immortelles.
Derrière la conception du branché Salon b. bibliocafé se trouvent 73 ans d’histoire au service du deuil. En 1931, Alfred Dallaire abandonne son métier de barbier pour s’adonner aux pompes funèbres. Analphabète, il réussit pourtant avec l’aide de sa femme à mener son entreprise jusqu’aux années 1950. Depuis, ses descendants ont pris la relève et se distinguent par leur avant-gardisme dans la profession. La mort leur va si bien.
Salon b. bibliocafé
4231, boulevard Saint-Laurent