Le secret des jujubes
Société

Le secret des jujubes

Dalida chantait "Caramels, bonbons et chocolats, merci, pas pour moi". Nombreux sont ceux qui reprendront en chœur ce refrain en apprenant que la gélatine utilisée dans la fabrication des jujubes est composée d’os broyés.

Malbouffe, obésité, alimentation trop grasse et trop sucrée; la tendance forte de notre société actuelle est de se tourner vers les produits biologiques pour manger santé. Pour contrer les organismes génétiquement modifiés, l’étiquetage des produits est prôné par les végétariens et les végétaliens. Et pour des raisons religieuses, juifs et musulmans revendiquent une assiette où le porc n’a pas droit de cité.

Pourtant, dans le secteur lucratif de la confiserie, il n’est indiqué nulle part qu’un produit aussi inoffensif que les bonbons gélifiés est fabriqué à partir de cadavres d’animaux. "Si de nombreux végétariens ne savent pas que la gélatine est de provenance animale, la population ne le sait pas davantage", croit Marjolaine Jolicoeur, fondatrice d’Ahimsa, l’Association humanitaire d’information et de mobilisation pour la survie des animaux.

GÉLATINE MODE D’EMPLOI

En bouche, la gélatine allie une texture élastique et moelleuse provoquant une expérience gustative hors du commun. Comme un feu d’artifice, une explosion de sensations, de couleurs et de goûts fuse de toutes parts. Acidulée pour les uns, fondante pour les autres, la gélatine se plie en quatre pour séduire les papilles. D’ailleurs, les douceurs gélifiées ne manquent aucune Halloween, et sont distribuées partout, tant à l’épicerie qu’au cinéma.

Pourtant, fait méconnu du grand public, ce sont des millions de tonnes de carcasses de veaux, vaches, cochons, qui sont transformées pour les besoins de l’industrie agroalimentaire. En Europe, 117 800 tonnes de gélatine sont produites. L’Amérique du Nord, elle, en produit 60 500 tonnes.

Pêle-mêle, la gélatine est issue du collagène extrait de la peau, de la couenne, mais aussi des tendons, des cornes, des sabots et des os des bêtes. Après avoir été réduits en purée, ceux-ci sont bouillis dans de l’acide chlorhydrique à une température de 120 ºC, selon une recette ancestrale et des règles très strictes de fabrication. Laissez reposer et vous obtenez une matière première idéale pour épaissir, stabiliser, émulsifier et lier vos friandises favorites, mais aussi les mousses de fruits, les yogourts et les desserts mous qui tiennent debout tout seuls.

GÉLATINE BOVINE INTERDITE

Mais cet ingrédient de choix des confiseurs et de nos cuisines constitue-t-il un risque pour la santé? Depuis le scandale de la vache folle en 1999, les os de ruminants ont disparu des cuves fumantes où mijote la gélatine en Europe.

Les vertèbres, surtout, étaient montrées du doigt. Étant en contact avec la moelle épinière, ces os risquaient d’être infectés par le prion responsable de l’encéphalopathie bovine spongiforme. Désormais, l’association des fabricants de gélatine (GME) affirme transformer des carcasses animales en bonne santé, arguant le risque zéro.

Paradoxalement, selon un document publié par le magazine français Le Point, ces mêmes industriels ont voulu "contrecarrer toute action négative contre la gélatine par les législateurs, les scientifiques et le public [et] tenir la gélatine hors des discussions sur l’ESB dans les médias".

Aujourd’hui, c’est la gélatine porcine qui est utilisée à 90 % par l’industrie alimentaire. D’ailleurs, le géant allemand des bonbons Haribo confectionne des crocodiles gélifiés, fraises tagadas et bouteilles de cola garantis100 % pur cochon.

Toutefois, le doute subsiste encore pour les millions de personnes de confession islamique et hébraïque, car la législation, de part et d’autre de l’Atlantique, n’impose pas un étiquetage précisant qu’il s’agit de gélatine de porc. Au sein des deux religions, le porc est considéré comme un animal impur, dont la consommation est formellement interdite. Les pratiquants se tournent donc vers les produits hallal ou kasher.

Or, en 2002, les communautés juives et musulmanes de France avaient manifesté leur fureur après avoir appris que les industriels de la gélatine mitonnaient de la couenne et des os de porc dans leurs marmites. C’est connu, tout est bon dans le cochon. Ainsi, en matière d’alimentation, juifs et musulmans sont dans le même panier d’épicerie: ils sont nombreux à en avoir mangé à leur insu pendant des années.

Devant le scandale, les multinationales Danone et Nestlé plaident que les produits vendus au Maghreb et au Moyen-Orient sont exempts de gélatine porcine et conseillent aux pratiquants d’acheter les produits reconnus par les autorités religieuses. Oui, mais ceux exportés dans les autres pays sont-ils kasher ou hallal?

Déplorant une information qui fait défaut, Mme Jolicoeur affirme qu’au Canada, la mention kasher est fausse. "En réalité, il s’agit de gélatine porcine. D’où l’importance de lire les étiquettes! Lorsqu’il est écrit gélatine, elle est d’origine animale. Seule la mention vegan indique une origine exclusivement végétale." Végétalienne de cœur et de corps, elle refuse depuis 30 ans de consommer de la viande, de porter du cuir et prône les vertus des produits bios.

Plus encore, selon elle, la gélatine animale présente dans les bonbons est source d’allergie pour les enfants intolérants à la protéine. "Les mamans ne se doutent pas qu’il y en a", et doivent être plus vigilantes à cet égard.

Mais, bien malin qui pourra empêcher les chérubins de se sucrer le bec en vidant leurs porte-monnaie au dépanneur du coin. En moyenne, ils dépensent 68 $ en sucreries par année et en engloutissent 10,3 kilos (22 livres), selon l’Association canadienne des fabricants de confiseries.

SLOCHE, UNE MARQUE FORTE

Au Québec, c’est la société de magasins Couche-Tard qui a pris auprès des jeunes le leadership du marché des gâteries avec sa marque phare, Sloche. C’est en 2002 que la société québécoise a amorcé le virage bonbons: "L’idée était de casser l’image traditionnelle de l’ourson mignon en s’appuyant sur l’image et l’esprit irrévérencieux de Sloche", explique Patrick Côté, directeur marketing chez Couche-Tard.

Pari gagné, les grenouilles baveuses, les mamies crocodiles ou les oursons déchiquetés aux couleurs psychédéliques ont envahi les tablettes de leurs magasins et leur vente est très rentable. Ces bonbons mous revampés aux paquets relookés affichent un humour absurde assumé: "Morts dans votre main, vivants dans votre bouche", grâce aux différentes sensations procurées par la gélatine.

Ironie du sort, parmi leurs personnages sucrés se trouvent des rats protestant contre les tests sur les animaux. Mais nulle mention n’est faite de la présence de gélatine bovine ou porcine. "C’est un facteur que nous n’avons pas pris en compte, car on s’est surtout concentrés sur l’élaboration du concept. De plus, on s’assure par contrat que nos fabricants de confiseries respectent les normes législatives ainsi que les mécanismes de contrôle", argue M. Côté.

Ainsi, loin d’être hors-la-loi, Couche-Tard s’approvisionne en bonbons gélatineux un peu partout dans le monde, notamment en Espagne, avec la société Vidal, qui en produit 13 500 tonnes tous les ans. Comme Haribo l’Allemande, Vidal l’Espagnole est soumise aux mesures sanitaires imposées par l’Union européenne.

Mais pour les consommateurs, la bataille de l’étiquetage est loin d’être gagnée, à cause des faiblesses législatives qui n’obligent pas l’industrie agroalimentaire à indiquer systématiquement l’origine de ses produits.

GÉLATINES DE RECHANGE

Pour ceux qui ont encore une histoire de cœur avec les douceurs et que l’idée d’avaler de la gélatine animale rebute, il existe des gélifiants de substitution ou estampillés bio (logo AB). "Pour ma production de sirop d’érable, j’utilise l’agar-agar, une gélatine extraite d’algues séchées", dit pour sa part Marjolaine Jolicoeur. Car tout le monde n’a pas forcément envie de conclure comme Dalida: "Moi, les mots tendres enrobés de douceur se posent sur ma bouche, mais jamais sur mon cœur".