Pour certains, j’aurais perdu le "sens de l’émerveillement". Pour d’autres, c’est mon cœur d’enfant qui ferait défaut.
Une poignée de mots désobligeants, à peine quelques centaines, à propos de tous les zozos qui se font triturer le cerveau par les faiseurs de nouvelles et se découvrent ainsi une passion tardive pour l’architecture navale, et hop, je suis un cynique. Un blasé. La vie ne doit pas être drôle tous les jours en votre compagnie, m’a même écrit l’une d’entre vous.
Bon, c’est vrai. Pas tous les jours. Le lundi et le mardi, je ne suis pas vivable. Je grogne, je peste, je tourne en rond, je fais de l’insomnie et puis je ronfle plus fort qu’à l’habitude. Mais vous, vous êtes quoi? Des Pico le clown? Des Mary Poppins?
Ça tombe mal, j’hayiis supercalifragilistiquement les clowns.
Et puisque vous n’avez pas bien compris, ce n’est pas le bateau qui m’emmerde dans cette histoire, ni que ça vous intéresse et moi pas. Ce qui me fait grincer des dents, c’est l’attention démesurée qu’on porte à toutes les bebelles du même ordre. Mais surtout, notre propension collective à prendre le vent dans nos voiles, peu importe d’où il souffle, du moment qu’on nous affirme dans les journaux, à la télé et à la radio que la direction est bonne.
Comme pour Haïti, tiens.
Je n’irai certainement pas vous dire que vous avez tort d’offrir vêtements, denrées et fric pour les sinistrés des Gonaïves. Encore moins qu’on a tort d’en parler. Bien au contraire.
Ce qui m’ennuie, c’est la ponctualité de cette générosité.
"De grâce, ne focalisons pas uniquement sur les Gonaïves. Haïti est devenu lui-même une catastrophe naturelle", écrivait Dany Laferrière samedi dernier, exposant qu’il aura fallu le spectacle de cette catastrophe monstre pour que nous nous préoccupions sérieusement d’une situation désastreuse qui s’étend par ailleurs bien au-delà des limites de la zone sinistrée par l’ouragan. À longueur d’année, depuis trop longtemps.
Encore une fois, il aura fallu un gros show médiatique pour éveiller les consciences.
Images passées en boucle du scénario catastrophe: cadavres humains et animaux gonflés, flottant sur une eau boueuse, survivants affamés, assoiffés, privés de toutes ressources, réduits au pillage des convois humanitaires, mères éplorées, orphelins larmoyants…
Comme lors du chaos entourant la fin du "règne" d’Aristide, on dépêche journalistes et chroniqueurs sur place – les mêmes! – à la recherche d’une échauffourée dans une file d’attente, interviewant ceux qui ont perdu le plus de membres de leur famille, ceux qui sont au plus bas et qui donnent le meilleur spectacle de human interest.
C’est comme ça: quand les pays meurent tranquillement, dans le silence des sécheresses et des démocraties qui tardent à naître ou clamsent à petit feu, on leur préfère de loin les gros bateaux de passage et leur luxe ostentatoire. Quand ils explosent, crèvent de faim à s’en montrer les côtes ou s’entretuent, on accourt en sauveurs de l’humanité.
Alors, je souligne, histoire que toutes les Mary Poppins ne me reviennent pas avec un insupportable chapelet de courriels bien-pensants: il est impératif de venir en aide à ce pays tristement magané par le destin, et ce, par tous les moyens possibles.
Mais cette espèce d’opportunisme de bon aloi ne m’émeut pas outre mesure. Et s’il ne me fait pas rire ni pleurer, il me rappelle plutôt l’absurde des publicités des sandales acu-massage.
Peut-être vous souvenez-vous de ces sandales de caoutchouc, objet d’une vaste campagne de pub il y a une quinzaine d’années. Des gougounes qui devaient masser les pieds avec leurs tentacules et, à l’aide d’aimants, rééquilibrer les "énergies" de notre organisme.
Eh bien, l’aide qu’on offre à Haïti ces jours-ci est exactement comme ces sandales.
Le rapport? C’est que dans un cas comme dans l’autre, le peu d’argent ou d’intérêt qu’on y "investit" a l’effet d’un placebo.
Le premier sur nos rhumatismes. Le second sur nos consciences.
Et peu importe les effets réels, le long terme, ce qui compte, c’est de se sentir soulagé, non?