Quelle culture pour la métropole? : Infraculture?
Société

Quelle culture pour la métropole? : Infraculture?

Les 7 et 8 octobre se tiendra à Montréal le COLLOQUE VILLES DE CULTURE, VILLES D’AVENIR, où des spécialistes d’Europe et d’ici discuteront du rôle fondamental de la culture dans le développement urbain.

L’événement se tiendra à la TOHU, la Cité des arts du cirque, et au Centre canadien d’architecture. Une quinzaine de spécialistes provenant de grandes villes européennes telles Londres, Barcelone ou Lyon seront présents pour parler avec leurs collègues de Toronto, de Québec et de Montréal de l’importance du facteur culturel comme moteur de développement social et économique. Des gens de tous les horizons – hommes et femmes d’affaires, politiciens, artistes et consultants – discuteront de nouvelles façons d’envisager le développement urbain: en cessant de séparer les dimensions économiques, culturelles, sociales ou environnementales, on souhaite mieux les harmoniser.

PÉRIL EN LA DEMEURE?

Pour un des organisateurs du colloque, Simon Brault, président de Culture Montréal, un organisme dont le mandat est de faire la promotion de la culture comme vecteur de développement, l’événement arrive à point nommé pour Montréal, qui est en quelque sorte à la croisée des chemins: ou bien la ville donne un vigoureux coup de barre ou bien elle peut oublier son statut de métropole culturelle. "On a l’impression que durant des années, la ville était un décor pour tout ce qu’on faisait et que, mis à part le 1 % consenti par les gens d’affaires pour les œuvres d’art, la culture n’était pas intégrée au départ dans les projets de développement. On dit que Montréal est une métropole culturelle, si on ne fait rien, dans 10 ans, on va en rire."

Montréal compte aujourd’hui 65 000 places de spectacle, 90 000 emplois liés à la culture et 200 compagnies de théâtre, entre autres. Il reste que les dernières années ont été dures pour la métropole. Outre le Festival des films du monde dont la survie est menacée, le Festival de la nouvelle danse a disparu, la Cinémathèque québécoise a des difficultés et le sort de Télé-Québec est incertain, relate M. Brault. "Et pendant que l’on quête une salle qui a de l’allure pour l’OSM, à Toronto, les secteurs privés et publics investiront 700 millions de dollars dans les infrastructures culturelles. À Montréal seulement, pour se rapprocher de ce qui se fait ailleurs au Canada, il faudrait investir 200 millions de dollars dans les bibliothèques publiques."

Francine Sénécal, vice-présidente du Comité exécutif de la Ville de Montréal et responsable de la culture, se montre réceptive aux arguments du milieu culturel et à cette nouvelle approche du développement. "On est en train de constater l’importance de la culture pour le développement des villes. Le fait que les villes soutiennent le milieu culturel n’est pas nouveau. Ce qui l’est, c’est que plusieurs grandes villes commencent à penser la culture comme moteur de développement. Par exemple, on se rend compte que le réseau des bibliothèques publiques contribue à la socialisation des nouveaux arrivants, à la formation des jeunes et à leur intégration."

UNE POLITIQUE CULTURELLE

La Ville de Montréal doit déposer cet automne un premier document de consultation publique en vue de l’élaboration d’une politique culturelle qui devrait voir le jour d’ici un an et dont l’esprit sera de placer la culture au cœur du développement. Parmi les projets qu’on envisage, la consolidation de la vocation culturelle du Quartier des spectacles au centre-ville, qui compte 25 000 sièges dans 28 salles, figure en tête de liste. Il serait nécessaire d’injecter plus d’une centaine de millions de dollars au cours des années à venir pour concrétiser la réalisation du Musée juif, revitaliser la rue Sainte-Catherine, mettre en valeur la rue Saint-Laurent et loger adéquatement l’OSM, auquel la ville a concédé un terrain dans l’Îlot Balmoral, poursuit Mme Sénécal. "Il est prioritaire que l’OSM soit installé correctement. La solution passe-t-elle par l’aménagement d’une autre salle ou la construction d’une nouvelle? C’est à débattre." En fin de compte, c’est le gouvernement du Québec, responsable du dossier et de l’injection des ressources financières, qui décidera du sort de l’OSM.

Visant le maintien du statut de métropole culturelle de Montréal, M. Brault mise beaucoup sur la politique culturelle à venir, qui fera l’objet de discussions lors du colloque. "Le Quartier des spectacles est mal développé. Il y a beaucoup de salles, mais il y a plein de trous pour les stationnements et les édifices tombent en ruine. Ce quartier doit être repensé dans son développement. À Barcelone, la politique de la Ville dit qu’aucune décision ayant un impact majeur ne doit être prise sans que les considérations de la politique culturelle soient examinées. Lille était une ville en décrépitude et pleine de trous avant que l’on donne les moyens aux artistes d’en changer le visage."

L’EXEMPLE EUROPÉEN

Parmi les spécialistes européens qui viendront faire part de leur expérience, Jean Hurstel, président fondateur du réseau Banlieues d’Europe: l’art dans la lutte contre l’exclusion, mène depuis 30 ans un combat pour donner un nouveau visage aux quartiers pauvres en décrépitude. "Nous considérons que le maillon le plus faible détermine la force d’une chaîne."

M. Hurstel a mené avec son groupe de nombreux projets faisant de l’art le pivot de l’intégration sociale ou servant à rapprocher les cultures. À Strasbourg, une pièce de théâtre a été montée à la suite de la diffusion d’une affiche du Front national sur laquelle on voyait une Alsacienne en costume traditionnel avec un voile islamique sur la bouche… Pour établir le dialogue, la pièce fut présentée dans les HLM et les immeubles collectifs. "Le but était d’en faire des lieux de débat et de rencontre entre les communautés."

Un carnaval à Belfast, en Irlande du Nord, qui se veut la seule manifestation culturelle entre catholiques et protestants, fut aussi organisé. "À Glasgow, en Écosse, des citoyens participent à l’aménagement des parcs et de leur environnement architectural et urbanistique. À Francfort, nous organisons des activités dans l’espace public pour des gens qui sortent de prison, en Belgique, des cours d’alphabétisation à partir de l’art. Ces expériences se fondent toutes sur de nouvelles façons d’envisager la culture et elles ont un effet rassembleur dans les villes."

De vieilles infrastructures industrielles abandonnées sont également mises à profit par des équipes artistiques qui mènent des projets tout à fait différents de ceux qui ont lieu dans les institutions culturelles officielles, continue M. Hurstel. "Par exemple, nous avions transformé une ancienne laiterie à Strasbourg en lieu où on faisait du théâtre, de la danse et des rencontres culturelles. À Berlin, un groupe écologique mène des projets culturels et gère une boulangerie à l’intérieur d’une vieille fabrique qui abritait des studios de cinéma avant la guerre."

La Ville de Montréal s’est déjà engagée dans ce type de projets avec la TOHU, précise M. Brault, et elle doit persister dans cette voie prometteuse. Construite dans un quartier défavorisé, Saint-Michel, sur le pourtour de ce qui fut le deuxième plus grand site d’enfouissement de déchets en milieu urbain, la Cité des arts du cirque est, selon M. Brault, un exemple éclatant de projet intégrant les dimensions artistiques, éducatives, environnementales, sociales et économiques. Jusqu’à maintenant, ce sont 73 millions de dollars qui y ont été investis, et les résidants sont privilégiés dans l’accès aux emplois. "On a construit le bâtiment dans un souci d’économie d’énergie; c’est peut-être l’édifice vert le plus élaboré au pays. Dès le départ, on s’est demandé comment intégrer les gens du quartier, générer de l’emploi et apporter un sens à la vie de ces gens. Ce qu’on veut, c’est multiplier les projets de ce type."

INVESTISSEMENTS NÉCESSAIRES

"La structure des grandes villes ne donne pas toujours aux gens l’occasion d’avoir une influence sur leur vie. En théorie, on sait ce à quoi un bel édifice doit ressembler ou ce qu’est une ville excitante. Mais en réalité, nous ne créons pas des villes très humaines. Dans la plupart des villes américaines, on dirait que ce sont les automobiles qui mènent la ville et non pas les gens", poursuit Charles Landry, une sommité mondiale en matière de revitalisation culturelle des villes qui participera au colloque. Auteur de The Creative City, il insiste sur l’effort d’imagination nécessaire afin de faire des villes des endroits plus agréables à vivre.

Si tout n’est pas qu’une question d’argent, il en faudra pour que Montréal tienne son pari d’allier dans l’avenir développement culturel, social et économique. "Les investissements culturels sont souvent ceux qui ont le plus d’effets multiplicateurs. On a parfois l’impression que ça coûte plus cher d’avoir une approche écologique, mais on se rend compte que ça finit par coûter très cher de ne pas en avoir. C’est un peu la même chose avec la culture", croit M. Brault.

Et les fonds ne pourront plus provenir que des gouvernements. "Je souhaite que le milieu des affaires prenne conscience de cette réalité et qu’il contribue davantage au développement culturel", conclut Mme Sénécal.

Pour en savoir plus:
www.culturemontreal.ca
(514) 845-0303