Journée internationale de la musique : La mélodie du bonheur

"André Hamel, un compositeur montréalais avec qui on travaille, compare la musique contemporaine au fromage bleu: des gens en ignorent l’existence, d’autres n’osent pas y goûter, certains en ont peur, il y en a qui y goûtent une fois, un petit morceau, et pour eux, c’est assez, ils aiment ça mais pas trop, tandis que d’autres en mettraient sur leurs toasts le matin. Il y en a qui pensent que c’est une seule chose, mais il y a toutes sortes de bleus…" Et de musiques de création aussi, terreau fertile et méconnu que Marie-Chantal Leclair, musicienne adoptée par le journal Voir et saxophoniste accomplie, nous fait découvrir en même temps que son petit jardin coloré, même à l’aube de l’automne, le plus fleuri de cette ruelle décharnée.

Mais l’accès au jardin, tout comme le chemin qui mène jusqu’aux tangos syncopés et autres suites sérielles de la musique de création, n’est pas aisé; dans le premier cas ne subsiste de l’escalier que la charpente et il est question de sauter jusqu’aux fleurs, dans le second, on n’aura qu’à suivre la guide. "Oui, les préjugés sont tenaces, renchérit la directrice artistique du quatuor de saxophone Quasar, qui soufflera 10 chandelles en novembre prochain et qui remportait en 2002 le prix Opus du concert de l’année dans la catégorie Musique actuelle électro-acoustique. "On entend dire que la musique de création, c’est plate, hermétique, réservé aux initiés, aux spécialistes et aux académiciens, que c’est élitiste et cérébral. Mais souvent, ces préjugés découlent de la méconnaissance, du fait de ne pas avoir été en contact avec la musique contemporaine."

Dans ce domaine où les musiciens sont aussi des ambassadeurs, Marie-Chantal n’a pas hésité à se donner en adoption par l’entremise de la campagne Adoptez un musicien, une initiative sympathique et originale du Conseil québécois de la musique qui vise à démystifier l’image du musicien et à éveiller l’intérêt du public pour la musique de concert en proposant aux médias un catalogue de 30 musiciens à adopter. "Les gens sont curieux, à nous de trouver le moyen de les rejoindre. (…) C’est une multiplicité de gestes qui contribue à faire connaître ce qu’on fait."

SAX, LOVE ET ROCK’N’ROLL

Cette passion qu’elle cultive a commencé comme un premier amour, une romance adolescente, c’est-à-dire au secondaire, pour se poursuivre bien au-delà des quelques cours hebdomadaires. "Dès le départ, j’ai été attirée par les qualités du saxophone, qui allie la puissance des cuivres à la virtuosité des bois. On peut jouer vite, comme d’une flûte, et aborder différents styles, raconte Marie-Chantal qui enseigne deux jours par semaine dans les écoles secondaires. Je n’ai pas appris le violon à trois ans, je ne suis pas allée au conservatoire à cinq ans, j’ai commencé à faire de la musique de la façon la plus démocratique qui soit: en allant à l’école." Et cette passion dure toujours, comme si elle avait fini par épouser son premier amour.

Après des études universitaires en musique, la saxophoniste a eu l’envie de fonder un petit ensemble avec son chum, son frère et un ami. "En sortant de l’université, tu peux attendre que le téléphone sonne, une option qui ne me disait rien, ou te lancer dans un projet plus personnel, avec toutes les responsabilités et les libertés qui viennent avec. Tout ça a démarré tranquillement, mais avec le temps, on a évolué, on s’est améliorés et les événements auxquels on participe sont de plus en plus intéressants", confie Marie-Chantal, une fille toute simple et humble qui signe des autographes aux États-Unis, lorsqu’elle participe à des tournées en compagnie de Miriodor, groupe rock d’avant-garde progressif énergique et raffiné évoquant Gentle Giants et piloté par Bernard Falaise et Pascal Globensky, entre autres.

RETOUR VERS LE PRÉSENT

Pendant que Marie-Chantal évoque les raisons qui l’ont menée à troquer les courbes labyrinthiques du saxophone baryton pour le très droit soprano ("Je suis tombée enceinte et ça devenait un peu compliqué avec la bedaine"), nos pattes de chaises vibrent. Mathieu Leclair (frère) et Jean-Marc Bouchard (chum) s’exercent dans la petite pièce calfeutrée du sous-sol, mais les graves du ténor parviennent tout de même à se frayer un chemin jusqu’à nous.

Dans le cadre de son travail de directrice artistique de Quasar, notre saxophoniste adoptée est amenée à travailler avec des compositeurs, à leur commander des œuvres: "Quand je dis "compositeur", les gens voient une photo de Mozart ou de Beethoven. Dans le temps de Beethoven, on jouait la musique du monde vivant. Quand tu mourais, ta musique n’était plus jouée. Plus tard, des gens ont ressorti ces œuvres. C’est bien d’avoir accès à ce qui s’est fait avant, mais en même temps, c’est la musique d’aujourd’hui qui parle de nous… On a un beau milieu de la musique contemporaine à Montréal, des compositeurs de talent comme Bernard Falaise, Walter Boudreau, André Hamel et Jean-François Laporte."

Avec des modèles telles Françoise David et Simone de Beauvoir, un goût marqué pour les voyages, ses valises remplies de saxophones étincelants et cette mission d’ambassadrice portée comme un flambeau, gageons que Marie-Chantal Leclair ira loin.

Quasar
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Cuneiform Records