Société

Étiquetage des OGM : Meeeeuh!

Y a-t-il des OGM dans votre bol de céréales? 87 % des Québécois aimeraient le savoir. Pourtant, rien ne se fait. Mais les vaches d’europe sont en sécurité.

LE DROIT À L’INFORMATION?

Les Québécois doivent-ils faire leur deuil d’un étiquetage obligatoire des produits contenant des OGM? Alors que 87 % d’entre eux souhaitent voir des étiquettes sur les aliments génétiquement modifiés, la question des coûts associés et l’inertie des autres provinces pèsent de plus en plus lourd dans la balance.

Au printemps dernier, les partisans de l’étiquetage obligatoire ont essuyé une rebuffade quand le gouvernement fédéral a instauré, après des années de tergiversations, un programme d’étiquetage volontaire des produits contenant des OGM. C’est donc sur le gouvernement Charest que se porte aujourd’hui toute l’attention. D’autant plus que le développement d’une politique d’étiquetage obligatoire des aliments contenant des OGM figure dans le programme du Parti libéral. "Le fédéral a fermé le dossier. L’étiquetage volontaire, ça ne veut rien dire. Ce sont les magasins qui décident s’ils placent des étiquettes ou pas et six mois plus tard, je n’ai pas vu beaucoup d’étiquettes…", laisse tomber le porte-parole de Greenpeace Éric Darier, qui promet de lutter sans relâche afin d’éviter de subir un autre affront.

La semaine dernière, la ministre québécoise de l’Agriculture, madame Françoise Gauthier, soutenait qu’elle ne bougerait pas avant de connaître la position de ses homologues des autres provinces dans le dossier. Elle s’inquiétait aussi des coûts additionnels liés à l’instauration d’un programme d’étiquetage obligatoire des OGM.

Selon Greenpeace, rien ne sert d’attendre les autres provinces. "Il faut être réaliste: les provinces des Prairies sont très proches des milieux agricoles et probablement de la biotechnologie. L’Ontario a une position ambiguë. Il n’y a pas de consensus au sein des provinces. Seul le Québec a une position définie en faveur de l’étiquetage obligatoire", continue M. Darier.

Ce ne sera pas si simple de procéder seul, avertit Paule Dallaire, l’attachée de presse de Gauthier. "L’étiquetage des OGM est un engagement dans notre programme mais il est bien dit qu’il doit se faire de concert avec les autorités fédérales concernées. On s’est interrogé à savoir s’il serait pertinent d’y aller seul et quels seraient les coûts associés. Est-ce possible de le faire quand on fait partie d’un marché intégré? Un étiquetage obligatoire des OGM géré et mis de l’avant par Québec serait probablement très compliqué techniquement."

À la demande du ministère, une équipe de chercheurs de l’Université du Québec à Montréal a été mandatée pour faire une étude sur les coûts d’un étiquetage obligatoire des produits contenant des OGM. "Il faudrait aussi déterminer le modèle à adopter, celui de l’Union européenne ou celui de l’Australie. Et quels seraient les avantages et les inconvénients pour tous et chacun", poursuit Mme Dallaire.

Québec a-t-il compétence pour agir seul, ultimement? "On a des compétences en la matière. La question concerne les coûts de l’étiquetage et la certification. On ne sait pas si ce sera difficile d’y aller seul. L’étude nous en dira plus. Ce serait prématuré de dire oui ou non tout de suite", enchaîne Mme Dallaire.

LE DROIT DU CONSOMMATEUR
Pour Marie-France Huot, analyste en agro-alimentaire chez Option consommateur, qui présenta un mémoire favorable à un programme d’étiquetage obligatoire devant la Commission de l’agriculture, des pêcheries et de l’alimentation (CAPA), l’enjeu fondamental n’est pas tant la santé publique que le droit du consommateur à l’information. "Nous ne nous sommes pas prononcés pour ou contre les OGM, mais les consommateurs veulent être informés. C’est pour ça que notre association demande un étiquetage obligatoire qui permettrait de rétablir la confiance des consommateurs envers les OGM et le gouvernement."

"S’il y a des inquiétudes dans la population, c’est que l’information manque. On voit souvent des messages de Greenpeace, par exemple, affirmant que les OGM sont dangereux pour la santé et l’environnement. Mais aucune étude sérieuse ne nous en a encore démontré les impacts", poursuit Mme Huot.

Pierre-Alexandre Blouin, coordonnateur aux affaires publiques à l’Association des détaillants en alimentation du Québec, indique que c’est au consommateur de faire pression sur le gouvernement s’il désire voir des étiquettes sur les produits GM. "Nous, on se conforme à la volonté du client. Si on doit le faire [instaurer un programme d’étiquetage obligatoire], faisons-le correctement. Il faudrait un système sans faille et surtout uniforme à l’échelle du Canada."

L’argument des coûts supplémentaires invoqué par la ministre Gauthier est à prendre en considération, ajoute Mme Huot, qui se demande du même souffle s’il serait réaliste de mettre en place au Québec des normes aussi sévères que celles de l’Union européenne. "On dit qu’en Europe il n’y a pas eu d’impact sur le coût des aliments, mais la situation ici est différente car nous sommes le troisième plus grand producteur d’OGM. On devra mettre en place des systèmes de ségrégation et de traçabilité en matière d’OGM. Peut-être qu’on devrait établir un seuil de tolérance plus bas que 5 % mais plus haut que 0,9 %, comme en Europe, qui collerait à la réalité des producteurs agricoles."

Si les coûts prévus sont exorbitants, Option consommateur pourrait réviser sa position en attendant de voir si les consommateurs sont prêts à débourser pour les coûts de l’étiquetage obligatoire. "Il y a toujours une poignée de consommateurs qui est prête à dépenser pour des aliments de plus haute qualité, bio ou étiquetés, mais ce n’est pas la majorité. Il ne faut pas être irréaliste, un système d’étiquetage obligatoire des OGM entraînerait une hausse des coûts qui se répercuterait à la caisse nécessairement", continue Mme Huot.

LES VACHES D’ABORD?
Près de 40 pays ont adopté l’étiquetage obligatoire et il n’y a pas eu de mouvement de prix, réplique M. Darier. "Ce n’est pas un problème économique car les entreprises s’ajustent constamment à ce qui est disponible sur le marché. Par exemple, elles peuvent facilement faire en sorte qu’il n’y ait pas d’OGM dans un produit pour pouvoir l’étiqueter sans OGM. Et si Monsanto veut vendre des plantes GM, il devrait assumer les coûts de ségrégation, de traçabilité et d’étiquetage. Ce n’est pas aux agriculteurs ni aux consommateurs de payer les coûts."

En Europe, même les farines animales sont maintenant soumises à l’étiquetage en matière d’OGM. C’est donc dire qu’un agriculteur a le choix de refuser de nourrir son bétail avec du maïs transgénique. "Le système européen permet aux agriculteurs d’être informés. Les agriculteurs peuvent choisir [de donner de la nourriture sans OGM à leurs animaux] alors qu’ici les gens n’ont pas le choix d’en consommer!" s’étonne M. Darier.

Le manque de courage politique et les pressions de l’industrie des biotechnologies sont les principaux obstacles à l’établissement d’un programme conforme à l’Union européenne, juge M. Darier. "En Amérique du Nord, le lobby de la biotechnologie agricole est très fort. Toute la législation nord-américaine a été faite de manière à encourager les OGM. L’étiquetage nuirait, soi-disant, à l’industrie. Et le Québec ne veut pas être le premier à aller de l’avant. L’UPA est un autre obstacle alors que le milieu agricole est en crise. Elle voit l’étiquetage comme un autre problème à résoudre. Je pense que l’UPA a peur que ce soient les producteurs qui aient à payer les coûts de la traçabilité de l’étiquetage. Mais pourquoi produire des aliments dont les consommateurs ne veulent pas et les cacher en n’ayant pas d’étiquetage?" conclut M. Darier.