Armand Vaillancourt : Voir grand
Armand Vaillancourt présentera, à l’occasion de la Biennale de Montréal, une installation dans l’ancien édifice du journal The Gazette. Un espace à la mesure de l’homme.
Cet homme, âgé maintenant de trente ans, n’est pas comme tout le monde. Il est un phénomène unique, tout comme l’était Hemingway, un ouragan que rien ne peut arrêter, un feu que l’on ne peut éteindre. (…) Si rien ne peut l’arrêter, il vivra cent ans et sa sculpture couvrira le monde.
– Guy FOURNIER, "Pour Armand Vaillancourt, la sculpture est un combat à finir contre la matière", Perspectives, 1er juin 1963, p. 24.
ARMAND AU PAYS DES MERVEILLES
"Ici, sous les fenêtres le long du mur, il y aura la Déclaration universelle des droits de l’homme, en 32 chapitres." L’ancienne salle des presses, vidée de ses machines, est un espace démesuré, et Armand Vaillancourt est fébrile en cette journée où il me fait visiter les lieux. Une dizaine de grands gaillards font un boucan d’enfer et tout le building résonne de bruits de scies, de marteaux, de perceuses et des hurlements sortis des haut-parleurs qu’on teste. J’éteins mon dictaphone… "Ici, c’est Nef urbaine, un ponton qu’on a construit avec des enfants il y deux ans, pour un événement sur le canal Lachine. Mais on n’a pas fini de l’installer… Les côtés se déplient, il y a des miroirs qui vont dessous, et des banderoles. C’est beau les couleurs, hein! On va mettre de l’eau, ici."
Il est beau Vaillancourt avec ses gants de construction, la crinière au vent. Il est beau à regarder expliquer surtout, avec la manière qu’il a de parler des gens et des choses comme si, chaque fois, c’était l’événement le plus formidable du monde. Il se déplace dans l’immense salle qu’il a choisie pour l’occasion et il raconte, avec une prodigieuse précision et une énergie contagieuse. Les planchers sont encore collants de l’encre de l’ancienne machinerie d’impression, et en quittant les lieux, mes souliers feront des traces sur le trottoir pendant longtemps. "Ici, c’est La Grande Paix de Montréal, que j’ai faite en performance à Saint-Jean-Port-Joli en 2001. Je suis très près des Amérindiens. En une demi-heure, je me suis construit un échafaudage de 35 pieds de haut et je lançais ma peinture sur la toile, en bas. J’aime ça grimper! C’est la première fois que je l’accroche."
On monte sur une sorte de passerelle, le photographe prend ses clichés. Vaillancourt s’assoit et continue à expliquer en rigolant: "Je me suis acheté un matelas tout à l’heure, c’est pour ça que j’ai été un peu retardé… je vais me faire une sorte de chambre, avec une lampe et un bureau, pour dessiner. Je vais apporter la radio de mon fils et je vais dessiner, pendant la Biennale. Je n’ai jamais le temps de dessiner. Des gens vont venir lire des choses, je dois mettre un micro, ici."
VASES COMMUNICANTS
Pas étonnant qu’il n’ait pas le temps de dessiner, Vaillancourt. "Mes cahiers sont bourrés d’engagements sociaux. Le devoir d’un artiste est de donner le meilleur de lui-même à la collectivité. Je donne tout ce que j’ai à donner", qu’il me dit le lendemain, au téléphone. Je lui parle et j’ai devant moi une photo de lui à cheval, sorte de Don Quichotte très digne, dans une armure du XVe siècle; c’était pour sauver une murale de Jordi Bonnet, en 1971. Vaillancourt a été de toutes les luttes qui ont agité le dernier demi-siècle, toujours le premier à monter aux barricades. Il me parle de Cuba et d’Asbestos, de ses œuvres détruites, de l’Amérique latine, des femmes chefs de familles monoparentales, de son désir d’aider, d’ouvrir de nouvelles avenues. L’indignation dans sa voix, parfois. De son engagement politique, de l’Irak.
Et il parle des enfants. Surtout des enfants: "J’aime travailler avec les enfants, il faut les aider à grandir, leur proposer des défis à réaliser. Mais on ne peut pas grandir à leur place… Tu sais, quand je travaille dans les écoles, j’ai juste une consigne: pas un adulte n’a le droit de dire à un enfant quoi faire. C’est interdit, quand je suis là. Mais ils travaillent les enfants, par exemple! C’est beau à regarder, tu devrais voir ça! On expose en ce moment dans une galerie à Verdun. Les enfants ont fait des sculptures. Ça s’appelle À l’oreille de Van Gogh."
Son installation pour la Biennale explore justement le côté de la participation du public à l’acte créatif, et ce n’est pas un hasard. "Dans les symposiums internationaux, et j’en ai beaucoup fait, je ne décide jamais totalement d’avance ce que je vais faire. Quand tu t’installes et que tu restes éveillé à l’influence des autres, tu peux faire des choses qui dépassent de loin ce que tu peux faire tout seul dans ton atelier." Parce que pour Vaillancourt, les arts doivent servir la culture et permettre à l’humain de devenir plus humain, de mieux comprendre la détresse, de mieux coopérer avec autrui. Il faut partager l’émotion de la créativité, la joie que suscite le plongeon dans l’inconnu. "Dans la plus abstraite des quêtes existent un romantisme et une esthétique qui peuvent rendre le langage de la raison compatible avec celui du cœur."
COUVRIR LE MONDE
D’une enfance et d’une adolescence trempées aux durs travaux de la ferme et à la poésie du contact brut avec éléments lui sont restées une sensibilité à la tactilité de la matière, une habitude d’horizon dans le regard et peut-être aussi, une certaine idée de la démesure: "J’ai failli être marin; j’ai travaillé sur des cargos, jeune homme." Un long voyage de découvertes à travers les États-Unis, à la même époque, lui a rempli les yeux et les sens. L’inventaire des œuvres qu’il laisse dans son sillage, leur étonnante prolifération, leur force et le gigantisme d’une bonne partie d’entre elles (340 tonnes de fonte pour Je me souviens!) s’explique en partie par cette conviction qui ne l’a jamais quitté: "Il ne faut pas donner aux gens ce qu’ils aiment, c’est du déjà su, du déjà connu. Il faut les surprendre, les déstabiliser un peu. Et garder une complète intégrité."
"Comprends bien qu’il n’y a rien de mou en moi, je suis un guerrier. J’ai tellement de projets, trop d’inspiration, en fait. Ça me crée des frustrations terribles! J’ai des maquettes, chez moi, je construirais des villes!" Vaillancourt est le contraire d’un artiste qui reste tranquillement dans l’enclave artistique, à côté du monde. Il lui faut pénétrer au cœur du processus de l’art en même temps que dans celui de la société. Voilà sans doute pourquoi son œuvre parle à chacun.
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BIENNALE DE MONTRÉAL
À l’occasion de la 4e Biennale de Montréal, le CIAC présente AGORA: domaine public et art public, qui se tiendra du 24 septembre au 31 octobre prochain. La Biennale réunit d’éminents artistes visuels, architectes, concepteurs urbains et concepteurs paysagers du monde, pour repenser en plusieurs dimensions la question de l’avenir de l’espace public: Maintenant que nos villes deviennent des parcs thématiques de consommation, où trouve-t-on la diversité et la multiplicité de la vie authentique? Quel rôle devraient maintenant jouer les espaces publics traditionnels de nos villes? Est-il possible d’établir ou de créer de nouvelles formes de domaine public correspondant à notre mode de vie contemporain? L’événement s’infiltrera dans de grands espaces publics du noyau urbain. Notons entre autres la présence et les interventions de West 8 (Adriaan Geuze), artistes urbains de Hollande, de l’artiste graphique franco-suisse Ruedi Baur, de l’architecte-artiste français Didier Faustino, d’Armand Vaillancourt du Québec et de l’architecte Will Alsop du Royaume-Uni.